Sommet des BRICS en Russie : un contre-pôle à l'Occident ?
Ce jeudi s'est achevé à Kazan, en Russie, le sommet des représentants des neufs Etats membres des BRICS et de leurs alliés. L'alliance aspire à un ordre mondial multipolaire. La presse se demande quel contrepoids à l'Occident le groupe peut former et quelle est la signification de la présence du secrétaire général de l'ONU, António Guterres, à Kazan.
Pas de solution à la guerre
Népszava fait part de sa déception :
«La déclaration finale du sommet ne s'attarde pas sur l'Ukraine. Elle se contente de saluer toutes les 'tentatives de médiation' visant à mettre fin au conflit, sans que la Russie soit appelée à mettre fin à la guerre, et sans proposition concrète de résolution du conflit. ... Cette rencontre n'a servi qu'un seul objectif : permettre à Vladimir Poutine de prouver qu'il n'était pas isolé, en dépit du mandat d'arrêt de la CPI à son encontre. Les autres états présents ne se sont toutefois pas montrés disposés à se ranger clairement derrière lui sur la question de l'agression contre l'Ukraine.»
Le droit international réduit à l'absurde
Tageblatt est d'avis que l'attitude de Guterres va à l'encontre de sa mission :
«La Charte de l'ONU engage les Etats à garantir l'intégrité territoriale de chaque pays. Pourtant le document final ne formule aucune demande à l'égard du président russe, Vladimir Poutine, pour qu'il mette fin à la guerre en Ukraine. ... Même le plus haut représentant du droit international, le secrétaire général de l'ONU, António Guterres, se laisse exhiber à la grande table ronde des 36 Etats, constituée des membres du BRICS et de leurs amis. ... Guterres expose ses quatre priorités : réforme du système financier, changement climatique, IA, et la paix - 'à Gaza, au Liban, en Ukraine et au Soudan'. Poutine sourit, Guterres n'exige rien de lui quant à sa violation du droit international, réduisant ainsi ce dernier à l'absurde.»
Le dialogue fait partie du mandat des Nations unies
Politiken salue le fait qu'Antonio Guterres continue à dialoguer avec Poutine :
«L'ONU est le forum mondial où toutes les nations - même ennemies - peuvent se rencontrer. ... En tant que plus haut représentant de l'organisation, Antonio Guterres incarne cette idée. On peut débattre de la pertinence de son déplacement en Russie pour rencontrer Poutine et participer à sa grand-messe de propagande. ... Une chose est pourtant indéniable, c'est qu'il doit dialoguer avec le président russe. C'est son rôle. Cela ne signifie en rien qu'il cautionne les crimes de guerre ou l'invasion de l'Ukraine. D'autant que Guterres a déjà plusieurs fois fermement condamné la Russie.»
La diplomatie marque un point
Diena estime que le déplacement en Russie de Guterres était légitime :
«Un des principaux sujets abordés portait sur les organisations internationales - ONU, FMI, OMC, etc. Dans de nombreux pays du 'Sud global' prévaut l'idée que le poids des grandes puissances non occidentales ne correspond plus, depuis longtemps, à leur influence économique et géopolitique au sein de ces organisations. ... Deux options s'offraient à eux : créer de nouvelles structures ou renforcer de manière ciblée et coordonnée l'influence des pays non occidentaux dans les organisations existantes. La deuxième option s'est imposée (et a été inscrite dans la déclaration finale), en partie grâce aux efforts diplomatiques de l'ONU et de son secrétaire général.»
