A Gaza, une situation humanitaire de plus en plus précaire
Le gouvernement israélien refuse de décréter un cessez-le-feu à Gaza tant que l'organisation islamiste radicale Hamas détiendra des otages. Le Premier ministre, Benyamin Nétanyahou, s'est dit prêt à respecter de "petites pauses tactiques" pour faciliter la libération des otages et l'acheminement de l'aide. Celle-ci est jugée totalement insuffisante par les organisations humanitaire dans la situation actuelle. La presse européenne se penche sur la situation.
La nécessité d'une trêve immédiate
Selon Kurier, la détresse humanitaire à Gaza est effarante :
«Des scènes proprement insoutenables : une opération sans anesthésie, dans un couloir d'hôpital bondé avec pour seul éclairage une lampe de poche. C'est la terrible réalité de la plupart des hôpitaux de la bande de Gaza. Ils sont à court de médicaments et de diesel pour les groupes électrogènes, alors même qu'en un mois, le nombre de blessés dépasse les 20 000. ... Israël doit faire preuve de bien plus de prudence pour respecter le droit international humanitaire, en vertu duquel il se doit de protéger les populations civiles autant que faire se peut. Ceci implique notamment de ne pas laisser mourir à petit feu une population enfermée qui n'a aucune possibilité de fuir. Concrètement : faire taire les armes pendant quelques jours et laisser les aides entrer dans Gaza.»
Formuler des propositions pragmatiques
Les critiques de l'intervention d'Israël à Gaza sont injustes, assure Lidové noviny :
«Lorsque des Etats occidentaux et des gouvernements arabes ont combattu Daech et repris la ville irakienne de Mossoul, qui compte deux millions d'habitants, le nombre des victimes civiles avait dépassé celui enregistré à Gaza jusque-là [le nombre de morts à Gaza, estimé jusque-là à 10 000, est actuellement à un niveau comparable à celui de Mossoul]. Or personne n'avait d'objections. Aujourd'hui, de Biden à Poutine en passant par Abbas, tout le monde dit à Israël ce qu'il ne doit pas faire. Où sont ceux susceptibles de lui suggérer une action concrète, que le Hamas ne pourra percevoir comme une capitulation de la part de l'Etat hébreu ?»
De tragiques omissions
Les Gazaouis, comme la communauté internationale, auraient dû s'opposer bien plus tôt et plus résolument au Hamas, fait valoir Jyllands-Posten :
«On peut tout à fait soutenir les Palestinien et un Etat palestinien indépendant et, dans le même temps, dire expressément non au Hamas. Ici, ce sont les Palestiniens qui se sont tirés eux-mêmes une balle dans le pied. Le malheur des Palestiniens, ce sont leurs propres leaders. Avec la barbarie du Hamas, le rêve d'un Etat indépendant a été reporté à un avenir lointain - si jamais il se concrétise un jour. Et en omettant de chasser le Hamas, la communauté internationale a abandonné les Palestiniens à eux-mêmes.»
L'Europe marginalisée
Soutenir Israël sans réserve en invoquant son droit à l'autodéfense a des conséquences négatives, déplore Caroline de Gruyter, chargée des affaires européennes au journal De Standaard :
«L'Europe, qui était jadis une médiatrice au Proche-Orient, paie le prix fort de cette orientation. Le reste du monde lui reproche d'appliquer deux poids deux mesures : de condamner d'un côté les attaques russes sur des civils ukrainiens, de ne pas broncher, de l'autre, quand Israël détruit Gaza. Vu l'évolution du conflit, l'Europe doit se préparer à être politiquement marginalisée sur la scène internationale. Le Qatar tente d'obtenir l'évacuation de Gaza des otages, des expatriés et des blessés. Pas trace en revanche d'une médiation européenne - celle-ci était pourtant une évidence, jadis.»
Les pays voisins sont incontournables
Après la guerre, Israël devra composer avec les pays arabes, juge Frankfurter Allgemeine Zeitung :
«Parmi ces pays, aucun ne sera prêt à assumer pleinement, de lui-même, la responsabilité de la bande de Gaza. ... Avec des forces unies, il serait au moins concevable de refouler quelque peu l'influence destructrice de l'Iran que l'on voit se manifester à travers le Hamas, et d'établir une forme d'administration palestinienne sans le Hamas. Mais pour cela, Nétanyahou devra faire des concessions à ses voisins, notamment en faisant des gestes humanitaires. Et il devra s'opposer aux extrémistes de sa propre coalition, qui l'ont soutenu jusque-là. Mais il semblerait que pour lui, ce prix à payer reste encore trop élevé.»
La guerre sera longue et difficile
Polityka ne s'attend pas à un succès rapide de l'opération terrestre :
«Même en l'absence de résistance majeure, Tsahal devra de facto commencer par isoler une partie de la bande de Gaza pour la fouiller ensuite en profondeur, afin de dénicher les combattants du Hamas. ... Cette tâche prendra des mois, voire des années. Si l'adversaire ne se résout pas à sortir de sa cachette, il sera très difficile de le distinguer des civils. A mesure que la situation évoluera, des dilemmes dramatiques et des questions de responsabilité collective surgiront inévitablement. Israël n'a ni le droit ni l'intention de raser complètement la bande de Gaza. Il devra s'agir d'une opération sélective et, par conséquent, de longue haleine.»
