Proche-Orient : que fait la communauté internationale ?
Alors que le Conseil de sécurité de l'ONU a tenu mardi sa quatrième réunion extraordinaire sur le conflit israélo-palestinien, sans pour autant arriver à s'entendre sur une déclaration commune, différents protagonistes s'activent sur la scène internationale. Les Etats-Unis appellent à un cessez-le-feu, la Chine a invité les deux parties à des négociations, et le président turc, Tayyip Erdoğan, s'en est pris à Israël et à l'Occident. L'analyse de la presse européenne.
Mutisme et impuissance
Visão critique l'inaction de la communauté internationale :
«Les derniers jours en Israël et Palestine ont été éloquents quant à l'écart considérable qui peut séparer les paroles des actes. En dépit de plusieurs réunions, le Conseil de sécurité de l'ONU n'est pas parvenu à produire une simple déclaration qui condamne les agressions et les actes de guerre. ... Tout cela parce que, dans ce cas, les Etats-Unis bloquent les efforts, alors que Joe Biden avait promis de replacer le multilatéralisme et les droits humains au cœur de sa politique étrangère. ... Ces louvoiements incessants permettent la perpétuation d'atrocités, l'impunité étant garantie par le 'silence' des plus forts. Ils créent également un sentiment généralisé d'impuissance parmi ceux qui ne renoncent pas à lutter pour les droits humains, sans avoir d'intérêts cachés.»
Le soutien inconditionnel des Etats-Unis est révolu
Radio Kommersant FM assure que Biden suivra une politique différente au Proche-Orient :
«Il n'y aura pas de soutien inconditionnel à Israël, comme ce fut le cas avec la précédente administration américaine. Une perspective renforcée par le fait que depuis 2015 déjà, Nétanyahou s'est efforcé de saborder ses rapports avec le Parti démocrate. A l'époque, faisant fi d'Obama et du vice-président Biden, il avait obtenu le droit d'intervenir au Congrès, où il avait fait campagne contre la signature de l'accord sur le nucléaire iranien - accord que l'administration Biden cherche à ressusciter aujourd'hui.»
Les Etats arabes ont peur de l'Iran
Les Palestiniens ne peuvent escompter d'aide de la part des Etats voisins, croit savoir Phileleftheros :
«Les Etats arabes n'ont pas l'intention de chercher une confrontation avec Israël pour défendre la cause des Palestiniens, d'où les témoignages de solidarité très timorés que l'on a pu entendre. Ils se limitent à appeler à mettre fin aux violences et aux bombardements, sans pour autant envisager de mesures de rétorsion ou de posture plus ferme. ... L'influence accrue de Téhéran a créé une nouvelle donne. Tous les pays de la région ont pris position, et comme Israël se trouve lui aussi en conflit avec l'Iran, il est peu probable qu'ils s'opposent à l'Etat hébreu, même si cela leur impose de fermer les yeux sur ce qui est en train de se dérouler dans les territoires palestiniens.»
La Chine commence à s'impliquer
Jusque-là observatrice du conflit, la Chine est en train d'en devenir une protagoniste, observe Ilta-Sanomat :
«La Chine a invité Israéliens et Palestiniens à participer à des négociations à Pékin. ... Même si cette invitation devait rester sans réponse, cela montre toutefois que la Chine s'active au Proche-Orient. Elle a tissé des liens commerciaux avec l'Iran, l'ennemi héréditaire de l'Etat hébreu. L'argent chinois est par ailleurs le bienvenu dans les pays arabes. Jusque-là, Pékin s'était plutôt limitée au rôle d'observateur dans le conflit israélo-palestinien. Israël est toutefois tenu d'écouter la Chine, le pays étant un investisseur important et un débouché majeur pour ses exportations. Il est avantageux pour Israël de ne pas dépendre que des Etats-Unis ; et avantageux pour Pékin qu'Israël soit plus dépendante d'elle.»
Il ne s'agit plus d'un allié
Dans Corriere della Sera, le politologue Angelo Panebianco s'inquiète de la rhétorique agressive d'Erdoğan :
«Ce serait une grave erreur de croire que l'action de la Turquie ne regarde que le Proche-Orient et ne concerne pas l'Europe. Car tout ce qui s'y passe a des répercussions chez nous. ... Si la Méditerranée devait être durablement partagée entre Turcs et Russes, ce sont des acteurs non-européens (et hostiles à l'Europe) qui contrôleraient des ressources énergétiques vitales, ainsi que les vannes régulant les flux migratoires. ... Les ambitions d'Erdoğan dépassent le cadre du Proche-Orient, comme le montrent la dispute entre la Grèce et la Turquie pour le contrôle des gisements gaziers en Méditerranée orientale, ainsi que les interventions massives d'Ankara dans les Balkans, où elle combine investissements et endoctrinement religieux.»
Pour l'UE, l'occasion d'un nouveau départ
Der Standard appelle l'UE à mener une offensive diplomatique :
«Une initiative de paix concertée au niveau européen était difficilement possible compte tenu de la politique de Trump au Proche-Orient. Il est temps désormais de se rapprocher des Etats-Unis et d'exercer une pression commune sur les deux parties au conflit. Il revient à la 'plus géopolitique de toutes les Commissions européennes' [annonce de von der Leyen lors de sa prise de fonction], qui a été très discrète jusque-là, de prendre l'initiative. Les chances d'un renouveau diplomatique ne sont pas mauvaises en tout cas, avec la nouvelle administration américaine et un possible changement de gouvernement en Israël.»
