Comment reconstruire le Liban ?
Le président français, Emmanuel Macron, a appelé l'Iran à se garder de s'immiscer dans les affaires du Liban et de compliquer la formation d'un nouveau gouvernement. A Beyrouth, le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, a pour sa part conditionné les investissements étrangers à d'importantes réformes. Sous quelles conditions un nouveau départ peut-il réussir ?
Garantir la neutralité, fixer les frontières
Le Figaro appelle le Liban à se tourner de préférence vers les puissances mondiales :
«La recherche par les Libanais d'une sécurité que leur fourniraient les puissances régionales (Israël, Égypte, Arabie saoudite, Iran, Turquie) est illusoire. Seules les grandes puissances mondiales, désintéressées sur ce cas d'espèce, peuvent dessiner une sécurité à long terme pour le Liban. Le Conseil de sécurité de l'ONU, qui les regroupe, pourrait très bien adopter une résolution qui fasse du Liban un pays officiellement neutre et fixe définitivement ses frontières. Mais il faudrait qu'il le fasse sous chapitre VII de la Charte (qui autorise, sous conditions, le recours à la force), de manière à pouvoir légitimement tenir tête à tous ceux qui s'aviseraient, comme les pasdarans iraniens qui ambitionnent de mener une guerre larvée par procuration, de porter atteinte à cette neutralité.»
Le changement sera radical ou il ne sera pas
La politique libanaise doit faire table rase du passé, écrit Público :
«Sans changement radical du système politique, les réformes essentielles ne seront pas possibles. Un processus qui peut être violent, cela dépendra en grande partie de la réaction des élites. Les politiques et les oligarques devront faire un choix difficile : le maintien du système est pour eux une 'question existentielle'. Mais si elles veulent survivre, ces mêmes élites doivent changer. Depuis l'explosion qui a dévasté le port de Beyrouth, il n'y a pas de retour en arrière.»
Une amélioration ? Rien n'est moins sûr
L'Iran ne renoncera pas aussi facilement à son influence au Liban, analyse Der Standard :
«Les deux camps les plus puissants du pays aujourd'hui sont, d'une part, probablement le mouvement contestataire, mais aussi, d'autre part, le Hezbollah et ses partisans bien organisés. Le Hezbollah est par ailleurs la première puissance militaire du Liban ; il s'inscrit dans un maillage régional puissant, tissé par l'Iran. Il serait naïf de croire que l'Iran renoncera aussi facilement à l'influence qu'il exerce au Liban par le truchement du Hezbollah. Il faut se défaire de l'idée selon laquelle la politique de la 'pression maximale' menée par Donald Trump aurait à ce point malmené le régime des mollahs pour que celui-ci soit prêt à une telle perspective. Du reste, plus il sera affaibli sur la scène nationale, plus il accordera de l'importance à 'l'axe de la résistance' dans la région. Si l'ancien système s'effondre au Liban, cela n'augure pas une évolution forcément positive.»
Conserver le système confessionnel
Depuis l'indépendance du Liban, le pouvoir au sein des institutions politiques est partagé entre les principales confessions du pays. La Libre Belgique déconseille d'abandonner ce modèle :
«[A]ujourd'hui, force est de constater que ce système est complètement dévoyé. Les structures de l'Etat reposent essentiellement sur le clientélisme, sur quelques clans. La difficulté, dans ce pays planté au milieu d'une région complexe, c'est que remettre en cause ce système confessionnel ne ferait qu'exacerber les tensions et accélérerait l'effondrement du pays. Ce système doit être conservé mais il doit être modernisé. Le souci, c'est que pour y parvenir il faut trouver autour de la table des négociations des personnes suffisamment indépendantes. Le Liban ne s'en sortira que grâce aux Libanais qui feront la morale et non la religion.»
Aucun impact
Les Libanais ne se font pas d'illusions après la démission du gouvernement, souligne news.bg :
«L'explosion survenue dans la capitale libanaise a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Elle a immanquablement ravivé la contestation de l'année dernière et mené à la démission du Premier ministre, Hassan Diab. Sa démission ne satisfera pas cependant les Libanais, car ils savent bien que le statu quo subsistera, que ce soient par des élections anticipées ou par la nomination d'un nouveau gouvernement par l'actuel Parlement. Le même statu quo qui a déjà empêché l'ouverture d'une enquête internationale sur les causes de l'explosion.»
Impuissant devant la corruption et les terroristes
La démission du gouvernement ne va pas faire taire la rue, redoute le chroniqueur Osvaldo Migotto dans Corriere del Ticino :
«Dans son discours télévisé à la nation tenu hier, Diab a admis que le pays était dirigé par une classe politique coresponsable d'un vaste réseau de corruption. Le fait que le chef du gouvernement sortant n'ait pas cité de noms montre qu'il n'a eu ni le courage ni la force nécessaires pendant son mandat pour s'attaquer à ce problème. Au lieu de le combattre de front, il s'en est accommodé. C'est pourquoi la nouvelle du retrait de l'exécutif n'a pas mis fin aux protestations. L'avenir du Liban est incertain, notamment parce que les fondamentalistes du Hezbollah ne veulent pas entendre parler de changements démocratiques.»
Dans l'impasse
NRC Handelsblad décrit également une situation sans issue :
«Diab avait pour principale mission d'obtenir du Fonds monétaire international (FMI) une aide d'urgence de plusieurs milliards de dollars. ... Malheureusement, les entités politiques qui tirent les ficelles en coulisse désapprouvent les réformes exigées par le FMI pour lutter contre la corruption. La démission d'un Premier ministre impuissant n'a donc pas de quoi réjouir les contestataires. ... Pendant que l'élite politique libanaise délibère pour trouver un nouveau Premier ministre, le pays sera dirigé par un cabinet exécutif. Et nous savons d'expérience qu'un tel processus peut durer des mois encore.»
Revoir entièrement le système politique
Les citoyens ne vont pas se contenter de nouveaux visages, avertit La Vanguardia :
«Des élections anticipées ne figurent pas parmi les priorités de la rue. Car le Parlement est contrôlé par des forces religieuses et traditionalistes qui se sont taillées un code électoral sur mesure. Le système politique reste donc inchangé. Et c'est justement ce dont ne veulent plus les manifestants. Au lieu d'un changement de gouvernement, ils aspirent à un nouveau régime, et notamment la fin du partage du pouvoir entre musulmans et chrétiens selon un système de quotas, tel qu'il a vu le jour après la guerre civile.»