Merkel va-t-elle freiner le zèle réformateur de Macron ?
Jeudi, le président français Emmanuel Macron s'est rendu à Berlin pour soumettre ses projets de réforme à la chancelière allemande Angela Merkel. En dépit de divergences ouvertes, celle-ci s'est engagée à élaborer un compromis d'ici fin juin. Les journalistes s'interrogent sur les réticences de la chancelière.
Merkel sous la pression de son propre camp
Lors de sa première réception de Macron il y a un an, Merkel avait cité avec enthousiasme Hermann Hesse, 'En tout commencement un charme a sa demeure'. Il faut croire que le charme est rompu, se moque Paolo Valentino, correspondant à Berlin de Corriere della Sera :
«Car jamais auparavant Merkel n'a subi une pareille pression venant de la CDU-CSU, qui a fixé à la chancelière des limites à ne pas franchir sur le dossier de la réforme de la zone euro. Il importait donc en tout premier lieu d'apaiser les craintes de sa famille politique, ce qui explique que Merkel ait insisté sur les efforts que chaque pays doit fournir et sur la rigueur budgétaire. ... Comme si elle avait voulu détourner l'attention de la question centrale controversée, elle a habilement et abondamment évoqué d'autres réformes importantes de l'UE.»
Volatilisés les espoirs de réforme
Si la chancelière allemande n'a pas douché ouvertement tous les espoirs de Macron, elle n'a pas non plus signalé son soutien à ses réformes, constate le quotidien taz avec déception :
«Merkel a débité des lieux communs en enfilade. En politique européenne, deux devises ont cours : l'argent et les symboles. Dans la première, Merkel ne veut pas payer ; dans la seconde, elle en est incapable, elle pour qui la politique est une technocratie. Pendant ce temps, le SPD s'esquive. Fait alarmant, le groupe pro-UE en Allemagne qui n'est pas persuadé que l'Europe entière n'en veut qu'à notre argent se réduit à peau de chagrin : une poignée de sociaux-démocrates, un nombre encore inférieur de membres du CDU et les Verts. Evaporé l'espoir que Merkel puisse profiter de ce dernier mandat pour entrer dans les annales de l'histoire comme une visionnaire européenne, qui ne se laisse pas dissuader par des râleurs dans les rangs de son parti.»
L'Europe a besoin d'un rééquilibre
Dans La Tribune, le politologue Jean-Christophe Gallien appelle Macron à lutter contre la domination allemande en Europe :
«Comme en Football au siècle précédent : 'L'Europe est un jeu qui se joue à 28 … et à la fin c'est l'Allemagne qui gagne !' Voilà un vrai défi concret pour Emmanuel Macron qui aspire à s'incarner en Captain Europa et faire respecter les intérêts collectifs européens dans une Europe plus équilibrée et démocratique. La réponse passe par une véritable stratégie d'influence partout et pour tout en Europe, à commencer par le Parlement Européen, en le considérant à sa juste mesure et non pas comme une assemblée du rattrapage électoral ou pire comme une maison de préretraite.»
Sans imagination et déconnecté des réalités
Pour Magyar Hírlap, absolument rien n'est ressorti de la rencontre entre Macron et Merkel, empêtrés qu'ils sont dans un déni de réalité :
«Merkel et Macron sont d'accord sur un point : la première priorité est la réorganisation de la politique européenne en matière de réfugiés. Selon eux, outre la protection commune des frontières européennes extérieures, il importe de répartir les réfugiés parmi les Etats membres en fonction de quotas, sous le signe de la 'solidarité interne'. C'est la preuve que les deux Etats membres les plus puissants, aux côtés de la bureaucratie bruxelloise, ne sont capables ni de prendre note de la réalité, ni d'innover. Et qu'ils ne font de compromis que lorsqu'un gouvernement démocratique est suffisamment fort pour défendre face à eux l'identité nationale, la culture et la souveraineté de son pays.»
La pierre d'achoppement de toute réforme de l'UE
Ce n'est pas un hasard si les projets de réforme de l'UE restent généralement lettre morte, rappelle Der Standard :
«Le conflit de base demeure : au vu des contraintes, l'Europe ferait bien de serrer les rangs car aujourd'hui, la quasi-totalité des problèmes ne s'arrêtent pas aux frontières nationales. Et pourtant, le baromètre de l'opinion indique une autre tendance. Pour peu que l'UE prenne une mesure efficace, on s'empresse de dire que les élites gouvernent en court-circuitant le peuple. Et quand elle ne prend pas le taureau par les cornes, on lui reproche de ne pas résoudre les problèmes. Le biais eurosceptique du gouvernement Kurz est emblématique de ce phénomène, quoi que les autres pays - France y compris - ne fasse guère mieux. C'est un dilemme auquel la rhétorique de Macron ne saura rien changer.»
Macron a les idées, Merkel le stylo rouge
Ilta-Sanomat ne pense pas que Merkel appuiera les initiatives de Macron :
«Il est probable qu'ils se présentent comme un duo harmonieux, soucieux de bâtir l'avenir en tirant dans le même sens. Mais Macron aura du mal à cacher sa déception. Le devenir des projets de réforme se conformera largement au modèle actuel : Macron présentera sa longue et ambitieuse liste de mesures et Merkel rayera de l'ordre du jour le plus clair des initiatives les plus audacieuses. ... Elle peut y procéder indirectement, en commençant par les soutenir avant d'exiger tout de suite après une modification préalable des traités européens, indispensable à leur mise en œuvre.»
