L'accord sur le Brexit déclenche une crise gouvernementale
Si Theresay May a réussi mercredi à faire valider le projet d'accord sur le Brexit par le cabinet, son approbation par la chambre basse s'annonce très incertaine. Cinq ministres et secrétaires d'Etat ont démissionné jeudi, parmi lesquels le ministre chargé du Brexit, Dominic Raab. Les avocats d'un Brexit dur veulent déposer une motion de défiance contre May. Les journalistes décrivent le dilemme auquel font face le pays et sa dirigeante.
Prise entre deux feux
La Razón voit rouge pour May et son accord sur le Brexit :
«Près de deux ans après le référendum sur le divorce entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, le gouvernement britannique se trouve confronté à deux dures réalités qu'il n'avait pas anticipées : l'unité monolithique des partenaires européens et la ténacité des conservateurs eurosceptiques, déterminés à suivre au pied de la lettre le résultat du référendum. Entre ces deux pôles, la Première ministre Theresa May, son avenir politique et celui de l'accord de Brexit sont sur la corde raide.»
Le jeu de prédilection des élites
Les tenants de la ligne dure ne pâtiront pas des conséquences de leur action, s'insurge Die Presse :
«Ils se comportent comme des collégiens gâtés pour lesquels le destin de la nation et de leurs concitoyens n'est qu'une blague, un petit jeu intellectuel auxquels ils se livrent dans leur club de discussion snobinard. ... Elitistes, ces fanatiques du Brexit se fichent comme d'une queue de cerise des effets qu'il aura sur le porte-monnaie et la vie de millions de leurs concitoyens. Ils n'ont pas de souci à se faire pour leur avenir. Il y a quelques mois, sans crier gare, Jacob Rees-Mogg [l'instigateur d'un vote de défiance contre May] a fondé en Irlande un fonds d'investissement pour pouvoir continuer de spéculer sur le marché européen. Quant à Boris Johnson, on sait qu'il avait préparé deux communiqués de presse avant l'issue du référendum : l'un pro-UE et l'autre anti-UE. Tout cela n'est pour lui qu'un petit jeu ; l'essentiel est qu'il ait mis son pécule en sécurité.»
May n'a pas dit son dernier mot
Dans Malta Today, Rob Pettitt explique pourquoi Theresa May pourrait rester la cheffe du gouvernement, en dépit de la rébellion dans les rangs de son propre parti :
«Malgré les vives critiques visant la gestion que May fait du Brexit, aucun des poids-lourds dans le camp des anti-UE n'a ouvertement défié son leadership à ce jour. Du reste, on est bien loin des 48 députés Tory requis à la chambre basse pour déclencher une motion de censure. Et quand bien même il s'en trouverait 48, il est assez probable que May remporterait le vote. A moins que quelqu'un ne se porte candidat comme successeur potentiel. Au vu de la tâche qui l'attendrait, il est peu probable que qui que ce soit monte au filet. Ce qui suggère que personne ne pense pouvoir faire mieux qu'elle.»
La Grande-Bretagne aurait été mieux lotie avec Cameron
Avant le vote sur le Brexit, l'UE avait fait d'importantes concessions au Premier ministre alors en poste, David Cameron, pour retenir la Grande-Bretagne dans son giron. Cet accord aurait été bien plus avantageux pour le pays que celui qui se profile aujourd'hui, souligne Roberto Sommella, spécialiste de l'UE, sur Huffington Post Italia :
«Quand on relit l'accord Cameron-Tusk, on constate que la Grande-Bretagne, si elle ne s'était pas mise dans cet abominable pétrin, aurait obtenu le droit de ne jamais entrer dans la zone euro, de ne pas débourser un kopeck pour les plans de sauvetage d'autres pays, de rester dans le marché unique, de défendre la position de la City comme haut-lieu de la finance et de bloquer les initiatives législatives qui la contrariaient. ... Initialement présenté comme un compromis, l'accord actuel est en réalité une réussite sur toute la ligne pour Michel Barnier et ses collègues eurocrates.»
