La Grèce exclue de Schengen ?
Dans la crise des réfugiés, Athènes est de plus en plus abandonnée à son sort : suite à la fermeture de la frontière macédonienne aux réfugiés afghans dimanche, des milliers de migrants se trouvent bloquées en Grèce. A l'initiative de l'Autriche, un sommet des Balkans doit se tenir à Vienne sur la question des réfugiés, mais aucun représentant grec n'y a été convié. Est-on en train d'exclure la Grèce de l’espace Schengen ?
L'UE en passe de commettre un suicide géopolitique ?
Les représentants de la Grèce n’ont pas été invités au sommet de Vienne sur les Balkans, ce qui provoque l’ire d’Athènes. A juste titre, estime le journal économique libéral Il Sole 24 Ore :
«Pour Vienne, donc, qui est déjà prête à colmater le tunnel du Brenner en déployant 100 douaniers supplémentaires à ce poste-frontière, soit le nombre d’agents présents avant 1995, année d’entrée en vigueur de Schengen, Athènes fait bien partie du problème et non de la solution. L’UNHCR a pourtant fustigé la nouvelle politique frontalière adoptée par l’Autriche et les pays des Balkans, soulignant qu’elle se faisait au détriment de la Grèce. Sur la question des réfugiés, l’Europe semble être à nouveau tentée de résoudre le problème par un Grexit, en l’occurrence l'expulsion du pays de l’espace Schengen. Mais cette perte, au final, équivaudrait à un suicide géopolitique pour Bruxelles.»
Athènes sombrera dans le chaos
Les réfugiés qui affluent en Grèce se retrouvent graduellement tous bloqués dans le pays, ce qui rend la situation de plus en plus explosive, souligne le journal en ligne libéral To Vima :
«Il est évident que tout le pays va se transformer en un gigantesque 'hotspot'. … La situation est devenue chaotique et nombreux sont ceux qui craignent des violences et des évènements incontrôlables dans un avenir proche. Les édiles des communes concernées par l’afflux de réfugiés se décrivent eux-mêmes déjà comme des 'gestionnaires du chaos', car ils ne reçoivent l’aide de personne. La Grèce pourrait effectivement se transformer en un camp à ciel ouvert, ce qui serait très dangereux pour les réfugiés et les habitants. L’Etat grec ne fonctionne plus, comme l’a souligné récemment le Premier ministre bulgare avec dédain. La Grèce ne compte aucun allié sur cette question et elle sera probablement bientôt confrontée à une crise nationale.»
Vers une recrudescence de l'europhobie en Grèce ?
Les pressions actuellement exercées sur la Grèce pourraient attiser les sentiments anti-européens dans le pays, prévient l'édition anglophone du quotidien conservateur Kathimerini :
«Le risque que l’opinion publique devienne hostile à l’Europe est de plus en plus palpable. Si les scénarios relatifs à l’instauration d’une nouvelle frontière de l’UE le long des confins méridionaux de la République de Macédoine devaient se réaliser, ceci ne ferait que renforcer l’impression des Grecs d’être isolés du reste du bloc européen. Nous déplorons aujourd’hui l’absence de véritable leadership, et si le ressentiment anti-européen repart de plus belle, associé cette fois-ci à un certain désespoir, on peut facilement imaginer une large partie de la population adhérer à une nouvelle chimère, semblable à celles qui ont mené le pays au désastre par le passé. Il est facile de commettre des erreurs quand une nation entière est si fatiguée et si déçue.»
L'immoralité des Etats de l'UE
Les Européens devraient bien se garder de jeter la pierre à la Grèce dans la crise des réfugiés, souligne le chroniqueur Pantelis Boukalas dans la version anglophone du quotidien conservateur Kathimerini :
«Les Etats européens se livrent aujourd’hui à une surenchère pour abaisser le plafond que les réfugiés sont autorisés à garder sur eux en argent et en biens. L’idée du Danemark a gagné différentes régions : au Danemark même, le 'patrimoine maximum' d’un réfugié a été fixé à 1 340 euros, contre 915 euros en Suisse, 750 euros en Bavière et seulement 350 euros en Bade-Wurtemberg. Or nombreux sont ceux qui trouvent ce montant encore trop élevé. … Même si la Grèce a pris du retard dans la mise en place des 'hot-spots', qui a donc donné aux caïds de l’Europe l’autorité morale pour la menacer ?»
La Grèce n'a pas joué son atout au moment propice
Au début de la crise des réfugiés, Athènes aurait eu un atout dans son jeu face à ses créanciers et aux partenaires européens, mais elle a laissé filer l’occasion, regrette le chroniqueur Giannis Kibouropoulos dans le quotidien de gauche Avgi :
«[Dès le mois de juin], le nombre des réfugiés était en forte hausse. C’est un échec paradoxal du gouvernement que d’avoir galvaudé un véritable atout - sur les plans de la morale, de la politique, de la communication et de l’économie - qui est devenu un handicap fatal. Admettons que les dirigeants européens n’aient vraiment rien eu à craindre d’un Grexit en juin ; pourront-ils accepter aussi placidement une dissolution de l’espace Schengen ? Nous autres Grecs pourront changer de passeports. Mais les dirigeants européens pourront-ils encaisser l’énorme augmentation du coût du transport de marchandises ?»