Deux poids deux mesures
La Vanguardia se montre critique vis-à-vis de Guterres :
«Il est frappant de constater l'agressivité du chef de la diplomatie mondiale envers Israël et l'attention qu'il porte à la Russie. ... Il applique une politique du deux poids deux mesures. ... La photo de lui posant aux côté de Poutine ne sert pas la cause qu'il défend. Parmi les critiques, Volodymyr Zelensky s'est offusqué que Guterres ait boudé le sommet de la paix organisé par le président ukrainien en Suisse, mais qu'il se soit rendu à la réunion de Poutine. Selon lui, le président russe a ainsi réussi à montrer au monde que l'invasion ne l'a pas isolé, et ce en dépit des efforts déployés par l'Occident. Poutine est probablement dans sa position la plus forte depuis le début du conflit. »
L'ONU se discrédite
Avant que Guterres ne confirme sa participation au sommet, Süddeutsche Zeitung fustigeait déjà cette démarche :
«Se réunissent à Kazan des puissances commerciales et minières caractérisées par une tendance toujours plus marquée à l'autoritarisme, par un manque de transparence, un pouvoir de manipulation contraire aux règles et par une grande tolérance envers les criminels de guerre de tous bords. ... Le fait que le président de guerre Vladimir Poutine soit courtisé en dépit de ses atteintes au droit international témoigne de ce qui fait l'architecture des BRICS. Si le secrétaire général de l'ONU, António Guterres, devait finalement se rendre au sommet, comme il l'a fait lors de la dernière réunion en Afrique du Sud, on pourrait alors parler d'un point de basculement. La présence du plus haut représentant du droit international au forum du plus grand pourfendeur de ce même droit jetterait définitivement l'opprobre sur les Nations unies.»
La participation de Guterres est une bonne chose
Hämeen Sanomat salue la venue du secrétaire général de l'ONU :
«Certains pays participant au sommet des BRICS présentent un grand intérêt en terme de politique de sécurité. La Russie joue un rôle central dans la guerre en Ukraine ; l'Iran est partie prenante dans la crise au Proche-Orient ; la Chine exerce une pression politique sur Taïwan. Il est donc très important que le secrétaire général de l'ONU, António Guterres, participe à la réunion. Cela permettra aux chefs d'Etat et de gouvernement des BRICS de débattre de leurs aspirations économiques, mais aussi de la stabilité de la politique de sécurité mondiale. A condition que la Russie ne profite pas de la présence de Guterres pour donner du grain à moudre à sa propagande.»
Le Kremlin n'est pas bénéficiaire
Selon The Insider, les BRICS n'ont pas apporté d'avantages au Kremlin ces dix dernières années :
«L'alliance a peu à offrir à la Russie. La plupart des pays se plient plus ou moins aux sanctions occidentales. La banque des BRICS (la Nouvelle Banque de développement), créée en 2014 pour investir dans les infrastructures, refuse d'envisager de nouveaux projets en Russie, par crainte des sanctions. C'est cette même banque qui, selon les déclarations des représentants russes, devait devenir une alternative au FMI. Moscou tente constamment de convaincre les différents Etats membres d'investir dans la création de systèmes de paiement indépendants, mais jusqu'à présent, seul l'Iran montre un intérêt actif pour un tel projet.»
L'émancipation bancaire est loin de faire l'unanimité
L'idée de doter les BRICS d'une monnaie commune trouve actuellement peu d'écho parmi les Etats membres, écrit Telegraf :
«Seule la Russie fait l'objet de sanctions. Les banques des autres pays ne veulent pas être dans le même bateau. Toute tentative de créer un système qui contournerait les restrictions du modèle bancaire existant ferait directement planer la menace de sanctions sur ces pays. ... Un tel sacrifice dans l'unique but de faciliter le commerce avec la Russie, vraiment ? ... L'établissement d'une nouvelle monnaie, la création d'une alternative au réseau SWIFT : tous ces besoins émanent de Moscou, de l'Iran et de la Corée du Nord. Mais pas du 'Sud global', qui ne trouve rien à redire au système financier international.»
La Turquie rejoindra-t-elle vraiment le groupe ?
