Les pays européens misent sur le repli sur soi
Avant le sommet européen sur la politique d'asile, la proposition de contingents de migrants avancée par la chancelière allemande Angela Merkel se heurte à une résistance croissante. Le refus de la France alimente les inquiétudes quant à la coopération européenne.
L'Europe de demain : plus soudée mais défigurée
L’Europe ne va pas éclater en raison de la crise des réfugiés, mais elle finira par capituler, estime le quotidien de centre-gauche Berliner Zeitung :
«On a cru que l'Europe volait en éclat à cause de la question des contingents. On sait aujourd’hui qu’il n’y aura pas d'accord sur les contingents. C’est pourquoi personne ne pense plus les invoquer pour expliquer la fin de l’UE. … Ce ne sont pas les réfugiés qui détruiront l’Europe. Au contraire, la lutte contre cet ennemi extérieur soudera l’Europe. Dans les Etats périphériques de l’Union, des douaniers s’opposeront aux migrants en quête d’asile. Ils seront armés et ils tireront. On dira : 'c’est le prix à payer pour notre liberté'. De ce point de vue, il y aura davantage d’Europe qu’aujourd’hui. Mais si nous en arrivons à cette Europe-là, eh bien nous n’aurons pas relevé le défi. L’Europe aura capitulé.»
Paris/Berlin : une inversion dangereuse des rôles
Paris s’oppose aux contingents proposés par Berlin pour la répartition des réfugiés. Un litige qui pourrait avoir des conséquences dramatiques, prévient Gilbert Casasus sur son blog hébergé par le site de L’Hebdo :
«Le gouvernement de gauche français semble privilégier ici une politique de droite, alors que celui de la République fédérale d’Allemagne, dirigé par une femme classée à droite, s’engage dans une politique de gauche. Même si la relation franco-allemande n’a pas toujours, et heureusement, répondu aux logiques partisanes et nationales, cette inversion de rôles pourrait s’avérer maléfique pour l’Europe. En crise, notamment à cause des anti-Européens, elle ne devrait pas l’être encore plus à cause des pro-Européens. Car, à l’exception d’autres Etats, dont l’Italie, la Belgique, l’Espagne et les Pays-Bas, l’UE ne peut compter que sur la France et l’Allemagne pour la sauver du bourbier dans lequel l’ont installée une horde d’eurosceptiques.»
Les propos de Valls signifient la fin de Schengen
L'opposition de Manuel Valls annonce la fin prochaine de Schengen, estime le politologue roumain Valentin Naumescu sur le portail de blogs Contributors :
«Depuis que la France a créé la surprise en se désolidarisant de l’Allemagne, une suspension, voire une modification, de l’accord de Schengen est devenue une quasi-certitude. Il ne reste plus à l’Allemagne qu’à fermer ses propres frontières. Pour dire les choses clairement : l’accord de Schengen ne sera pas aboli, mais dans la bonne tradition européenne, on approuvera un certain nombre de modifications et on adoptera des réformes qui rendront le texte méconnaissable. Pour finir, le tout sera présenté au public comme une grande réussite de négociations, dans l’esprit européen. Mais en vérité, Schengen II sera le premier pas vers la fin de l’âge d'or de l’UE.»
La Grande-Bretagne occulte la crise des réfugiés
Dans la recherche d’une solution à la crise des réfugiés au niveau européen, la Grande-Bretagne joue un rôle particulièrement déplorable, souligne la politique Diane Abbott, sur le blog The Staggers, hébergé par le site du magazine New Statesman :
«Le gouvernement britannique est en train d’ignorer les répercussions humanitaires de la guerre civile syrienne en Europe. Sa politique vis-à-vis des réfugiés prévoit de lever des fonds destinés à 'la région', un euphémisme qui tend à désigner le soudoiement des Etats voisins de la Syrie, pour que ceux-ci gardent les réfugiés sur leur territoire. … La Grande-Bretagne attend du Liban, dont la superficie est équivalente à la moitié du Pays de Galles, que le pays en fasse plus pour les réfugiés, alors qu’il en accueille plus que la totalité des pays d’Europe réunis. Elle attend de la Jordanie, le pays qui présente le taux de chômage le plus élevé de la planète, qu'elle crée des emplois pour 1,4 million de réfugiés. Et elle attend de la Turquie qu'elle fasse usage d’une enveloppe de 3 milliards de fonds européens, dans le but de dissuader les réfugiés de quitter ses camps pour l’Europe. … Il est temps que la Grande-Bretagne cesse d’ignorer l’urgence du problème migratoire européenne.»
Paris laisse tomber ses partenaires
Le quotidien catholique La Croix critique vivement l'attitude de Paris :
«La seule alternative que propose Manuel Valls est de se décharger du problème sur des Etats voisins de la Syrie, déjà en grande difficulté. Depuis le début de la crise des réfugiés, l’été dernier, le gouvernement n’a guère poussé à une politique européenne de gestion des flux migratoires. Il a manqué d’à-propos pour épauler ceux de ses partenaires qui étaient en première ligne. Inquiet de l’impact électoral de ces problèmes, confronté à de graves difficultés notamment à Calais, il se retrouve à faire le jeu des gouvernements souverainistes d’Europe centrale et des partis populistes de tout acabit. Or, en exacerbant les égoïsmes nationaux, l’enlisement actuel fait peser une grave menace sur l’espace Schengen et sur le projet européen. Il faut retrouver le sens de la solidarité.»
Les Etats de Visegrád d'humeur rebelle
Les dirigeants tchèque, polonais, hongrois et slovaque s’entretiennent ce lundi à Prague de la crise des réfugiés. Leur projet de couper la route des Balkans à la frontière entre la Macédoine et la Grèce aggrave encore la division de l’UE, critique le quotidien libéral Sme :
«Les quatre Etats de Visegrád vont-ils marquer un but parfait contre leur propre camp ? En formant une plate-forme d’opposition sur la crise des réfugiés, ils compliquent incontestablement leur propre position. Il y a longtemps que d’autres parlent déjà de 'mini-Schengen' et d’une 'Europe à deux vitesses'. ... Mais fasciné par le potentiel d’une 'grande politique' autonome, le V4 ne fait que confirmer la division de l’Europe. Le fait que Merkel et la diplomatie allemande n’attaquent pas personnellement les politiques du V4 ne signifie pas qu’elles ne se souviendront pas d’eux. … Le Premier ministre Robert Fico n’a aucune idée du dommage qu’il inflige à la Slovaquie.»
Merkel peut encore mobiliser
Si Angela Merkel veut encore pouvoir imprimer sa marque à la politique migratoire européenne, elle devra se tourner vers les autres pays de l’UE, estime le journal libéral-conservateur Tagesspiegel :
«Un véritable dirigeant doit savoir se battre pour des convictions, même impopulaires. Les combats sans issue, en revanche, ne sont pas une marque de leadership. Il y a au sein de l’UE une option susceptible de mobiliser une majorité permettant à l’Europe d’éviter d’être dépassée par l'immigration de masse. Mais ce n’est pas la solution de Merkel. … Elle doit alors comprendre qu'un leadership non suivi ne marche pas. Elle doit remédier à son isolement et trouver une voie médiane au centre de l’opinion de l’UE. Si elle dirige cette recherche de façon praticable et viable, entre sécurisation de la frontière extérieure et ouverture limitée, ses partenaires la suivront.»