Israël a tout intérêt à protéger la population civile
Tsahal doit se soucier davantage de la protection des Gazaouis, souligne Dagens Nyheter :
«Il faut qu'Israël prenne des mesures pour protéger la population civile, même si cela complique la guerre contre le Hamas. L'aide humanitaire doit pouvoir entrer à Gaza, et ce même si cela implique qu'elle tombe en partie entre les mains de l'organisation [terroriste]. Il est dans l'intérêt de l'Etat hébreu de montrer aux Palestiniens qu'il veut s'en prendre au Hamas, et non à eux. L'objectif principal doit être de garantir la sécurité d'Israël. Cela implique que le pays agisse sans rien laisser au hasard, qu'il fasse preuve de bon sens, deux conditions qui lui permettront peut-être, non de gagner un soutien, mais au moins de susciter de la compréhension pour ses actions sur la scène internationale.»
Tombés dans le piège
Le Hamas est d'ores et déjà l'incontestable vainqueur politique, juge l'éditorialiste Luuk van Middelaar dans NRC :
«C'est précisément en raison des milliers de Palestiniens tués à Gaza que les terroristes gagnent la bataille de l'opinion publique dans le monde arabe et au-delà. Avec les attaques terroristes sanglantes perpétrées contre Israël le 7 octobre, le Hamas a tendu un piège politique à Israël et aux Etats-Unis, qui y sont tombés tête la première. ... Personne ne sait comment Nétanyahou compte éradiquer l'ennemi avec une opération terrestre sans semer en même temps la haine et le ressentiment auprès des générations à venir et alimenter ainsi le vivier des futurs combattants du Hamas. ... Le Hamas a réussi à raviver la question palestinienne et à l'utiliser pour sa propre cause. ... Sous le drapeau de la résistance révolutionnaire, il mobilise des millions de musulmans à travers le monde.»
Le dilemme des démocraties occidentales
Dans Latvijas Avize, le journaliste et spécialiste du Proche-Orient livre l'analyse suivante :
«Les habitants des pays occidentaux défendent-ils la politique suivie par leurs gouvernements ? Etat pro-occidental, la Lettonie est pro-israélienne, considérant qu'Israël a été attaqué, et non l'inverse, mais en même temps, la population descend dans la rue et conteste cette position. ... Cela se produit également en France, en Allemagne et aux Etats-Unis, où il existe d'importantes communautés musulmanes, et où les fonds en provenance des pays musulmans exercent une influence considérable sur les structures commerciales, ce qui constitue un problème majeur.»
Il faut s'attendre à de nombreuses victimes civiles
Le quotidien Tages-Anzeiger fait un parallèle avec la lutte contre Daech en Irak :
«Tsahal entend visiblement adopter l'approche militaire privilégiée par les Etats-Unis en octobre 2016, lors de la libération de la ville de Mossoul, en Irak, alors occupée par Daech. Les combattants de l'organisation islamiste étaient retranchés dans des tunnels et dans des grottes, comme les terroristes du Hamas à Gaza. Les soldats américains progressaient lentement et privilégiaient une approche hybride : incursions menées par les forces spéciales et attaques de drones. Petit à petit, ils étaient parvenus à anéantir Daech. Mais ce succès a été obtenu au prix fort : un nombre élevé de victimes civiles, entre 9 000 et 11 000 morts selon les estimations.»
Un mode opératoire qui porte la marque de Washington
Večernji list croit déceler l'influence des Etats-Unis dans les modalités de l'intervention de Tsahal :
«Les plans initiaux de l'invasion israélienne avaient suscité les inquiétudes des fonctionnaires américains, qui déploraient l'absence d'objectifs militaires clairs et atteignables, ainsi que le manque de disposition et de volonté de Tsahal à lancer une telle opération. Selon les descriptions faites des incursions de l'armée israélienne à Gaza, celles-ci sont plus limitées et plus localisées que ce que l'état-major de l'Etat hébreu aurait initialement présenté [au ministre américain de la Défense, Lloyd] Austin et à d'autres haut-gradés. Les Etats-Unis ont proposé à Israël un autre type d'attaques à Gaza : des opérations spécifiques menées par les forces spéciales contre des objectifs du Hamas, plutôt qu'une invasion à grande échelle.»
Ne pas oublier les otages
L'appel de l'ONU à un cessez-le-feu est totalement justifié, estime The Irish Times :
«Après le lancement de l'offensive terrestre par Israël ce week-end, cela paraît plus nécessaire que jamais. La diplomatie internationale, qui s'évertue à souligner le droit d'Israël à se défendre contre le terrorisme du Hamas, ne peut faire oublier l'urgence de cet appel. Un cessez-le-feu faciliterait les négociations portant sur la libération des otages capturés par le Hamas. Cela pourrait également dégager une marge de manœuvre politique pour conclure un cessez-le-feu durable et, le moment venu, favoriser la préparation d'une conférence internationale sur la question israélo-palestinienne.»
Une généralisation du conflit est possible
Deux scénarios pourraient entraîner une entrée de l'Iran dans le conflit, juge La Repubblica :
«Premièrement, une escalade dans la bande de Gaza, avec des massacres et/ou l'expulsion d'une grande partie de la population vers le Sinaï. ... A ce stade, il est peu probable que le Hezbollah reste les bras croisés. Israël envahirait alors le Liban et Téhéran serait contrainte de choisir entre laisser ses alliés se faire anéantir ou venir à leur secours. Washington pourrait alors intervenir pour sauver l'Etat hébreu. Deuxièmement, les attaques iraniennes sur les infrastructures américaines, en Irak et en Syrie notamment, pourraient redoubler d'intensité. Biden serait alors contraint de sortir de sa réserve et de montrer au monde que les Etats-Unis restent numéro un, prêts à riposter en cas d'attaque.»