Le Brexit doit être confirmé ou infirmé par un nouveau scrutin
Maintenant que les Britanniques savent à quoi s'en tenir, Aamulehti ne voit qu'une échappatoire :
«Les Britanniques feraient véritablement preuve de raison s'ils étudiaient le pavé de 600 pages de l'accord de sortie, discutaient de la chose sur la base des nouveaux faits et organisaient un autre référendum. ... La campagne du Brexit s'était caractérisée par les incertitudes et un alarmisme affolé. A présent, les citoyens devraient théoriquement connaître les conséquences et le coût d'une sortie. Pour cette raison, un nouveau vote devrait être organisé. Au vue de l'importance de la décision pour le pays, il serait intelligent d'y réfléchir à deux fois, voire à trois fois. Si une majorité reste favorable à la sortie, on pourra dire que la décision est vérifiée et confirmée.»
Un meilleur accord est un espoir illusoire
Dans The Daily Telegraph, Tom Harris estime qu'il n'existe pas de véritable alternative au compromis présenté par Theresa May :
«Il est temps que nous mettions fin à ce processus, qui semble interminable. Et l'accord que Theresa May vient de conclure avec l'UE semble être le meilleur moyen d'y parvenir. ... On ne peut pas toujours obtenir tout ce que l'on veut. Ce n'est pas un aveu d'échec mais une acceptation de la réalité. ... Un accord parfait est une vue de l'esprit - pour les deux camps. Et il n'y a qu'un seul accord sur la table. Les deux alternatives - un Brexit sans accord et un second référendum - mèneraient l'un à un préjudice économique, l'autre à une guerre civile politique.»
Droit dans le mur
Le vote du Parlement sera autrement plus délicat pour May. Pour Teresa de Sousa, correspondante de Público à Bruxelles, la Première ministre navigue à vue :
«Sa devise : tout ou rien. Le projet ne plaît quasiment à personne : ni aux extrémistes de son parti, ni à ceux qui sont prêts à se battre jusqu'au bout pour que le pays reste dans l'UE. On a du mal à concevoir pourquoi le gouvernement britannique et sa classe politique se sont fourrés dans pareil guêpier - mettant en péril l'avenir de 60 millions de Britanniques, et, de surcroît, pratiquement sans feuille de route évidente, sans objectifs clairs et sans stratégie de négociation pertinente.»
Merci pour le spectacle !
Bert Wagendorp, chroniqueur à De Volkskrant, remercie le Royaume-Uni pour le spectacle fort divertissant que le Brexit a donné à voir :
«Un résultat des négociations grandiose, du moins pour l'UE. Les sempiternels fauteurs de trouble ne sont plus dans le club mais sous tutelle, les exportations n'en pâtiront pas et Bruxelles touchera par dessus le marché une somme rondelette. Pour ceux qui régnaient jadis en maître sur les mers, c'est un drame. Tant de bruit pour rien du tout. Ils ont troqué leur adhésion contre la soumission - félicitations ! ... Alerte spoiler : le spectacle du Brexit est loin d'être fini. Les réjouissances continuent demain à la chambre basse. Il y aura des démissions de ministres et des mutineries de députés. Ils accuseront May d'avoir trahi la nation. Les Irlandais du Nord lui tireront dans les pattes et Boris essaiera de la poignarder dans le dos. On va se régaler.»