De l'importance d'une nouvelle alliance franco-allemande
Pour l'avenir de l'Europe, il est indispensable que la France et l'Allemagne serrent les rangs, estime Delo :
«La Russie et d'autres Etats illibéraux se montrent de plus en plus agressifs, tandis que de lourds affrontements militaires menacent au Proche-Orient. Sur cette toile de fond, l'Europe et l'Occident devraient prendre la mesure des acquis de l'Histoire et de la civilisation, sur un continent qui avait engendré les deux guerres mondiales. Les nationalistes récusent l'affirmation selon laquelle l'Union est le principal garant de la paix et de la prospérité sur le Vieux Continent. La coopération entre l'Allemagne centriste et la France n'en est donc que plus importante. Espérons que l'on aboutisse à des accords économiques et politiques raisonnables.»
Un sursaut proeuropéen
Dans une tribune au journal Le Monde, des eurodéputés de différents partis et pays apportent leur soutien au projet de Macron :
«Les partis politiques proeuropéens n'ont pas su apporter de véritables réponses aux questionnements de nos concitoyens sur l'utilité des institutions européennes. Incapables de donner une vision, un visage concret et humain à l'Europe, ils ont abandonné le discours européen aux thuriféraires de sa destruction. La France a la chance d'avoir un président qui a mis l'Europe au cœur de son action politique. … L'Allemagne, en parallèle, vient de former une coalition de gouvernement répondant à ces ambitions proeuropéennes réaffirmées. Indéniablement, et malgré les nationalistes et populistes en embuscade, un sursaut proeuropéen a eu lieu. Ce souffle doit poursuivre sa route en Europe pour contrer l'avancée inexorable des antieuropéens.»
Paris et Berlin intervertissent les rôles
Les réformes de l'UE ne sont plus prioritaires pour Berlin, regrette El Periódico de Catalunya :
«Il semblerait que l'impulsion réformiste ait changé de camp. Et si, jusqu'à récemment, l'Allemagne se heurtait aux réticences de Paris, notamment sur le projet d’une Europe fédérale, c'est maintenant la France qui est prête à aller vers une plus grande souveraineté européenne, comme moyen de combattre le nationalisme, l'égoïsme et le populisme. Emmanuel Macron et Angela Merkel se retrouvent demain à Berlin pour adopter une position commune, mais les espoirs sont modérés. L'Allemagne, après plusieurs mois sans gouvernement, ne semble pas donner la priorité au projet européen.»
Des partenaires aléatoires
Delo doute que le président français réussisse à mettre en œuvre son agenda :
«S'il est vrai que Macron a récolté de nombreux éloges au Parlement européen, il n'en reste pas moins qu'il aura besoin, à Berlin et ailleurs, de partenaires forts pour mener à bien ses projets. Pour l'instant, personne ne le suit. Au contraire, le camp d'Europe du Nord se montre de plus en plus dubitatif. Il semblerait que ce soit surtout en France que se mène le combat de Macron - malgré ses grandes paroles au sein de l'UE. S'il réussit ses réformes dans son pays, il pourra conclure sur la scène européenne des alliances plus crédibles et plus efficaces. S'il doit attendre trop longtemps que les partenaires européens fassent preuve de davantage de bonne volonté, Macron pourrait céder à la frustration.»
Euphorique mais isolé
Tant que Macron laissera de côté toute une série d'Etats membres, il ne réussira guère à faire avancer sa réforme, explique Neue Zürcher Zeitung :
«Si Macron veut mener le combat pour la souveraineté européenne, beaucoup de citoyens en Pologne, Hongrie, Italie ou d'autres pays ne perçoivent pas ce combat comme un combat mené pour eux, mais comme un combat mené contre eux. Or cela, le président français ne semble pas le percevoir. ... Beaucoup de pays d'Europe ne partagent pas l'euphorie de Macron quant à l'intégration européenne. La souveraineté nationale et l'identité sont des préoccupations croissantes. La démocratie ne se définit pas uniquement à Paris, Berlin et Bruxelles mais aussi à Varsovie, Budapest et Rome. Si l'UE veut poursuivre son développement, elle doit respecter cette diversité.»
Fini l'axe Paris-Berlin
Le président français ne peut plus compter sur le soutien de Berlin pour appuyer une réforme en profondeur de la zone euro, analyse Financial Times :
«L'enthousiasme d'Emmanuel Macron pour l'intégration européenne contraste avec la réalité politique, car la France et l'Allemagne ne sont plus des alliées naturelles. En Allemagne, les partis pro-européens sont en perte de vitesse, contrairement à la situation en France. Le parti d'Angela Merkel a perdu un million de voix, qui se sont rabattus vers les Libéraux du FDP ou l'AfD - deux formations dont les programmes politiques entraîneraient la destruction de la zone euro. Soixante députés CDU/CSU avaient voté contre le programme d'aide à la Grèce en 2015. Confrontée à une rébellion comparable aujourd'hui, la grande coalition n'obtiendrait plus la majorité parlementaire.»
Mauvais pour la zone euro, bon pour l'UE
Pour la cohésion de l'UE, il serait bon de freiner Macron, explique Adelina Marini sur son blog euinside :
«Lorsque Donald Tusk affirme que le renforcement (et non le parachèvement) de l'union bancaire et la poursuite du Mécanisme de stabilité européen (MES) ont la priorité, on aurait tort de nourrir de trop grands espoirs pour le train de réformes qui doit être présenté en juin. Le créneau qui s'était ouvert pour une réforme de la zone euro s'est refermé. ... En faisant pression pour que les pays n'ayant pas adopté l'euro continuent d'avoir leur mot à dire sur le devenir de la zone euro, les petits membres de l'UE ont déjoué le projet de scission de la zone euro en une zone à vitesse supérieure se détachant du reste. Si la nouvelle est mauvaise pour la zone euro - elle est bonne pour l'UE.»