Plus de réfugiés dans le monde, moins de solidarité ?
Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) il y a eu 19 millions de réfugiés en plus en 2022 qu'en 2021, parmi lesquels 11,6 millions d'Ukrainiens. L'UE vient de durcir le droit d'asile, tandis que l'opinion publique débat du récent naufrage d'un navire en Méditerranée, qui a probablement coûté la vie à des centaines de migrants. Les chroniqueurs s'interrogent sur les termes mêmes du débat.
Les 'bons' et les 'mauvais' immigrés
Dans la campagne électorale polonaise, la question de l'immigration prête à une certaine confusion, observe Krytyka Polityczna :
«Dans ce débat, les rôles sont si embrouillés qu'il est difficile de comprendre quelles sont les positions de chacun. Le gouvernement recrute massivement des travailleurs issus du monde entier, tout en brandissant à l'opinion publique le péril présumé des migrants que Bruxelles voudrait nous 'refiler'. Visiblement, il table sur le fait que ses partisans les plus fervents seront en mesure de voir que le chauffeur d'Uber indien est 'le bon immigré de Kaczyński', qu'ils seront polis avec lui, et qu'ils feront la différence avec le 'mauvais immigré' d'Ursula von der Leyen.»
Dissuader les candidats au départ
Pour endiguer l'immigration, il faut intervenir davantage en amont, fait valoir Der Standard :
«La rhétorique du refoulement privilégié par les politiques de droite et d'extrême droite est une véritable mystification du peuple. Les pays de départ des migrants refusent tout bonnement de les réintégrer. La lutte contre les passeurs et l'endiguement de l'immigration doit commencer bien plus tôt. En tant que critiques humanistes de l'actuelle politique migratoire, il faut aussi avoir la probité intellectuelle de dire que pour une grande partie de ceux qui tentent de rallier l'Europe via la Méditerranée ou la route soi-disant fermée des Balkans, les chances de trouver du travail, de s'intégrer et de réussir sont quasi nulles - voire nulles. Il faut trouver les moyens de les dissuader d'accomplir ces traversées dénuées de perspectives, et souvent mortelles.»
Renoncer à la dissuasion
Dans El País, Juan Matías Gil, chef de mission de Médecins sans frontières (MSF) en Méditerranée centrale, reproche à l'Europe son hypocrisie :
«MSF appelle les Etats membres à mettre en place un mécanisme de recherche et de sauvetage européen, expressément centré sur le sauvetage de vies humaines. ... L'UE doit mettre fin à sa politique de dissuasion et suspendre immédiatement tout soutien aux garde-côtes libyens ou aux autres acteurs qui se rendent coupables de violations des droits humains et du droit international. ... Tant que cela ne changera pas radicalement, nous continuerons à déplorer des morts évitables et nous fustigerons l'hypocrisie politique de l'UE, qui se trouve être en contradiction avec ses valeurs fondamentales.»
Pas d'amélioration en vue
Dans Népszava, l'historien Iván T. Berend dresse un sombre tableau :
«Le monde est saisi d'un terrible mouvement. Les réfugiés d'Asie et d'Afrique se rendent en masse en Europe et en Amérique. Il est évidemment devenu impossible de tous les accueillir. ... Et il semble pour l'instant difficile d'apporter une réponse aux causes du processus migratoire. Dans les pays que quittent des dizaines de millions de migrants, la situation ne s'améliore presque pas, ou alors trop lentement. Les pays riches atteignent les limites de leurs capacités d'accueil. Le monde est le témoin d'innombrables tragédies humaines.»
On ne peut ouvrir 'partiellement' les frontières
Phileleftheros fait le bilan des différentes opinions et pistes sur la question :
«Les sociétés sont devenues beaucoup plus fermées et méfiantes à l'égard des étrangers. A cet égard également, il y a un grand débat à mener. Est-ce vraiment la faute des immigrés s'ils ne s'intègrent pas et se retournent souvent contre les pays qui les ont accueillis ? Ce n'est pas un hasard si dans de nombreux attentats terroristes mortels, les auteurs étaient des immigrés de la deuxième génération. Est-ce parce que l'extrême droite a instrumentalisé et distillé ces peurs au profit de la xénophobie et du racisme ? Quoi qu'il en soit, il s'agit de deux positions diamétralement opposées et incompatibles : l'une pour l'ouverture des frontières, l'autre contre. Une ouverture partielle des frontières n'a aucun sens.»
Le courage politique est possible et indispensable
Dans une tribune à La Libre Belgique, Joke Dillen, de l'ONG belge Caritas International, appelle l'UE à s'inspirer de la manière dont elle a accueilli les réfugiés ukrainiens :
«Le nouvel accord bétonne des pratiques dont on sait qu'elles ont des conséquences humanitaires dramatiques. … Les gouvernements européens doivent assumer leurs responsabilités en matière de droit international relatif aux réfugiés, et garantir des procédures d'asile efficaces et un accueil digne. ... Cela demande à la fois du temps et du courage politique. Ce même courage politique qui a rendu possible la protection temporaire accordée aux Ukrainiens et Ukrainiennes. Rebâtissons sur cette solidarité les bases d'un modèle européen d'accueil, qui garantisse les droits fondamentaux et la protection de toute personne, quel que soit son pays d'origine.»
