Un Eurovision sans politique : un voeu pieux ?
Lors de l'édition 2024 du concours Eurovision de la chanson, les manifestations dénonçant la participation d'Israël ont relégué au second plan les prestations artistiques à proprement parler. La contestation s'est faite entendre sur scène, dans le public et devant la salle accueillant l'évènement. L'Union européenne de radio-télévision (UER) avait pourtant répété que les "contenus politiques" étaient interdits à l'Eurovision.
L'image d'Israël n'est pas abîmée
Dans un post Telegram relayé par Ekho, l'entrepreneur israélien Arkady Mayofis salue la deuxième place obtenue par Israël dans les votes du public :
«Ce résultat contredit les reportages sur les villes européennes dans lesquelles se déroulent quasi constamment des rassemblements anti-israéliens, voire explicitement antisémites. Il montre que ces actions ne sont pas des réactions spontanées de citoyens préoccupés, mais des événements organisés spécialement. ... Et il montre que malgré l'offensive communicationnelle inédite menée à l'encontre de l'Etat hébreu, l'opinion publique européenne ne s'est pas laissée influencer par celle-ci. Il s'agit d'une belle réfutation du prétendu échec israélien dans la guerre de l'information : nous ne l'avons pas perdue.»
Saluer la position ferme des organisateurs
Une exclusion d'Israël aurait envoyé un signal funeste, estime Iltalehti :
«Les personnes qui ont participé aux manifestations contre Israël et la présence de ce pays à l'Eurovision étaient issues de tous les bords : du camp réclamant réellement la paix jusqu'aux antisémites et partisans du Hamas. … L'Eurovision étant avant tout une festivité annuelle de la communauté arc-en-ciel, on ne peut s'empêcher de se demander si toutes les personnes qui ont manifesté, à Malmö par exemple, étaient conscientes du soutien qu'elles apportaient à des groupes homophobes, en réclamant de contraindre Israël à rendre des comptes. Dans cette situation, l'UER a agi correctement, en choisissant de ne pas céder à la pression visant à exclure Israël.»
Le bon forum pour protester
Il est malvenu de vouloir étouffer les voix critiques de l'Eurovision, juge le portail In.gr :
«Les cadres de l'UER rappellent à la moindre occasion qu'il s'agit d'un concours musical, qui n'a rien à voir avec la politique. … De manière générale, ce type de positionnement 'apolitique' dans le monde de l'art ou du sport a souvent été discuté, les organisateurs brandissant l'excuse 'politiquement correcte' selon laquelle ces forums ne sont pas les lieux idoines pour exprimer des rivalités politiques ou relayer des slogans potentiellement gênants. Mais alors, quels seraient les forums adéquats ? Le Stade olympique de Berlin, aux JO de 1936, où Jesse Owens avait balayé la prétendue 'supériorité des aryens', n'a-t-il pas été un forum approprié ?»
Le propre des dictatures
La chanteuse portugaise Iolanda avait orné ses ongles de motifs de keffieh en solidarité avec les Palestiniens. Expresso y voit l'expression d'une forme d'impuissance :
«Le mode de contestation choisie par Iolanda est similaire à celui privilégié par les artistes pour contourner la censure dans les dictatures. Et la tentative consistant à les dissimuler est la réaction habituelle des dictatures ; de la même façon, des applaudissements préenregistrés ont servi à couvrir les huées du public [contre Israël] - un dispositif utilisé pour la première fois en 2014, pour masquer les cris hostiles à la Russie. ... La seule différence, de taille néanmoins, c'est que la candidate ne risquait pas la prison, mais la disqualification.»
Le facteur fun
Primorske novice ne croit pas au rôle politique de l'Eurovision comme vecteur de messages d'espoirs :
«Cette année, l'UER a officiellement apporté son soutien à Israël, de la pire des manières. La question se pose donc vraiment : pourquoi suit-on encore ce spectacle ? La réponse est on ne peut plus simple : pour se divertir. ... Les drames et les péripéties qui l'entourent ne sont pour ainsi dire qu'une 'plus-value'. L'an dernier, nous avons arboré des drapeaux ukrainiens, cette année nous avons interdit des drapeaux palestiniens. Peut-être brandirons-nous des drapeaux taïwanais l'an prochain.»