Rien n'incite Athènes à coopérer
Faisant écho à plusieurs ministres européens de l’Intérieur, la Commission européenne a reproché mercredi à Athènes de manquer à ses obligations dans les contrôles aux frontières et l’enregistrement des réfugiés. Il est catastrophique qu’il incombe à la Grèce de protéger la frontière extérieure la plus décisive de l’UE, écrit le quotidien conservateur Die Welt :
«Malmenée par la crise, la société grecque - dans laquelle la moitié des personnes en âge de travailler est au chômage - n’offre aucune espèce de perspectives aux migrants. Or en tant que membre le plus faible mais aussi le plus récalcitrant de l’UE, la Grèce est le point de chute idéal pour les réfugiés. En effet, elle n’expulse personne, laissant ainsi tout un chacun entrer dans le club très prisé des riches européens. Sachant que la facture de cette générosité sera envoyée à d’autres pays, notamment à l’Allemagne, rien n’incite les Grecs à œuvrer pour une solution.»
Schengen : l'exclusion de la Grèce compromettrait la Bulgarie
Une exclusion de la Grèce de l’espace Schengen se traduirait par un afflux massif de réfugiés vers la Bulgarie, met en garde le quotidien Trud :
«Jusqu’ici, la Bulgarie s’est presque exclusivement concentrée sur la sécurisation de la frontière extérieure de l’UE avec la Turquie. Si la Grèce devait être exclue de Schengen et si la Macédoine se trouvait dans l’obligation de verrouiller ses frontières pour ne pas se voir submergée par la vague de réfugiés, la pression augmenterait encore pour la Bulgarie le long de ses frontières sud et sud-est. … Le même scénario menacerait de se produire si le nord de la Grèce et la Macédoine étaient déclarées zones-tampons destinées à l’accueil de réfugiés, comme l’ont d’ores et déjà suggéré les ministres de l’Intérieur de l’UE. Depuis le début de l’année, plus de 50 000 personnes ont franchi la frontière maritime entre la Turquie et la Grèce et la moitié d’entre elles sont déjà en route vers l’Europe de l’Ouest et du Nord.»
L'UE mal placée pour jeter la pierre à la Grèce
Les partenaires européens feraient mieux de balayer devant leur propre porte, écrit le quotidien libéral Ethnos :
«Ceci vaut surtout pour les partenaires européens, qui affirment que ce problème ne regarde que nous et que nous avons échoué à le gérer. Ce problème concerne tous les membres de l’UE, et seule une action et une coopération communes peuvent aboutir à une solution. Il est certain que nous devrions être plus rigoureux vis-à-vis de certaines de nos obligations. Mais l’UE devrait elle aussi être plus efficace dans la planification et la mise en œuvre. … Si ces conditions étaient remplies en temps voulu, on pourrait éviter beaucoup de choses. L’UE n’ayant pas réussi à amener la Turquie à honorer ses engagements, il faut commencer à chercher les responsables à Bruxelles. Ou à Berlin.»
La balle est dans le camp d'Ankara, pas d'Athènes
Les quatre Etats du groupe de Visegrád – Tchéquie, Pologne, Hongrie et Slovaquie – se sont joints au concert de remontrances adressées à la Grèce, pour sa supposée incapacité à refouler les réfugiés. De son côté, le quotidien libéral Dennik N blanchit Athènes, et voit plutôt le nœud du problème en Turquie :
«La Grèce ne peut arrêter les réfugiés, pas parce qu’elle en est incapable, mais en raison de ses frontières maritimes. Tout ce qu’Athènes pourrait faire serait de torpiller les embarcations de réfugiés avant de ramasser les cadavres sur les plages. La marine grecque a beau être puissante, sa mission première ne peut être que de sauver des réfugiés. Sans le consentement de la Turquie, elle ne peut même pas reconduire les réfugiés sur la côte asiatique. La Turquie, pour sa part, ne manifeste aucun intérêt à coopérer, son seul souci étant de se débarrasser des réfugiés.»
