Russie : Sergueï Choïgou limogé du ministère de la Défense
Alors qu'il vient juste d'entamer son cinquième mandat présidentiel, Vladimir Poutine a démis de ses fonctions le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, et nommé à ce poste Andreï Belooussov, jusqu'alors premier vice-Président. Les éditorialistes expliquent pourquoi, en pleine guerre contre l'Ukraine, le Kremlin confie son armée à un économiste de formation.
Le but : éviter un effondrement du pays
Les dirigeants du Kremlin ont conscience qu'une politique d'armement mal pensée a le potentiel de mettre le pays à genoux, écrit Rzeczpospolita :
«Le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, a été mis sur la touche. A sa place, entre en jeu un technocrate civil, Andreï Belooussov, censé préparer l'armée et l'économie russes à une guerre appelée à durer. ... La clique au pouvoir, formatée dans les rangs du KGB, ne perd pas de vue que la course à l'armement imposée par le président américain Ronald Reagan avait ruiné l'URSS. Elle cherche à tout prix à éviter que le même scénario se reproduise.»
Cap sur l'autarcie dans une guerre des ressources
Loin de dénoter une volonté de détente, la nomination d'un civil à la tête des armées trahit l'intention d'inscrire la guerre dans la durée, juge également La Stampa :
«Le nouveau vice-Premier ministre Denis Mantourov a déclaré hier à la Douma que depuis 2023, l'industrie militaire russe avait créé 500 000 nouveaux emplois, réaffecté 850 anciennes usines civiles et augmenté de 30 à 60 pour cent les salaires dans le secteur. La militarisation de l'économie a besoin d'un ministère qui orchestre les efforts conjugués des usines, de l'armée et du gouvernement pour une guerre qui, depuis l'octroi des aides américaines à l'Ukraine, est en train de devenir une guerre du matériel militaire et des ressources. Zelensky compte sur l'Ouest, Poutine compte sur une autarcie sur le modèle soviétique.»
L'armée n'acceptera pas un civil
Dans un texte publié sur Substack et relayé par Ekho, l'économiste Sergueï Alexachenko n'exclut pas que les généraux se rebellent contre leur nouveau chef :
«En le nommant, Poutine prend un grand risque. En effet, il est peu probable que l'armée respecte et prenne au sérieux un supérieur qui n'a pas servi un seul jour sous les drapeaux. Poutine avait déjà fait cette expérience avec la nomination d'Anatoli Serdioukov [prédécesseur de Choïgou], contre lequel la quasi-totalité de l'état-major s'était insurgé. Forte tête, Belooussov est un fonctionnaire peu enclin à accepter les avis divergents. C'est pourquoi je pense qu'une révolte des généraux est assez vraisemblable.»
Un remplacement sans surprise
Selon Spotmedia, Sergueï Choïgou était depuis longtemps sous les feux de la critique :
«L'armée - surtout depuis l'invasion de l'Ukraine - fait l'objet de vives critiques pour ses équipements défectueux, son manque de coordination et de professionnalisme. Entre temps, Poutine a dû faire face à une révolte avortée des mercenaires de Wagner, dont le chef Evgueni Prigojine entretenait une hostilité personnelle envers Choïgou. Récemment, le ministère russe de la Défense a été secoué par un scandale de corruption au plus haut niveau, impliquant le vice-ministre de Choïgou, Timour Ivanov. L'affaire avait suscité des interrogations, quand on sait que les richesses qu'il amassait depuis des années étaient de notoriété publique. Certains analystes avaient émis l'hypothèse d'une lutte entre clans rivaux ou le signe d'une destitution imminente.»
Mobilisation de l'économie à des fins de guerre
Sur sa page Facebook, le politologue Abbas Galliamov explique les motifs de la nomination au poste de ministre de la Défense de Sergueï Beloussov, expert en économie :
«La nomination de Beloussov est bien plus intéressante [que le changement de poste de Choïgou]. A mon avis, il s'agit de lui permettre de trouver les ressources nécessaires pour une guerre de longue haleine. Beloussov est connu pour ses positions en faveur d'une économie de mobilisation selon le principe 'Tout pour le front, tout pour la victoire'. Il est au fait des réalités économiques, ce qui rendra difficile à ses collègues civils de lui cacher quoi que ce soit. Le nouveau ministre de la Défense mobilisera toutes les ressources possibles et imaginables.»
Quel poste pour l'éminence grise Nikolaï Patrouchev ?
Corriere della Sera se penche sur le départ de Nikolaï Patrouchev à la tête du Conseil de sécurité :
«Choïgou remplace Nikolaï Patrouchev. Ce dernier, issu du KGB à l'instar de Poutine, aurait peut-être acquis trop de pouvoir et d'influence. Depuis quelques temps, des rumeurs circulent selon lesquelles son fils aurait déjà été désigné candidat à la succession du président. Une rumeur qui aurait peut-être eu le don de déplaire à Poutine. Pour l'instant, personne ne sait quel 'poste important' Nikolaï Patrouchev devrait occuper. Il pourrait s'agir de celui de vice-président du Conseil [qu'il présidait jusqu'à présent] ou de directeur de l'administration du Kremlin. ... A ce poste, Patrouchev serait alors plus proche de Poutine et sous son contrôle direct.»