Les Etats-Unis ont-ils une feuille de route pour la Syrie ?
Les différences entre la Turquie et les Etats-Unis sur la question syrienne ont clairement transparu mardi lors de la visite du conseiller américain à la sécurité nationale, John Bolton, à Ankara. Les Etats-Unis avaient reporté le retrait annoncé de leurs troupes de Syrie, tandis que Bolton voulait obtenir des "garanties de sécurité" pour les milices kurde YPG, considérées comme une organisation terroriste par Ankara. Les éditorialistes s'interrogent sur les desseins de Washington.
Ne pas abandonner les Kurdes
Sacrifier les Kurdes de Syrie serait une grave erreur stratégique, assure The Times :
«Les Etats-Unis appellent les Kurdes à tenir bon et à se fier à la capacité de Washington à contenir Ankara. Mais le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, avant les élections municipales du mois de mars en Turquie, est probablement impatient d'infliger un revers à la guérilla kurde pour plaire à son électorat. ... La présence américaine doit se doter d'un objectif stratégique, à savoir la nécessité d'éliminer toute possibilité d'une résurgence de Daech. Les Kurdes ont perdu plusieurs milliers de soldats dans cette entreprise ; ils méritent mieux.»
Washington veut créer une zone tampon face à la Turquie
L'obstination de John Bolton à vouloir coopérer avec les forces kurdes de Syrie révèle une fois de plus les véritables objectifs des Etats-Unis au Proche-Orient, commente İbrahim Karagül, rédacteur en chef de Yeni Şafak, quotidien proche du gouvernement :
«Les Etats-Unis ne sont pas intervenus en Syrie dans le dessein de libérer le peuple syrien du régime d'Assad, mais pour établir une zone tampon d'une centaine de kilomètres de long entre la Turquie et le monde arabe. ... C'est pourquoi la Turquie n'a pas d'autre choix que d'envahir les territoires [sous contrôle kurde] à l'est de l'Euphrate. ... La Turquie donnerait ainsi une bonne réponse à ses ennemis dans la région et à ses 'ennemis intérieurs'.»
Un chaos aux conséquences graves
Les atermoiements de Trump en Syrie sont désastreux, commente Süddeutsche Zeitung :
«De nombreux gouvernements se demandent s'ils seront les prochaines victimes des volte-faces délirantes de Washington : Israël et l'Arabie saoudite, les alliés les plus proches des Etats-Unis, courtisent le Kremlin. L'Iran mène des manœuvres communes avec la Russie. De son côté, Daech prend la voie de la clandestinité, comme l'avait fait avant lui Al-Qaïda, avec succès, en Irak. Tout ceci n'est ni dans les intérêts des Etats-Unis ni dans ceux de l'Europe. Il y a plusieurs risques : une réorganisation potentielle de Daech ; la perspective d'une guerre régionale contre l'Iran, alors que le Liban vacille dangereusement. Pour que la Syrie retrouve paix et stabilité, il faudra une solution politique globale, soutenue par Washington, Riyad, Téhéran et Ankara.»
Bolton veut empêcher un accord avec Ankara
Le conseiller américain à la sécurité nationale, John Bolton, participe ce mardi à des discussions sur la Syrie à Ankara. Il espère jouer la montre sur la question du retrait des troupes américaines, croit savoir le journal pro-AKP Sabah :
«Même si Trump veut un retrait, son équipe fera tout pour l'en empêcher. On peut donc s'attendre à des négociations très délicates. Bolton fera obstacle. ... Il expliquera par exemple en détail que le retrait ne sera pas chose aisée. ... Il abordera la question de Daech, consultera les Russes. Bref, il négociera tout ce qu'il est possible de négocier et tentera d'endormir le débat. Car il aspire à ce que les discussions débouchent sur une impasse.»
Comment Trump pourrait aider la Syrie
Trump pourrait tirer parti de son expérience des affaires pour épauler la Russie dans la reconstruction de la Syrie, souligne Tygodnik Powszechny :
«On assiste à la naissance d'un Etat de castes, dans lequel les alaouites, les chiites et les chrétiens dominent les sunnites, et dans lequel on ne peut approcher le gouvernement que par le biais de la corruption et du népotisme. ... Pour que la paix puisse régner dans une telle situation, il faut que le gouvernement ait de l'argent. La Russie refuse de financer la reconstruction du pays bien que sa position d'acteur stratégique en Syrie dans les prochaines années lui coûtera des milliards de roubles. Sur ce point au moins, Trump pourrait aider la Syrie, pour la première fois. S'il s'est avéré moins bon stratège que Poutine, il pourrait néanmoins, en homme d'affaires expérimenté, lui rappeler que le subventionnement de mauvais projets se solde généralement par un échec.»