Trêve au Haut-Karabakh : quels lendemains ?
Les parties au conflit dans le Haut-Karabakh se sont entendues sur un cessez-le-feu et sur la reprise des pourparlers de paix. C'est ce qu'a annoncé vendredi le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, à l'issue d'une rencontre avec ses homologues arménien et azerbaïdjanais. Ce qui n'a pas empêché de nouvelles frappes militaires au cours du week-end. Les observateurs se montrent pessimistes, et pas seulement parce que la trêve n'a pas été respectée.
Bakou n'a que faire de la paix pour le moment
L'accord semble d'emblée ne pas être une solution pérenne, juge Radio Kommersant FM :
«Comparées à la situation dans le Donbass, les violations du cessez-le-feu au Haut-Karabakh prennent des proportions gigantesques. On a donc l'impression que - dans un camp du moins - on n'a jamais eu la moindre intention de respecter l'accord de Moscou. Ceci révèle une logique idiosyncratique qui n'a rien de surprenant : l'Azerbaïdjan, instigateur de la reprise des hostilités le 27 septembre, croit toujours pouvoir mener à bien son projet de reconquête - de façon certes limitée sur le terrain, mais durablement et sans contestation. Ce n'est qu'après avoir conquis des villes et des territoires qu'il devrait accepter de reprendre les négociations de paix, en bénéficiant ainsi d'une position plus avantageuse.»
Une ligne rouge pour l'OTAN
En raison du recours à des unités de mercenaires par la Turquie, il faut que l'alliance militaire occidentale mette les points sur les i, fait valoir Politiken :
«Alors que la Turquie envoie des soldats syriens en Libye et en Azerbaïdjan, le gouvernement d'Erdoğan clame son innocence. Cessons ce jeu de dupes ! Le fait est que la Turquie recrute des mercenaires et les déploie dans des conflits qui ne sont pas les siens. Il faut bien entendu que les Nations unies condamnent cette pratique. Et que des critiques virulentes se fassent également entendre à l'OTAN, pour souligner qu'il est inadmissible qu'un Etat membre de l'OTAN emploie des mercenaires - nationaux et étrangers - pour combattre sur des territoires situés hors du domaine de l'alliance. C'est scandaleux.»
Pas d'impasse, pas de soutien, pas de volonté politique
Troud liste les facteurs susceptibles en théorie de faire évoluer les négociations de paix :
«1) Une situation de blocage total. 2) L'existence d'une marge de manœuvre pour un accord potentiel. 3) Un large soutien des négociations dans les pays concernés, aussi bien parmi la population locale qu'au sein de la diaspora à l'étranger. 4) Des circonstances géopolitiques favorables et l'assentiment global des grandes puissances à une résolution politique du conflit. 5) Volonté politique et fort leadership des deux côtés. Or aucun de ces facteurs n'est présent au Haut-Karabakh.»
L'Europe, pas concernée par de potentiels blocus énergétiques
Dans El País, Gonzalo Escribano, spécialiste des questions d'énergie pour l'institut espagnol Elcano, analyse les possibles répercussions du conflit en matière de politique énergétique :
«En raison des objectifs que l'UE s'est fixé sur la question climatique, l'UE a de moins en moins besoin d'importer du gaz, et aussi de moins en moins besoin des infrastructures, souvent démesurées, liées à ces importations. C'est pourquoi tout semble indiquer le déclin de l'importance géopolitique du corridor gazier sud-européen et un coup d'arrêt définitif aux velléités de relance du projet de gazoduc transcaspien Nabucco - qui était déjà compromis. L'impact d'un éventuel blocus des conduites du Caucase sur la sécurité énergétique européenne serait donc probablement limité. Mais si le conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan devait s'inscrire dans la durée, cela pourrait nuire au transit de pétrole via la mer Caspienne, et menacer l'approvisionnement de pays comme la Turquie, Israël et l'Italie.»
Et le vainqueur est Poutine, une fois encore...