Jutarnji list évoque l'unique Etat de l'OTAN présent à Kazan :
«La Russie aimerait se servir des BRICS pour créer un nouvel ordre mondial, dans lequel la Russie et la Chine joueraient le rôle de leaders des 'pays du tiers-monde', afin de les éloigner autant que possible du giron occidental. … Le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, sera présent, et il n'exclut pas une adhésion aux BRICS ; une décision attendue avec impatience par Moscou, qui considère l'adhésion d'un grand Etat de l'OTAN comme un message de poids envoyé à l'Occident, voire comme un 'camouflet pour l'alliance atlantique'. L'une des questions centrales du sommet sera ainsi la décision de la Turquie, dont la possible adhésion serait plus importante d'un point de vue politique qu'économique, aux yeux de Pékin et Moscou.»
Une scène de choix pour Poutine
Kazan offre à Poutine l'occasion idéale de redorer son blason, fait valoir Corriere della Sera :
«Pour le dictateur de Moscou, ce sommet sera une scène propice non seulement pour contredire le récit occidental de son isolement, mais aussi pour revendiquer un rôle de protagoniste au sein d'une organisation qui aspire à influencer le nouvel ordre mondial, marqué par une fragmentation croissante. ... A leur création en 2006, les BRICS avaient suscité de nombreux doutes quant à leur capacité à durer et à peser sur les équilibres internationaux, compte tenu de la grande hétérogénéité de leurs membres. Ils sont toutefois devenus un point de référence incontournable pour le soi-disant 'Sud global', cette constellation de pays qui se sentent exclus des formats traditionnels de la gouvernance mondiale.»
Encore loin de concurrencer le G7
Ce groupement souffre de conflits d'intérêts et de manque de consensus, observe Le Temps :
«Cet ensemble aurait à première vue les moyens de rééquilibrer en sa faveur les organes du multilatéralisme. Mais en fait, c'est un rassemblement hétérogène de pays qui s'attachent avant tout à défendre leurs intérêts propres et qui sont souvent dans un rapport conflictuel les uns envers les autres, tout en affichant leur volonté d'exercer plus d'influence dans la direction des affaires mondiales. ... Les BRICS+ se définissent comme le pendant du G7, l'organisme réunissant les plus puissants pays industrialisés du monde. Ils sont encore loin d'en posséder la cohérence et la fermeté.»
Un sommet à suivre de près
Ce sommet revêt également une importance cruciale pour le reste du monde, fait valoir le chroniqueur Pierre Haski dans la matinale de France Inter :
«Ce qui unit les BRICS, c'est l'hostilité à un ordre mondial qui fait encore la part trop belle aux Occidentaux. Mais tous ceux qui participent au club ne veulent pas forcément le remplacer par un ordre chinois, ou avoir Poutine comme protecteur ou gardien de la morale. Mais l'impossibilité de réformer l'ordre mondial, ainsi que la perception forte du 'deux poids, deux mesures' occidental à travers le conflit du Proche-Orient, ouvrent un boulevard aux tenants des BRICS ; à commencer par la Chine et son OPA sur le 'Sud Global'. Pour cette raison, les Occidentaux ne devraient pas ignorer le message de Kazan, sous peine de se réveiller avec un monde qui leur échappe.»
Des intérêts inconciliables
La Turquie est le premier Etat de l'OTAN à avoir sollicité son adhésion aux BRICS, une demande qui devrait probablement être acceptée lors du sommet de Kazan. Sur le portail Yetkin Report, l'ancien diplomate Özden Sanberk s'interroge sur les modalités de ce processus :
«D'un côté, on trouve des alliances occidentales comme l'UE, l'OTAN, le Conseil de l'Europe, qui placent la démocratie et les êtres humains au premier plan ; de l'autre, l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et les BRICS, dont les membres se focalisent sur le pouvoir et la tyrannie. Cette situation soulève des questions sur la capacité des Etats appartenant à ces deux ensembles inconciliables de mener à bien leur demande d'adhésion aux organismes régionaux ou mondiaux du système opposé.»