Ce n'est pas le bon endroit pour critiquer Israël
The Spectator condamne les manifestations dirigées contre l'artiste désignée pour représenter Israël :
«A peine sortie de l'adolescence, Eden Golan est devenue malgré elle le visage public de la guerre menée par Israël à Gaza. Elle a été quasiment tenue pour responsable et comptable des opérations militaires d'Israël. ... L'artiste s'est pourtant produite à Malmö au nom de la radio-télévision publique de son pays, et non au nom du gouvernement israélien. Mais c'est là une nuance qui semble échapper aux hordes des manifestants, enfermés dans des convictions fanatiques. »
Une exclusion aurait été plus logique
De Morgen appelle l'Union Européenne de Radio-Télévision (UER) à revoir sa copie :
«Suite à l'attaque russe de l'Ukraine, l'organisateur du premier concours de musique au monde n'avait pas hésité à disqualifier l'agresseur. Face à la violence israélienne en revanche, il ferme les yeux, se retranchant derrière l'argument de la neutralité politique. Si l'UER persiste dans son numéro d'équilibrisme à l'heure où des bombes tombent chaque jour sur des citoyens innocents, elle perdra ce qui lui reste de crédit moral. Il est tragique que les violations flagrantes des droits humains aient été passées sous silence pendant la diffusion de l'Eurovision. ... Si les producteurs veulent renouer avec la bonne ambiance des éditions précédentes du concours, qu'ils ôtent leurs œillères et se résolvent à faire ce qu'ils auraient dû faire depuis longtemps : exclure Israël du concours.»
Une évolution dangereuse
Libération conçoit la colère des manifestants, mais émet également des réserves :
«Tout est bloqué tandis que la population de Gaza meurt de faim, de peur et d'abandon. Que les peuples du monde entier soient en colère contre le cynisme des dirigeants d'Israël et du Hamas, et contre l'inertie des dirigeants occidentaux et arabes est compréhensible. Et même sain. Qu'ils réclament qu'un Etat palestinien a minima soit reconnu pourrait faire avancer les choses. Mais que cette colère se retourne contre des individus – artistes ou non – au motif qu'ils représentent un pays, une religion ou une identité n'est pas acceptable. Et terriblement dangereux.»
Faites l'amour, pas la guerre
Malgré la forte polarisation qui a prévalu, Politiken salue le message du vainqueur :
«Que l'artiste suisse Nemo ait été le gagnant, lui qui a vécu un enfer mais a fini par réussir à 'déchiffrer le code', est une belle leçon d'espoir. Beau symbole en effet qu'un hit non binaire sur la quête d'identité dans un pays ultra-conservateur ait su séduire tant les jurys que les auditeurs et ait finalement eu raison des cris de guerre et des chansons de lutte. ... Alors faites l'amour, pas la guerre. ... Ou pour le dire avec les mots de Nemo : Whoa-oh-oh, whoa-oh-oh.»
Le jury a trop de pouvoir
Si le vote du public avait été le seul critère retenu, c'est le Croate Baby Lasagna qui l'aurait emporté avec son titre Rim tim tagui dim. Večernji list soulève une question fondamentale :
«Tous les experts de la musique s'accordent à ovationner la qualité de la chanson de Nemo. Au demeurant, il est légitime de se demander pourquoi alors donner aux gens la possibilité de dépenser de l'argent pour voter si au final c'est un jury qui tranche. ... Dans l'UE par exemple, ce sont les citoyens qui prennent les décisions, pas un jury. Pourquoi donc le vote des citoyens ne pourrait-il pas être le seul à élire la chanson de l'année ? ... Si l'on maintient le jury de l'Eurovision, la logique voudrait que l'on institue également un jury pour les élections, qui exclurait du scrutin tous ceux qui ne plaisent pas à ce comité européen, tous les radicaux et les anti-systèmes.»