Erdoğan montre la voie
Le journal progouvernemental Akşam évoque un autre protagoniste :
«Les discussions menées par le président Erdoğan ces derniers jours avec 19 chefs d'Etat pourraient devenir un catalyseur favorisant l'émergence d'un mouvement formant un contrepoids à Israël. Si tous ces Etats faisaient preuve d'unité et soutenaient cette initiative, il s'agirait d'une évolution prometteuse qui permettrait d'apaiser les souffrances des musulmans palestiniens. Il sera ainsi possible de garantir la paix sans le concours du Conseil de sécurité de l'ONU.»
Le scénario est toujours le même
Le conflit suit sa propre logique, souligne Der Tagesspiegel :
«Le Hamas et le chef du gouvernement israélien suivent un scénario que l'on connaît depuis les conflits précédents, comme celui de 2014. Le Hamas profite de l'après-guerre pour reconstituer ses réserves de roquettes et d'autres armes. ... Lorsque le Hamas a tiré la majorité de ses roquettes, il se dit prêt à un cessez-le-feu. Mais Israël s'y refuse car l'objectif militaire de ses forces armées consiste désormais à détruire l'infrastructure du Hamas. ... Israël n'approuvera un cessez-le-feu que lorsqu'il aura largement atteint ses objectifs.»
Le cessez-le-feu viendra, pas la paix
Naftemporiki place lui aussi peu d'espoirs dans une résolution internationale du conflit :
«Le Conseil de sécurité de l'ONU organise une nouvelle réunion extraordinaire, tandis que les Etats-Unis continuent de bloquer une déclaration commune exigeant la fin des violences. ... Il n'y a pas de feuille de route. Rares sont ceux à croire à une solution ; nombreux sont ceux qui tentent de prouver que le conflit est insoluble. Comme en 2008, 2012 et 2014, le massacre et les destructions se poursuivront jusqu'à l'adoption d'un cessez-le-feu, qui ne fera que rétablir le statu quo antérieur. La trêve viendra, pas la paix.»
Une crise de leadership des deux côtés
Il y a peu d'espoir de parvenir à une solution diplomatique, estime Corriere del Ticino :
«L'élément qui caractérise les heurts actuels, c'est que seul le Hamas représente les Palestiniens, et qu'il est largement considéré internationalement comme un groupe terroriste. La conséquence directe de ceci, c'est que chacune des deux parties est dépourvue de véritables interlocuteurs dans le monde. C'est le cas du Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, convaincu de sa propre infaillibilité, mais aux prises dans son pays avec des problèmes politiques et juridiques. ... Et c'est le cas du camp palestinien, qui traverse une véritable crise de leadership, avec un président Mahmoud Abbas qui n'est plus écouté (même si Biden lui a parlé), et ne peut donc plus assurer la médiation face au Hamas.»
Un opportunisme cynique qui attise la violence
Des deux côtés, les acteurs politiques pensent pouvoir profiter de l'escalade de la violence, écrit l'essayiste et spécialiste du monde arabe Chams Eddine Zaougui, amer, dans De Standaard :
«Israël se sert de la violence pour justifier une sorte de Sparte moderne : une société militarisée. ... Pour les groupes activistes palestiniens, la résistance à Israël constitue une raison d'être et un moyen de se distinguer de leur rival séculier, l'autorité palestinienne, jugée faible et soumise. ... Cet opportunisme politique - un moteur plus important que la haine pure et simple dans ce conflit visiblement éternel - a des conséquences. Les citoyens paient au prix fort les calculs cyniques et l'entêtement de leurs dirigeants.»
Le Hamas cimente le pouvoir de Nétanyahou
Les tirs de roquettes du Hamas tombent à point nommé pour le Premier ministre israélien, juge Club Z :
«Par son comportement irréfléchi, le Hamas donne à Nétanyahou une occasion en or de se tirer indemne de la crise politique dans laquelle il était embourbé, en raison des accusations de corruption à son encontre et de son incapacité à former un gouvernement à l'issue de quatre élections législatives consécutives. Il lui offre à nouveau l'opportunité de se positionner en leader puissant, qui protège la sécurité du peuple israélien et de l'Etat hébreu face au terrorisme du Hamas et du Jihad islamique.»
La désunion mondiale profite à l'Etat hébreu
Si la violence a été unanimement condamnée au Conseil de sécurité des Nations unies, il n'y pas eu de déclaration commune. Les divisions respectives au sein de l'ONU et de l'UE désavantagent les Palestiniens, déplore The Irish Times :
«Dans la crise actuelle, mais aussi de manière générale, l'incapacité des organisations internationales à parler d'une seule voix profite au gouvernement israélien, qui échappe à la critique internationale et bénéficie par conséquent d'une plus grande marge de manœuvre. Ce qui veut dire que la communauté internationale est globalement incapable d'influencer une crise comme celle-ci. ... L'administration Biden n'a même pas cherché à feindre la volonté de relancer le processus de paix. ... Jamais, ces dernières décennies, Israël n'avait été aussi peu mise sous pression pour tenter de trouver un compromis.»
Vers un Etat pluriethnique
Un Etat fédéral est l'unique solution restante pour délier le nœud gordien de ce conflit, juge Jutarnji list :
«Israël a anéanti la perspective de la solution à deux Etats. Il est impossible de créer un Etat autonome sur les bribes de territoires qu'il est prêt à céder aux Palestiniens. La Jordanie et l'Egypte ne songent plus, elles non plus, à se partager la Palestine avec Israël et à devoir composer avec la frustration des Palestiniens. Elles l'ont déjà fait une fois et elles s'y sont brûlé les doigts. L'unique alternative serait de bâtir un Etat commun, fédéral ou autre. Mais il faudrait pour cela accorder le droit de vote à tous les citoyens, ce qui signifierait qu'Israël scie la branche ethno-religieuse sur laquelle elle était fondée.»