Une majorité que personne n'écoute
Même si dans les sondages, une majorité de Britanniques est aujourd'hui favorable à un maintien du pays dans l'UE, il faut croire que la décision de Brexit est désormais définitive, déplore Kurier :
«Le référendum avait été une initiative tout à fait superflue de David Cameron. ... Quelle ne fut pas la panique, le soir du dépouillement, de voir un résultat de 51,9 pour cent en faveur du Brexit - un résultat auquel personne ne s'était attendu ! En cause, la forte abstention des jeunes, qui ne se sont pas rendus aux urnes, pensant que le oui ne pouvait l'emporter. Ce groupe des jeunes ne cesse de s'agrandir. Ils ont peur pour leur avenir si celui-ci doit se faire sans l'Europe. De sondage en sondage, ils prennent la parole - mais personne ne veut écouter ce qu'ils ont à dire. Et ce bien que dans le mot démocratie, le petit mot 'demos' signifie peuple. Il est certain que si May réorganisait le vote, pour quelque prétexte que ce fût, elle signerait son acte de mort politique. Telle est la realpolitik - qui bien souvent est sans lien direct avec la réalité.»
L'heure de la confrontation a sonné
Theresa May va devoir mettre les bouchées doubles, prévoit Bettina Schulz, correspondante de Zeit Online à Londres :
«La Première ministre doit tout d'abord obtenir le soutien de son cabinet. Ce n'est pas gagné. ... Dans son cabinet comme au Parlement, la résistance à un contrat dicté par l'UE est clairement audible depuis des semaines. Dans les prochaines heures, les critiques, les attaques contre May et les appels à la démission vont fuser. Mais le temps manque pour présenter une alternative. Plus l'échéance de mars 2019 approche, moins la possibilité de négocier un autre contrat semble plausible ; il serait donc absurde de remplacer Theresa May au poste de Premier ministre par un tenant de la ligne dure. L'organisation d'un second referendum avant mars 2019 semble peu vraisemblable, car le temps vient à manquer.»
Deux atouts dans le jeu de May
La Première ministre britannique a deux arguments convaincants en faveur de l'accord, explique NRC Handelsblad :
«Elle essaiera de persuader les pro-Brexit qu'ils ont le choix entre un Brexit qu'ils jugent mauvais et l'arrivée d'un socialiste à Downing Street. ... Elle rappellera aux Tories qu'après la victoire de Tony Blair face à John Major en 1997, les conservateurs avaient moisi pendant 13 ans dans l'opposition. ... Par ailleurs, May rappellera le temps qui file. Plus la chambre basse se regimbera, plus le 'no deal' risque de se concrétiser. En prenant cette décision, le Parlement britannique causerait délibérément du tort au pays. ... May pourra poser aux députés, travaillistes comme conservateurs, la question suivante : comment comptez-vous expliquer à vos électeurs pourquoi vous avez cautionné une sortie sans accord ? »
Les Tories feront bloc face au spectre Corbyn
Même les plus farouches détracteurs de l'accord finiront par l'approuver, croit savoir Luigi Ippolito, correspondant à Londres de Corriere della Sera :
«Dans les rangs du gouvernement, le malaise est palpable. Boris Johnson a explicitement appelé à la mutinerie. ... Mais même s'il y avait des défections, la Première ministre devrait être en mesure de remporter le sprint. Si l'on assistait à une révolte généralisée, les choses se présenteraient sous un autre jour : mais ce scénario semble peu probable, car l'alternative serait un 'no deal', un Brexit sans accord, ou une crise gouvernementale risquant d'aboutir à des élections anticipées et à une victoire du Labour de Jeremy Corbyn. Un péril face auquel les conservateurs resserreraient les rangs.»
Une autodestruction sordide
La tragicomédie que la classe politique britannique donne à voir au monde choque Frank Coughlan, chroniqueur à The Irish Independent :
«La période qui a suivi le référendum a de quoi laisser encore plus perplexe que son résultat à proprement parler. Comment une nation qui pouvait jadis se targuer de posséder un 'empire sur lequel le soleil ne se couchait jamais' a pu fomenter un complot visant à négocier une sortie de l'UE aussi désavantageuse ? Je sais que tout ceci est en grande partie le fait d'une guerre civile entre d'odieux Tories ultras, pour beaucoup des grandes fortunes déconnectées des réalités, pour qui tout ceci n'est qu'une dispute idéologique. Mais cela n'explique pas l'incompétence et l'arrogance qui caractérisent le départ de la Grande-Bretagne de la scène internationale.»