Russie : arrestation du vice-ministre de la Défense
A Moscou, le vice-ministre de la Défense, chargé de grands chantiers de construction pour l'armée, Timour Ivanov, a été placé en détention provisoire. Proche collaborateur du ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, le haut fonctionnaire qui menait un train de vie luxueux est accusé d'avoir accepté des pots-de-vin à grande échelle. Les commentateurs tentent de comprendre les dessous de l'affaire.
La répression dévore ses enfants
Le politologue Abbas Galliamov met en doute le motif officiel de l'arrestation :
«Une belle histoire, qui illustre les mœurs [de la classe dirigeante]. Car aux yeux de Poutine, la corruption n'est pas du tout un crime en soi. Tant qu'elle est le fait de quelqu'un qui fait partie de son bureau politique officieux, tout va bien. ... Mais on observe une évolution charmante : leur manie de l'espionnage prend des dimensions telles qu'ils commencent à soupçonner les leurs. Quand ces bouffons se sont mis à appeler de leurs vœux 'un 1937' [grandes purges staliniennes], on leur a rappelé qu'un 1937 ferait le ménage dans l'opposition, mais aussi dans leurs propres rangs. ... Le retour de manivelle ne s'est pas fait attendre : 'Vous étiez en vacances sur la Côte d'Azur ? Alors vous êtes un espion à la solde de la France !'»
Ce n'est peut-être que le début
La Stampa subodore une lutte de pouvoir interne :
«Il s'agit d'une arrestation sensationnelle, révélatrice, selon plusieurs commentateurs moscovites, de conflits internes au sein du Kremlin, peut-être d'une attaque menée contre le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, qui avait promis à Poutine des victoires faciles et rapides. Ivanov et Choïgou semblent ne pas être à la hauteur de la 'guerre existentielle' que Poutine a proclamée dans le cadre de son nouveau mandat au Kremlin.»
Un bouc émissaire idéal
Poutine voulait rappeler qui était le maître à bord, écrit Ilta-Sanomat :
«Le moment choisi pour l'arrestation permet à Poutine de faire une démonstration de son pouvoir accru après la mise en scène de la présidentielle, en mars. Fait notoire, il est extrêmement rare qu'une enquête pénale soit ouverte contre la garde rapprochée de Poutine. Mais de temps à autres, Poutine doit faire régner la discipline en procédant à des purges dans ses propres rangs. Ivanov est un bouc émissaire tout désigné pour intimider les autres dirigeants corrompus. De plus, on pourrait aussi rejeter sur lui la responsabilité de certains des échecs de l'armée russe en Ukraine.»
D'autres pilleront le butin à sa place
Sur le portail Ekho, le politique d'opposition et vidéoblogueur Maxim Katz ne pense pas qu'il s'agisse d'intrigues politiques à proprement parler :
«On va assister à un concert de commentateurs se croyant très malins, qui tireront de grandes conclusions politiques et diront que la tour de Choïgou a été affaiblie, au bénéfice d'une autre pièce de l'échiquier. Mais d'après ce que l'on voit actuellement, ces suppositions ne sont étayées par aucune logique politique. Ce n'est qu'un tressaillement sans conséquence dans la glorieuse fosse aux serpents où tout le monde est d'accord et solidaire, mais où l'on vous saute à la gorge à la moindre occasion. Les milliards de dollars qui passaient par Ivanov passeront dorénavant par quelqu'un d'autre.»