Qui de Merkel ou Seehofer s'imposera en Allemagne ?
Dans les dissensions au sein du gouvernement allemand sur la question migratoire, aucun compromis ne se profile. Le ministre de l'Intérieur Horst Seehofer (CSU) campe sur sa position : tout demandeur d'asile ayant déjà été enregistré dans un autre pays de l'UE ne sera pas admis sur le sol allemand. La chancelière Angela Merkel (CDU), de son côté, aspire à une solution européenne. Les commentateurs évoquent les conséquences qu'aurait un triomphe de Seehofer et les raisons de la faiblesse de Merkel.
Canons à eau vs. politique d'asile
Večernji list explique les répercussions qu'aurait la politique de Seehofer, bien au-delà de l'Allemagne, si celui-ci réussissait à l'imposer :
«Merkel veut-elle être à la tête d'une Allemagne qui refoule les réfugiés à ses frontières sans hésiter à recourir aux matraques et aux canons à eau ? Sa position n'a pas changé depuis 2015, elle y est opposée. Problème : c'est la volonté de la CSU, dont le président est devenu ministre de l'Intérieur. Il entend faire passer en force son projet de refouler les migrants à la frontière allemande, avec ou sans l'accord de Merkel. C'est une crise sérieuse qui secoue l'Allemagne. Pour des pays situés à la périphérie de l'UE, comme la Croatie, la conséquence serait claire : davantage de demandeurs d'asile resteraient dans le pays ou y seraient renvoyés. Ce serait une bien mauvaise nouvelle.»
Seehofer huile ses accointances avec Rome et Vienne
Sur la question migratoire, le ministre allemand de l'Intérieur s'acoquine avec le mauvais camp, commente Večer :
«Horst Seehofer lance à Angela Merkel - laquelle avait, en dépit de la doxa néolibérale, fait preuve d'empathie et d'altruisme en 2015 et en 2016 - des ultimatums comme celui de ne plus laisser entrer un seul réfugié en Allemagne. Il n'hésite pas à mettre en péril la désintégration de la coalition gouvernementale, dont la formation avait été si laborieuse. Il éloignerait tout migrant ayant déjà été enregistré dans un autre pays de l'UE. La nouvelle 'coalition des volontaires' formée par l’Allemagne, l'Autriche et l'Italie commencerait ainsi à fonctionner. Or elle ne serait pas dirigée contre un potentat du Proche-Orient que l'Occident a contribué à mettre en place, mais contre les populations que son régime a poussées à l'exil.»
Le ministre de l'Intérieur ne se soucie que de la Bavière
Handelsblatt déplore que Seehofer ne s'efforce pas de travailler à une solution européenne avec ses homologues :
«A ce sujet, n'a-t-il pas déjà rencontré le chancelier autrichien Sebastian Kurz et évoqué un règlement avec l'Italie ? Ce mercredi, le cabinet du gouvernement régional de Bavière ne tient-il pas une session avec l'équipe gouvernementale autrichienne ? Pourquoi ne pas rechercher des solutions à ce niveau-là ? Seehofer pourrait dialoguer avec les Grecs, les Espagnols et les Bulgares. Il pourrait aider à trouver enfin cette solution européenne que Merkel appelle de ses vœux. Mais c'est en qualité de chef de la CSU que Seehofer gouverne à Berlin. En 'shérif conservateur', il entend protéger les frontières extérieures bavaroises - contre les réfugiés et contre l'ennemi intérieur : l'AfD.»
Merkel est au bout du rouleau
La chancelière fait les frais de son attentisme, fait valoir le chroniqueur Wolfgang Münchau dans Financial Times :
«La procrastination, la stratégie générale d'Angela Merkel, touche à ses limites. Horst Seehofer préconise la rigueur en matière d'immigration. Emmanuel Macron, de son côté, attend une réponse sur le projet de réforme de la zone euro. ... Nombreux sont ceux qui ont admiré le pragmatisme de Mme Merkel et sa gouvernance de manager. Or cette politique a eu un prix : elle a sans cesse échoué à résoudre les problèmes. La photo du sommet du G7 au Canada, la représentant dans une posture de défiance face à Trump, est une illusion d'optique. Elle ne tient tête à personne, pas même à Seehofer.»
La chancelière esquive la question de confiance
Berliner Zeitung gage que face à un désaccord de cette magnitude, d'autres chanceliers auraient déjà posé la question de confiance au Parlement :
«Or Merkel ne serait pas Merkel si dans une telle situation, elle perdait patience au lieu de temporiser et de rechercher une solution alternative. De plus, elle sait depuis hier qu'elle est trop affaiblie, y compris dans son propre parti, pour prendre des risques. Car malgré des attaques, pour certaines pernicieuses, venant des rangs de la CSU, son propre groupe ne l'a soutenue qu'en apparence : en lui accordant deux semaines pour trouver une solution européenne, il ne s'est pas rangé de son côté, mais lui a lancé un ultimatum. Quelle que pourra être l'issue du schisme sur ce point concret : Merkel en tant que chancelière ne se relèvera pas de cette journée.»
Une question de survie
Rob Savelberg, correspondant pour l'Allemagne de De Telegraaf, estime qu'il en va de la survie politique de Merkel :
«Les dissensions internes qui opposent CDU et CSU portent sur les principes fondamentaux de Merkel, et par voie de conséquence sur son pouvoir politique. ... La physicienne de RDA, opposée à ce que l'Allemagne fasse 'cavalier seul', plaide la cause de solutions prises de concert avec les partenaires européens. ... Merkel veut à tout prix empêcher que des personnes, déplacées par des guerres ou en quête d'une vie meilleure, restent durablement coincées en Europe du Sud ou dans les Balkans. En politique chevronnée, elle redoute - d'après les bruits qui remontent des coulisses - l'émergence de graves tensions politiques dans ces régions. C'est pourquoi elle insiste sur des solutions européennes et sur la résolution de répartition des 160.000 réfugiés.»
Merkel devant les ruines de sa politique migratoire
Právo prend le parti du ministre de l'Intérieur allemand :
«Dans sa lutte contre Seehofer, Merkel recherche une solution européenne. Ce faisant, elle occulte le fait que c'est elle qui avait pris la décision nationale en 2015, passant outre les règles de l'UE. Si Merkel acceptait la revendication de Seehofer de refuser l'entrée sur le territoire à tout migrant ayant déjà été enregistré ailleurs dans l'UE, cela ne constituerait pas un cavalier seul national, comme elle l'affirme. Au contraire : elle ouvrirait enfin la voie à la mise en application par l'Allemagne de ce que prescrit le droit européen. ... Il ne fait aucun doute qu'accepter le masterplan de Seehofer reviendrait pour Merkel à reconnaître le fiasco total de sa politique migratoire.»