L'UE peut-elle limiter le pouvoir des géants d'Internet ?
Avec son Digital Services Act (DSA), la Commission européenne veut favoriser l'émergence d'un Web plus équitable et plus respectueux des consommateurs. Margrethe Vestager, vice-présidente de la Commission en charge du numérique et de la concurrence, et Thierry Breton, commissaire au marché intérieur, ont présenté mardi un projet de loi qui prévoit de limiter le pouvoir des GAFA et de réguler la concurrence. Les éditorialistes oscillent entre enthousiasme et scepticisme.
La fin d'une époque
Menaces de démantèlement de Facebook aux Etats-Unis, intervention de Pékin contre les groupes numériques Alibaba et Tencent, offensive de l'UE contre les GAFA : l'heure de la résistance globale aux géants technologiques a enfin sonné, se réjouit Le Monde :
«Il émerge aujourd'hui un consensus international inédit pour couper les ailes des géants de l'Internet. Inédit, car il est à la fois transpartisan – républicains et démocrates américains sont d'accord sur le sujet – et présent dans tous les pays. Par leur puissance, ces gardiens sont en train de devenir une menace pour les Etats. ... Chacun y répond avec ses armes, l'autoritarisme pour la Chine, le juridisme pour les Etats-Unis et la régulation pour l'Europe. Cela a pris du temps, mais tous sont désormais alignés dans la même direction. La fin d'une époque.»
Trouver ensemble de nouveaux outils
Financial Times recommande à la Commission de s'efforcer désormais de forger des alliances dans le monde :
«Le plan de Bruxelles donnerait aux autorités régulatrices un pouvoir considérable sur le secteur technologique. Le risque réel lié à cette initiative, c'est qu'elle aille trop loin. Il est bien possible que les Etats membres décident d'édulcorer passablement ce projet. ... Mais les gardiens de la concurrence sont effectivement tenus de trouver des outils plus adaptés pour intervenir à une époque où l'usage - et l'abus - des données vient remplacer le prix d'achat pour ce qui est de l'intérêt des consommateurs. La Grande-Bretagne, l'Australie et le Japon empruntent des voies similaires. Aux Etats-Unis, il y a le risque d'une contre-réaction, mais là-bas aussi, l'approche des autorités de régulation évolue rapidement et donne à la Commission la possibilité de rechercher un consensus transatlantique.»
Des régulations qui arrivent trop tard
Le journal Iltalehti doute que l'UE parvienne à réguler les GAFA :
«Les entreprises du numérique ont été une source incroyable de bienfaits pour les gens ; elles leur ont facilité la vie, et ce de manière considérable, sans même qu'ils aient à payer pour ces services. Dans le même temps, ces entreprises ont collecté une immense masse de données nous concernant et acquis une puissance économique et politique dans le monde. De petits pays comme la Finlande n'ont pas vraiment la possibilité d'influer sur les activités des géants technologiques. C'est pourquoi un rôle plus important encore échoit à l'UE quant à l'élaboration de nouvelles règles du jeu. Le problème avec ces régulations, c'est qu'elles sont adoptées trop tard, qu'elles sont confuses et inefficaces. Il semble que le nouveau projet de l'UE n'apportera pas de changement non plus sur ce plan.»
Se fier davantage au marché
Neue Zürcher Zeitung trouve ces nouvelles règles exagérées :
«Un simple regard rétrospectif nous enseigne que les entreprises technologiques sont en mesure d'évoluer rapidement sans que l'Etat n'intervienne. Des enseignes comme Netscape ou Myspace, très importantes jadis, ont disparu désormais. Il y a bel et bien de la concurrence aujourd'hui. Apple, par exemple, s'efforce de se poser en garant de la vie privée de ses utilisateurs, ce que Facebook perçoit comme une attaque frontale contre son modèle commercial, basé sur les recettes publicitaires. ... Il serait souhaitable que des voix se fassent entendre dans l'UE et appellent à faire davantage confiance aux marchés.»