Avec ou sans cessez-le-feu, Moscou garde le contrôle de la région, assure Habertürk :
«Il semblerait que Vladimir Poutine et Sergueï Lavrov, habile politicien, aient choisi de jouer les médiateurs et de négocier un cessez-le-feu provisoire entre les belligérants. Mais en réalité, Moscou tire à nouveau pleinement parti du non-respect du cessez-le-feu. Car Poutine peut se servir du chaos comme prétexte pour reprendre pied dans la région, ou bien de base à la création d'un Haut-Karabakh indépendant [reconnu internationalement]. Lové au coeur du Sud-Caucase, au carrefour de routes énergétiques essentielles, ce territoire revêt une importance primordiale.»
Intégrer l'Arménie à l'UE !
Dans Le Figaro, l'historien Jean-François Colosimo appelle le monde occidental à apporter un soutien plus résolu aux Arméniens :
«De tous les dirigeants occidentaux, le président Macron est lui le seul à dénoncer avec force la course à l'abîme du président Erdogan. Nous ne saurions oublier que les Arméniens ont toujours été culturellement européens et qu'ils le sont d'autant plus aujourd'hui par le sang qu'ils versent pour enrayer la barbarie. Osons dès lors un vœu : n'est-il pas urgent que le chef de l'Etat français appelle ses partenaires bruxellois à intégrer l'Arménie dans l'Union ? Ce ne serait pas promouvoir l'utopie, mais donner un signal. Et enfin prouver que la diplomatie peut l'emporter sur la guerre. A condition qu'elle ose la vérité.»
L'Arménie n'a rien à dire à la table des négociations
Le cessez-le-feu pointe des carences considérables, estime l'analyste Radu Carp dans Adevărul :
«Le problème, c'est que ce cessez-le-feu ne prévoit ni le retrait des troupes azerbaïdjanaises ni celui des groupes terroristes islamistes du Haut-Karabakh. Or il devrait être particulièrement difficile pour le groupe de Minsk d'obtenir un tel retrait de la part de l'Azerbaïdjan et de la Turquie. ... Cet aspect sera probablement abordé directement entre Poutine et Erdoğan, dans le cadre d'un dialogue portant sur les nombreux problèmes affectant les deux pays. Aliyev, Erdoğan et Poutine sont sur la même longueur d'onde ; ils ont la particularité de tous être des dirigeants autoritaires. L'Arménie ne saurait participer à ces négociations - qui concernent pourtant son sort - car elle est une démocratie. ... Son seul atout : ses liens traditionnels avec la Russie et la France - et la force de persuasion de la diaspora.»
De retour à un 'conflit gelé'
Radio Kommersant FM entrevoit l'amorce d'un bras de fer qui devrait traîner en longueur :
«Ce qui est pratique avec un cessez-le-feu, c'est qu'on peut le prolonger indéfiniment. Cela veut dire que l'on replonge le conflit dans son état de 'congélation'. C'est de surcroît l'occasion pour les deux camps de proclamer respectivement la victoire, et de tenter ensuite de négocier les meilleures conditions possibles dans les négociations à venir. C'est déjà ce que fait Aliyev : il affirme que son armée a remporté des succès sans précédents ; à le croire, l'ancienne ligne de front a disparu et la solution passe par les armes. Mais il est clair, dans le même temps, qu'il ne parviendra pas à occuper l'ensemble du Haut-Karabakh, ni à en chasser les Arméniens.»
Moscou est plus faible qu'il n'y paraît
Ce conflit révèle toute l'impuissance de la Russie, fait valoir Toon Beemsterboer, correspondant de NRC Handelsblad en Turquie :
«L'intervention de la Turquie menace la position hégémonique russe dans la région. Poutine doit faire quelque chose pour y préserver son influence, mais il n'a pas beaucoup d'options à sa disposition. ... La vitesse à laquelle s'étiole le cessez-le-feu montre que la Russie n'est pas aussi puissante dans la région qu'elle veut bien le laisser penser. Si la Russie est officiellement l'alliée de l'Arménie, elle entretient aussi de bonnes relations avec l'Azerbaïdjan, avec laquelle elle conclut de lucratifs contrats d'armement. ... En outre, la stratégie de Moscou dans la région - 'diviser pour mieux régner' - n'est pas la plus susceptible de donner à Moscou l'image de médiateur fiable.»