Espagne : une coalition est-elle possible ?
Après les élections, le risque de paralysie politique est considérable en Espagne. Arrivé en tête, le parti conservateur PP ne dispose pas d'une majorité au Parlement, même avec les voix du parti d'extrême droite Vox. De son côté, le Premier ministre sortant, Pedro Sánchez, aurait besoin de l'appui du parti de gauche Sumar et de celui des partis régionaux. La perspective d'une grande coalition paraît peu probable.
Le rôle déterminant de Puigdemont
Dans la matinale de France Inter, le chroniqueur Anthony Bellanger évoque un protagoniste inattendu des négociations de coalition en Espagne :
«Le problème désormais est que si le Premier ministre espagnol doit aux Catalans sa résistance de dimanche, il ne pourra gouverner qu'en s'entendant avec les mêmes partis indépendantistes qu'il a pourtant défait dans les urnes. ... En clair, pour avoir une majorité à Madrid, Sánchez va devoir négocier avec le plus irréductible des nationalistes catalans : Carles Puigdemont. Celui qui s'est auto-exilé à Bruxelles en 2018 pour éviter l'arrestation et la prison a envoyé sept députés à Madrid. C'est lui qui a les clés : s'il s'abstient ou vote pour lui, Sánchez redevient Premier ministre ; sinon l'Espagne doit retourner aux urnes.»
L'unité nationale est en jeu
La Razón voit l'identité de l'Espagne en péril :
«Le résultat des élections nous place dans une situation humiliante : le gouvernement espagnol est tributaire de partis qui ont pour programme la destruction de 'l'unité indissoluble de la nation espagnole, de la patrie commune et indivisible de tous les Espagnols' [selon les termes de la Constitution]. ... C'est un tableau dégradant que l'Espagne donne à voir à ses 26 partenaires de l'UE, en plein milieu de la présidence tournante qu'elle assure pour six mois. Le prochain gouvernement dépend du bon vouloir d'un condamné en cavale. ... L'Espagne risque réellement de perdre son identité nationale et historique.»
La vague nationaliste a été stoppée
Il s'agit d'un vote-sanction pour l'extrême droite, estime La Tribune de Genève :
«Vox a fini par effrayer une partie de ses propres électeurs, revenus dans les rangs de la droite traditionnelle (PP). Arrivé en tête, le parti d'Alberto Núñez Feijoo a réussi à freiner l'ascension de l'extrême droite, même s'il n'a pas de majorité pour former un gouvernement, avec ou sans son encombrant allié. Faute de résultat clair, les Espagnols pourraient se diriger vers de nouvelles élections, mais ils envoient un signal fort aux Européens. ... En donnant à Pedro Sánchez assez de voix pour tenter de former un gouvernement, ils offrent un sursis à l'un des rares dirigeants de gauche en Europe. En désavouant Vox, ils stoppent la vague nationaliste et xénophobe qui gagne le continent.»
Le moment ne pouvait pas être plus malvenu
The Objective s'attend à une paralysie politique :
«On ne pouvait pas faire pire comme résultat, et le moment est particulièrement inopportun sur le plan économique. Les élections anticipées ont interrompu la présidence espagnole de l'UE et elles n'ont pas permis d'apporter la stabilité politique tant espérée, ni mis un terme à la 'politique des blocs'. ... Face à la perspective d'une très probable crise politique et d'un nouveau scrutin, le temps presse pour mettre en œuvre les réformes promises à la Commission européenne. Notamment parce que le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) doit à nouveau entrer en vigueur en 2024 et que les élections européennes auront lieu dans moins d'un an. ... Pas de quoi être optimiste.»
En prendre de la graine
Les partis modérés en Europe doivent porter un regard attentif aux résultats des élections, fait valoir Dorian de Meeûs, rédacteur en chef de La Libre Belgique :
«Une des leçons que l'on peut tirer de tout cela est que la droite traditionnelle, qu'elle soit libérale ou conservatrice, n'a aucun intérêt à se rapprocher de l'extrême-droite. Elle doit être en mesure d'assumer ses priorités socio-économiques sans se salir dans un flirt avec un mouvement extrémiste et populiste. Cependant, cette leçon s'applique aussi à l'autre camp. Si un parti de gauche ou de centre-gauche veut subsister, il aurait tort de monter sur le terrain occupé par l'extrême-gauche ou la gauche radicale. La quasi-disparition du PS français le démontre : les socialistes belges ou français qui courent après les électeurs du PTB ou de La France Insoumise fragilisent leur propre avenir.»
Une voie sans issue
Le climat politique est de plus en plus tendu, observe Keskisuomalainen, consterné :
«L'Espagne a un sombre passif en matière de dictatures de droite au XXe siècle, et aujourd'hui, l'extrême droite en particulier a fait naître, au travers de ses programmes, des polémiques qui dépassent le traditionnel clivage droite-gauche. La détérioration du climat politique risque de lasser bon nombre d'électeurs et d'entraîner un désintérêt pour la politique, d'autant plus que les mauvais résultats des petits partis ont ramené l'Espagne à l'ancien système bipartite. Le résultat des élections a conduit l'Espagne dans une impasse politique.»
L'Europe est une réalité
Le virage à droite n'a finalement pas eu lieu, se réjouit Corriere della Sera :
«Du moins ne s'est-il pas produit en Espagne. Mais il ne se produira probablement pas non plus en Europe. Les peuples des grands pays européens n'ont pas tous envie de se retrouver captifs de coalitions entre l'extrême droite souverainiste et des conservateurs qui ont connu une évolution dangereuse. Car ils tiennent à leurs droits et à leur liberté. Et parce qu'ils savent, ou ont l'intuition, que le souverainisme marquerait la fin de l'Europe ; et qu'en avançant seules et isolées, l'Espagne, la France ou l'Allemagne ne feraient pas le poids dans le monde globalisé. L'Europe existe désormais ; il s'agit d'un processus irréversible.»