Ukraine : Zelensky sous le feu des critiques
Après son investiture, le nouveau président ukrainien Volodymyr Zelensky est critiqué pour avoir nommé des collaborateurs controversés. Il a également dissous le Parlement et annoncé des élections anticipées, dont la date est prévue dans deux mois. Zelensky ne dispose pas pour l'instant de majorité parlementaire lui permettant de faire passer des réformes. Que penser de ces manœuvres ?
Zelensky doit s'émanciper des oligarques
Zelensky veut nommer son conseiller de campagne Andrei Bogdan au poste de chef de cabinet. Il s'agit d'un avocat de l'oligarque Igor Kolomoïsky, qui proposait déjà ses services au président déchu Viktor Ianoukovitch. Le réseau interlope dont s'entoure Zelensky en début de mandat fait sourciller Gazeta Polska Codziennie :
«Il est difficile de dire si Zelensky, entouré d'oligarques et d'hommes de l'ombre, sera disposé à s'opposer à ceux qui l'ont porté au pouvoir. Or s'il veut réformer son pays, il doit se détacher d'eux. Il devra surtout couper les ponts avec l'oligarque ukrainien Igor Kolomoïsky et sa suite. Faute de quoi il sera perçu par l'Ouest comme un ami des oligarques et en fait de soutien, il pourra tout au plus compter sur une tape amicale dans le dos. Ses déclarations résonneront comme des formules creuses. Ce sera pour lui une dure traversée du désert.»
Un début qui ne présage rien de bon
Frankfurter Allgemeine Zeitung se dit préoccupé :
«La majorité de ceux que Zelensky a appelés à composer l'administration présidentielle à Kiev sont des amis de jeunesse ou des partenaires professionnels de longue date, sans la moindre expérience de la politique. Le premier d'entre eux, son chef de cabinet Andrei Bogdan, est certes expérimenté, mais il pose problème : sa nomination pourrait être considérée comme une atteinte à la 'loi sur la lustration du pouvoir étatique', adoptée après la révolution de 2014, qui interdit aux fonctionnaires de l'ancien régime d'accéder aux plus hauts postes de l'Etat pour une durée de dix ans. Si l'on ajoute la dissolution du Parlement voulue par Zelensky, discutable juridiquement, alors ces premiers jours de mandat ne présagent rien de bon.»
Grand chamboulement dans la politique ukrainienne
Les élections anticipées et l'abolition du scrutin proportionnel annoncées par Zelensky pourraient lui conférer un pouvoir inouï, estime le chroniqueur Roman Romaniouk dans Ukraïnska Pravda :
«S'il met réellement en œuvre en deux jours tout ce qu'il a annoncé [pendant sa campagne], il se peut que le parti de Zelensky obtienne au moins 50 pour cent, si ce n'est pas 73 pour cent des sièges de députés. ... Le nouveau président aurait ainsi réellement la majorité absolue au Parlement, son propre gouvernement et le pouvoir absolu. ... Et il aura obtenu tout cela non pas suite à un putsch ou à un Maïdan, mais porté par la force des anciennes élites politiques. Car ne voulant pas hypothéquer leur avenir politique, elles remettent tout leur pouvoir entre les mains d'un président radieux.»
Une déclaration de guerre aux élites politiques
Radio Kommersant FM se montre aussi surpris par le nouveau président que le système politique de l'Ukraine :
«La classe politique ukrainienne n'a pas l'habitude de se trouver soumise à une pareille pression et à des mesures aussi peu conventionnelles. Jusqu'à maintenant, les règles du jeu étaient complètement différentes : accords en coulisse, ententes, deals obéissant à certaines règles et surtout correspondant à certains intérêts. C'est suivant cette logique qu'après son investiture, Zelensky aurait dû engager le dialogue - ou plutôt les marchandages avec les groupes parlementaires. ... Zelensky a placé les députés devant un fait accompli. Il croise ainsi le fer avec l'élite politique. Le plus étonnant dans cette histoire, c'est que ces élites, qui semblaient si menaçantes encore récemment, ont déjà capitulé face au nouveau président.»