Nous avons tous besoin d'un havre de sécurité
A l'occasion de la Journée mondiale des réfugiés, The Times of Malta appelle à davantage d'empathie :
«D'une manière ou d'une autre, et à des niveaux différents, nous comprenons tous ce que signifie la perte. D'une manière ou d'une autre, et à des niveaux différents, nous savons tous ce que cela signifie quand le sol se dérobe sous nos pieds. Nous avons peut-être la chance de ne pas savoir ce que cela signifie de fuir notre pays. ... Nous avons peut-être la chance de ne pas savoir ce que cela signifie de devoir s'acclimater à un nouveau pays, avec l'étiquette 'réfugié' suspendue, tel un nuage noir, au-dessus de nos têtes. ... Ce qui est sûr, c'est que nous serions tous à la recherche d'un havre de sécurité - c'est-à-dire une forme de protection internationale - pour nous, pour nos enfants, dans le cas où nous en aurions besoin.»
Moscou veut relancer la crise des réfugiés en Europe
Le Point explique pourquoi, selon lui, de nombreux migrants tentent à nouveau de traverser la Méditerranée aujourd'hui :
«Les migrants sont devenus une arme géopolitique, et pas seulement pour la Turquie. L'Adriana, parti d'Egypte, a embarqué ses passagers à Tobrouk, dans la partie orientale de la Libye sous contrôle de la milice russe Wagner [avant de faire naufrage au large de la Grèce]. Beaucoup de migrants arrivent à Tobrouk en avion depuis la Syrie, elle aussi largement sous contrôle russe. De là, les départs clandestins en bateau vers l'Italie ont nettement augmenté ces derniers mois. Tout se passe comme si le Kremlin avait jugé opportun de relancer la crise des réfugiés pour faire le jeu des extrémistes et attiser les tensions en Europe, sur fond de guerre d'Ukraine.»
Séparer l'immigration de l'asile
Le journal Kleine Zeitung appelle l'UE à fermer complètement toutes ses frontières :
«L'Europe a incontestablement des responsabilités. Autant que possible, il faut financer les centres d'accueil pour y favoriser des conditions dignes. Mais pour éviter des morts, il est indispensable de séparer clairement l'immigration de l'asile. Et pour réaliser cette séparation, nous devons non pas ouvrir, mais fermer catégoriquement nos frontières. ... Ceux qui souhaitent venir en Europe pour des raisons économiques ne devront pas être autorisés à venir simplement, mais devront se soumettre à une procédure légale, formelle et sécurisée, dans le cadre de quotas supportables. Sinon : pas d'accès. En revanche, ceux qui sollicitent réellement l'asile doivent bénéficier d'une protection le plus près possible géographiquement de leur pays d'origine.»
On ne fait que déplacer le problème
Deutschlandfunk critique le nouveau compromis européen sur l'immigration et les accords prévus avec des pays tiers comme le Maroc, la Tunisie ou le Rwanda :
«Ce projet sape de façon durable les valeurs morales que l'Europe, et l'Allemagne notamment, se plaisent à promouvoir. Il s'agit ni plus ni moins de sous-traiter - contre de grosses sommes d'argent - le sale boulot à des régimes qui ne sont déjà pas tendres avec leurs propres citoyens, et qui le seront encore moins avec des exilés : ce sale boulot consiste à tenir à l'écart de l'Europe des personnes en détresse. Si l'on a recours à de telles méthodes, il faut au moins le dire ouvertement ... . La stratégie qui consiste à ériger des murs à tout prix déplace le problème - dans le meilleur des cas -, sans pour autant le résoudre. C'est aussi une vérité qu'il faut entendre.»
Offrir davantage de perspectives aux pays de départ
Le naufrage du bateau de migrants en Grèce prouve que la dissuasion n'est pas une solution, estime De Morgen :
«L'isolement ne peut être que la moitié de la politique. L'autre moitié, c'est la coopération et le commerce avec les pays et les régions que fuient les migrants en quête d'une vie meilleure. Il ne faut pas dissuader ces personnes de tenter leur chance, ni les condamner à mort en mer, mais leur offrir plutôt la possibilité de trouver le bonheur plus près de chez elles. ... La coopération au développement pourrait être l'un des piliers de la politique étrangère et de la politique commerciale. Mais qui oserait, de nos jours, servir ce discours à son électorat ?»
Eliminer les causes de l'immigration irrégulière
Pour The Observer aussi, l'Europe a sa part de responsabilité dans la situation des pays d'origine des réfugiés et des migrants :
«Certains pays européens dont le Royaume-Uni ont omis de mettre en place une approche humaine, cohérente et efficace face aux défis de l'immigration irrégulière. ... Il est urgent de reconnaître les causes fondamentales de ce phénomène et de les traiter à la racine. Cela doit se traduire par une coopération étendue et systémique avec les pays d'origine et de transit. ... Et par plus (et non moins) d'aide au développement et de soutien. Il faut également reconnaître que les principales causes de l'immigration irrégulière sont les crises alimentaires, les inégalités, les conflits et la crise climatique - des problèmes que l'Occident a contribué à créer.»