Tragédie de Gênes : à qui la faute ?
Après l'effondrement du viaduc autoroutier à Gênes, qui a coûté la vie à plus de 40 personnes, l'Italie cherche des coupables. Le ministre de l'Economie, Luigi Di Maio, tient l'opérateur Autostrade pour responsable du drame. Le ministre de l'Intérieur, Matteo Salvini, fustige quant à lui les règles budgétaires de la zone euro. Les chroniqueurs estiment pour leur part que l'Etat est fautif.
La bêtise abyssale de l'Etat italien
Les conséquences financières de l'effondrement du pont s'avèrent bien plus élevées que ne l'aurait été la construction d'un nouveau pont, souligne Jutarnji list :
«Le port est privé de liaison autoroutière, mais aussi de liaison ferroviaire, les voies étant ensevelies sous les décombres du viaduc. Il sera dès lors plus coûteux et plus difficile d'acheminer le pétrole à destination d'Europe du Nord, et les touristes auront du mal à rallier le port pour se rendre en Sardaigne ou monter à bord des bateaux de croisière. ... Il fallait vraiment être idiot pour mettre en jeu cinq milliards d'euros au lieu d'investir deux millions - somme qui correspond au prix d'un nouveau pont.»
Les coteries chassent les plus compétents
La tragédie de Gênes est révélatrice d'un problème fondamental, relève The Guardian :
«L'Italie produit de bons ingénieurs civils. Mais en l'absence de méritocratie, ils décrochent rarement de contrats. Ce ne sont pas les plus compétents qui s'imposent, mais ceux qui disposent des meilleurs réseaux. Avant la construction du viaduc de Gênes, un ouvrage de l'ingénieur Riccardo Morandi s'était déjà en partie écroulé au Venezuela. ... L'absence de méritocratie se fait autant sentir en Italie aujourd'hui que dans les années 1960 : la plupart des meilleurs médecins, scientifiques et financiers ont quitté le pays. L'Italie d'aujourd'hui est autant marquée par l'arrivée de migrants que par le départ de ses propres citoyens à l'étranger.»
Il y a quelque chose de pourri en Italie...
Après la mort des ouvriers agricoles, l'effondrement du viaduc de Gênes est déjà le deuxième drame que connaît l'Italie cet été. Il y a un dénominateur commun, estime l'historien Ernesto Galli della Loggia dans Corriere della Sera :
«Il s'agit d'un affaiblissement de l'Etat - jusqu'à sa disparition complète -, qui néglige l'une de ses fonctions essentielles : la capacité à mener des contrôles et à prendre des sanctions. ... C'est bien connu, le légalisme des Italiens laisse souvent à désirer. Mais le pays s'est tellement habitué à l'absence de contrôle et de sanctions, à l'impunité grandissante, que celles-ci deviennent la substance même de l'anthropologie nationale. ... Elles sont en train de générer un climat social funèbre, qui risque de faire de l'Italie une anomalie totale en Europe occidentale.»
Maintenant, l'austérité fait encore plus peur
Les privatisations et la politique d'austérité menées un peu partout sont à l'origine des problèmes au niveau des infrastructures, juge Libération :
«Cette tragédie nous frappe aussi parce que les ponts font partie de notre quotidien, nous les utilisons sans même y penser, convaincus de leur fiabilité, rassurés par ces milliards de kilos de béton coulés dans la masse. Si même le béton n'est plus fiable alors qui l'est ? Enfin, à l'heure où les Etats européens cherchent quasi tous à rogner les budgets pour économiser sur tel ou tel poste, et souvent à transférer au privé des responsabilités jusqu'alors publiques, on ressent un frisson d'angoisse à l'idée que 70 pour cent des 15 000 ponts italiens aient plus de 40 ans ou que 7 pour cent des ponts français soient aujourd'hui à risque.»
Partout, le béton rend les armes
Les structures en béton armé sont en pleine déréliction de par le monde, prévient The Economist :
«Il faut remettre en question les pratiques relatives au contrôle et à la maintenance, et pas qu'en Italie. Les ponts en Europe, aux Etats-Unis et en Asie montrent des signes de détérioration. Une étude qui remonte à l'année 1999 avait révélé que 30 pour cent de tous les ponts routiers examinés en Europe présentaient des défauts, souvent liés à la corrosion des armatures. ... Les structures en béton armé sont très répandues partout ; il s'agit d'un problème international. L'effondrement du viaduc Morandi nous montre qu'il ne peut plus être occulté davantage.»
L'Italie est prisonnière de l'euro
L'Italie paye le prix de son adhésion à la zone euro et de sa dette élevée, écrit The Daily Telegraph :
«Et tout comme il est courant que les immeubles, en particulier dans le sud de Rome, explosent en raison de fuites de gaz, il n'est pas rare que les infrastructures vétustes de l'Italie provoquent des morts effroyables. … Pour régler le problème, il faudrait emprunter des sommes considérables, mais l'Italie est prisonnière de l'euro et sa dette publique atteint déjà 132 pour cent du PIB (la quatrième dans le monde parmi les grands pays), ce qui lui coûte 80 milliards d'euros par an en intérêts.»