Faiblesse et chaos en perspective
Les premières décisions prises par le nouveau président ne sont guère rassurantes, lit-on dans The Times :
«Des éléments troublants portent à penser que Zelensky risque d'être un dirigeant soit faible, soit chaotique. ... Son mouvement n'est pas représenté au Parlement et il ne dispose pas non plus des ressources lui permettant de s'organiser en temps voulu pour une élection rapide. Il n'est même pas clairement établi qu'il ait le droit constitutionnel d'imposer au Parlement des élections anticipées sans avoir préalablement consulté les partis. Il reste attaquable sur sa proximité excessive avec certains oligarques. L'un d'entre eux, Igor Kolomoïsky, vient de rentrer en Ukraine, après un exil auto-imposé. Il faut croire qu'il s'y sent plus en sécurité aujourd'hui que sous le président précédent.»
Que plus aucun Ukrainien ne verse de larmes
Newsweek Polska estime que Zelensky a bien réussi sa prise de fonction :
«L'essentiel pour les électeurs est de s'être débarrassé de l'oligarque Petro Porochenko, qui a peut-être beaucoup fait pour ce pays en crise, mais encore pas assez et à un rythme trop lent. Ils ont un nouveau leader, qui, en chemin vers sa cérémonie d'investiture, a traversé un parc en tapant dans les mains des citoyens avant de gravir joyeusement le tapis rouge sur les marches de la Rada. Bien qu'il soit bien plus décontracté que Porochenko, il a chanté l'hymne avec la solennité de mise et a prêté serment sur la Constitution ukrainienne. Son visage, que l'on associe à ses gags de cabaret, rayonnait de concentration et de confiance en soi. C'est cette expression sur le visage qu'il a annoncé son premier vœu : la dissolution du Parlement. Il a par ailleurs promis que plus aucun Ukrainien ne verserait de larmes.»
Les regards envieux lancés par les Russes
Dans un post de blog relayé par Ekho Moskvy, l'opposant Guennadi Goudkov fait part de l'admiration que lui inspire Zelensky - et appelle de ses vœux une dynamique comparable en Russie :
«Zelensky est l'incarnation pour l'Ukraine d'une nouvelle ère tournée vers l'avenir. ... Les impondérables problèmes passagers ont peu de poids face à l'essentiel : l'aspiration de l'Ukraine à davantage de liberté, de progrès et de civilisation européenne. Ce qui s'y trame accélérera inéluctablement la transformation du régime russe : soit il changera (sous la force) par le biais de réformes politiques (avec une probabilité allant de 10 à 15 pour cent), soit, le dos au mur et sous l'emprise de la peur, il serrera la vis si fort que le filetage finira par casser. Cette dernière variante est hélas bien plus probable. Il ne nous reste donc plus qu'à subir la triste vie politique russe, à l'observer et à envier nos voisins.»
Il aura besoin de beaucoup d'argent et de bonnes idées
Quotidien fidèle au Kremlin, Izvestia ne se joint pas au concert de louanges à la gloire de Zelensky et esquisse les grands défis que le nouveau président ukrainien devra relever :
«Après Maïdan, l'Ukraine est devenue le pays le plus pauvre d'Europe. ... C'est pourquoi l'idée du nouveau président de faire revenir au pays des millions de travailleurs ukrainiens expatriés est une initiative aussi judicieuse que d'actualité. Or qui voudrait rentrer dans un pays aux perspectives aussi incertaines ? Cette année, l'Ukraine doit honorer un remboursement de crédits étrangers d'un montant record : Zelensky doit trouver dans un budget grevé pas moins de 7,5 milliards de dollars. Mais ce n'est pas le plus difficile : le nouveau président, porté au pouvoir par une vague d'attentes disproportionnées, va devoir se creuser la cervelle pour être à la hauteur de l'immense confiance que le peuple ukrainien a placée en lui. »