Les pays périphériques à nouveau sous pression
La pression actuellement exercée par la France, l’Allemagne ou la Belgique sur la Grèce en matière de surveillance des frontières est tout à fait caractéristique du comportement des pays centraux de l’UE, estime le quotidien conservateur The Daily Telegraph :
«Ce n’est pas la première fois ces dernières années que l'UE révèle sa nature impérialiste. Pendant la crise financière, les Etats membres affaiblis comme la Grèce et le Portugal avaient été sanctionnés pour avoir bafoué les règles plafonnant la dette et l’emprunt, règles que des pays comme la France et l’Allemagne avaient eux-mêmes enfreintes en toute impunité. … La tendance dominante au sein du noyau dur de l’UE est troublante pour quiconque apprécie la démocratie. Or cette attitude intervient alors même que la Grande-Bretagne s’interroge sur ses futurs liens avec l’UE. Pour que ces relations soient acceptables aux yeux du peuple britannique, il faudra préserver et respecter la souveraineté du pays. De ce point de vue, la réponse européenne à la crise des réfugiés n’est pas de bon augure.»
La Grèce n'y arrivera pas seule
Augmenter la pression sur la Grèce ne suffira pas à réduire le nombre de réfugiés en route vers l’Europe, selon le site de la radio publique Deutschlandfunk :
«La Grèce bénéficie à présent d’aide, mais elle doit aussi s’attacher à remplir son contrat avec un peu plus d’ardeur. Actuellement, Athènes ne déborde pas de zèle pour retenir les demandeurs d’asile, qui affluent vers le nord sans contrôle et sans enregistrement. Les allusions - qui pourraient être plus subtiles - de certains pays de l’UE qui menacent de bouter la Grèce hors de Schengen si rien ne change ou si les choses changent trop lentement, augmentent la pression sur le pays. … Mais même si elle fonctionnait parfaitement, la frontière extérieure grecque ne pourrait remplir sa fonction qu'à deux conditions : premièrement, que la Turquie ne laisse pas entrer en Europe quiconque le souhaite et qu’elle reprenne, le cas échéant, les demandeurs d’asile déboutés. Et deuxièmement, que les demandeurs d’asile soient répartis équitablement dans l’UE.»
Encore la faute de la Grèce...
L’UE rejette désormais la responsabilité de son propre échec sur la Grèce, déplore le quotidien de centre-gauche Delo :
«Comme si dans la crise des réfugiés, la Grèce, appelée à gérer des tragédies humaines, devenait le bouc émissaire de l’incapacité de l’ensemble de l’UE. Si Schengen est au bord de l’explosion, ce n’est pas parce que la Grèce, pays comparativement petit, n’arrive pas à endiguer l'afflux historique de réfugiés. Si l’Europe risque de perdre l’un de ses plus grands acquis depuis la guerre, on le doit aussi à l’UE. Celle-ci n’est pas prête à mettre en œuvre une solution globale qui prévoie d’aider les réfugiés directement au Proche-Orient et de répartir le fardeau entre les différents pays de l’UE.»
Faut-il désormais rejeter les réfugiés en mer ?
Demander aux pays d’Europe méridionale de "colmater" leurs frontières maritimes est aussi inhumain qu’insensé, fulmine le quotidien libéral conservateur Corriere della Sera :
«Il paraît bien loin, le petit corps sans vie d'Aylan Kurdi, retrouvé en septembre sur une plage de Bodrum, en Turquie. Fini, l’onde d’émotions que ce sacrifice symbolique avait provoqué en Europe et fini, également, l’invitation généreuse lancée par Angela Merkel à un nombre illimité de réfugiés syriens. Aujourd’hui, bien que des enfants meurent par dizaines en mer Egée, la chancelière a dû changer de ton. Or la voie privilégiée désormais, en plus de ressembler beaucoup à une condamnation définitive de Schengen, semble injuste vis-à-vis de l’Italie et de la Grèce. L’Allemagne et l'Autriche, si elles le désirent, peuvent rétablir les contrôles à leurs frontières terrestres. Mais que devraient donc faire l’Italie et la Grèce, face à une embarcation en train de couler et remplie d’êtres humains qui tentent de rallier leurs côtes ? Rejeter l’esquif, au motif que Schengen a été suspendu ailleurs, et laisser les réfugiés se noyer ?»
Avec l'UE, Athènes a poussé le bouchon trop loin
Les ministres de l’Intérieur autrichien et allemand menacent d’exclure la Grèce de l’espace Schengen si le pays n’arrive pas à réduire l’afflux de réfugiés sur son territoire. Athènes a perdu la confiance de ses partenaires, déplore le journal économique Naftemporiki :
«Ce serait une évolution extrêmement défavorable pour les citoyens grecs, mais aussi pour l’ensemble de la communauté, car on avance dans la direction de ce que tout le monde redoute : la suppression du principe de libre circulation des personnes et des marchandises, sur laquelle repose la construction européenne. Et nous aurions une part de responsabilité dans ce développement. Pas parce que nous ne surveillons pas nos frontières, mais parce que nous avons perdu nos alliés européens les uns après les autres, et parce que nous érigeons devant eux des murs que seul le gouvernement ne voit pas. … A leurs yeux, nous sommes déjà hors-jeu.»
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