Le bouc émissaire de Salvini
Il est insensé que le ministre de l'Intérieur, Matteo Salvini, accuse la politique d'austérité de l'UE d'être responsable du drame, juge en revanche 444.hu :
«L'UE vient justement d'autoriser l'Italie à dépenser dix milliards d'euros pour développer ses infrastructures. Il a même été souligné à quel point ces investissements étaient nécessaires. Il en était question depuis longtemps déjà à Gênes, et le pont Morandi avait même été évoqué. L'opposant le plus farouche à ces investissements était justement le Mouvement 5 Etoiles. … La classe politique italienne, quelle que soit son orientation, doit cesser de toujours rendre les autres coupables de ses propres échecs, que ce soit les migrants, l'UE ou l'euro.»
Une usurpation minable du deuil
Pour De Morgen, les accusations de Salvini sont le comble du mauvais goût :
«Avant même que les victimes n'aient été identifiées, Salvini a trouvé le coupable : l'Europe, qui d'autre ? Il faut vraiment être petit pour exploiter ce moment de deuil au profit de sa guéguerre politique. L'explication de Salvini est ridicule, simpliste et ne vise qu'à marquer des points auprès des électeurs. Le fait est que le populisme d'extrême droite mesquin a de nouveau le vent en poupe en Italie. Nous l'avons déjà écrit, et nous l'écrivons à nouveau : Matteo Salvini prouve que la racaille d'extrême droite, même lorsqu'elle arrive au pouvoir, reste une racaille d'extrême droite.»
Renationaliser les autoroutes
L'Italie devrait renationaliser ses infrastructures, préconise 24 Chasa :
«Les Italiens payent des péages autoroutiers parmi les plus élevés d'Europe. Le tronçon de 250 km reliant Rome à Florence coûte par exemple 18 euros. Un argent qui va directement dans les poches de la famille Benetton. D'après le vice-Premier ministre Luigi Di Maio, les Benetton gagnent des milliards, et fiscalement établis au Luxembourg, ils ne payent quasiment pas d'impôts. ... Pour résoudre le problème, il faudrait reconfier à l'Etat la gestion des autoroutes et élaborer un 'plan Marshall' dont le but serait de sécuriser les infrastructures italiennes, dont la majeure partie a été bâtie dans les années 1960 et 1970. ... Avant d'en arriver là, il vaudra mieux se signer par trois fois lorsqu'on traversera un pont en Italie.»
L'Italie ne croit plus en l'avenir
Le pays tombe en ruines parce qu’il s’oppose au progrès, déplore Corriere della Sera :
«L’Italie est un pays qui a été construit dans les années 1960, abandonné à lui-même depuis les années 1990 et a commencé à s’effondrer il y a dix ans. La raison à cela est que nous ne croyons plus au progrès. Tout semble plus important : l’environnement, l’austérité, les comités de citoyens, la Cour des comptes, la lutte contre le gaspillage et la corruption. Il y a toujours une bonne raison de ne rien faire. Une triste preuve de cet effondrement structurel est la controverse politique qui a éclaté alors que l'on n'avait même pas encore sorti les morts des décombres. … Le problème, c'est que depuis de nombreuses années, il n’y a eu ni travaux de maintenance, ni grands projets. … En cessant de planifier l’avenir, on perd également le savoir-faire dont on disposait pour gérer ce qui existe déjà.»
Les responsables ont ignoré le danger
Tous les avertissements ont été ignorés, regrette la Repubblica :
«Le pont n’était plus dans le même état qu’il y a 50 ans. Un constat tellement évident que l'opérateur Autostrade avait émis un appel d’offres à hauteur de 20 millions d’euros environ pour la réalisation de 'travaux de modernisation structurelle' du viaduc. … Il devait donc être solidifié et sécurisé. Ce qui signifie qu’il ne l’était pas suffisamment. … Cela aurait été suffisant, outre l’âge du pont et sa localisation, pour justifier des travaux d’entretien de grande ampleur. Au-delà des assurances que nous avons entendues au cours des dernières heures, il s’agit maintenant de déterminer si ces travaux exceptionnels ont effectivement été réalisés et quel rôle leur coût estimé a pu jouer.»
Ne pas s'énerver contre les travaux
Westfälische Nachrichten veut envoyer un message à tous les automobilistes :
«L'accident à Gênes n'a pas seulement ôté la vie à de nombreuses personnes et changé celle de leur famille et de leurs amis. Il nous concerne aussi. Dans les mois à venir, nous aurons tous une sensation étrange lorsque nous rouleront sur un pont, petit ou grand, et seront soulagés lorsque - comme d'innombrables fois auparavant - rien ne se passera. Il y a suffisamment de raisons de s'inquiéter sérieusement toutefois. Seuls douze pour cent des près de 40 000 ponts en Allemagne sont en bon ou très bon état. Près du même pourcentage affiche un état médiocre, et pour près de 800, il est insuffisant. La prochaine fois que nous nous trouverons dans un bouchon causé par des travaux sur une autoroute, au lieu de râler contre le temps perdu, mieux vaudra peut-être se réjouir que l'on fait enfin quelque chose pour améliorer notre sécurité.»