Le coronavirus n’a pas épargné les secteurs publicitaire et médiatique : les rédactions se sont repliées sur le télétravail, les clients ont annulé ou reporté leurs campagnes publicitaires. Personne ne s’aventure encore à chiffrer les pertes économiques. Mais elles laissent d’ores et déjà des plaies béantes.
Lettonie : Ies enquêtes d’investigation à l‘honneur
Or la liste des problèmes qui grevaient le paysage médiatique letton avant même l’arrivée de la pandémie était longue : le système médiatique ne s’est toujours pas remis de la crise économique de 2009 et de la chute de presque 50 pour cent des recettes publicitaires qu’elle avait provoquée. Un marché médiatique relativement restreint et un auditoire linguistiquement divisé (entre letton et russe) influencent la qualité du journalisme letton. Par ailleurs, à regarder de plus près l’identité des propriétaires des différents journaux, on s’aperçoit des liens étroits entre médias et politique.
Le second quotidien du pays en termes de distribution, Diena, est la propriété de la société d’exploitation du port commercial de Riga. Cette société appartient quant à elle à Ainārs Šlesers (ex-ministre de l’Economie et des Transport et maire de la ville de Riga) et à Andis Šķēle (qui fut par deux fois Premier ministre, en 1995 et en 2000).
Le troisième quotidien du pays, Neatkarīgā, appartenait entre 1999 et 2016 à l’oligarque letton Aivars Lembergs, du reste maire de la ville de Venstpils depuis 1988. On lui reproche de mettre le journal au service de ses intérêts commerciaux et politiques. Il est dans le collimateur de la justice depuis des années pour des accusations de corruption. Au printemps 2016, le groupe d’édition Mediju nams a été racheté par l’homme d’affaires Lauris Kāpostiņš, dont la sœur n’est autre que la belle-fille d’un certain Aivars Lembergs.
Un imbroglio d’informations et d‘opinions
Trois cultures journalistiques se côtoient et rivalisent en Lettonie. Il y a d’abord l’amalgame d’informations et d’opinions, surtout le fait de beaucoup de médias russophones. Il y a ensuite une tradition du journalisme postsoviétique, récupérateur et autoritaire, caractéristique des médias qui ne sont pas indépendants de la politique et de l’économie. Il y a enfin aussi des rédactions qui observent les règles journalistiques avec une grande rigueur.
Dans cette dernière catégorie, citons le journalisme d’investigation letton et les projets novateurs par lequel il se démarque de ses voisins d‘Europe du Nord et de l’Est. Le projet phare de ce type de journalisme est le centre de journalisme d’investigation Re:Baltica, financé par des dons et des programmes internationaux de bourses.
Dans les médias publics aussi, le journalisme d’investigation connaît un certain essor. L’émission hebdomadaire "De facto", de la chaîne télévisée LTV, braque les projecteurs sur des affaires de corruption. Une autre émission diffusée sur LTV, "Aizliegtais paņēmiens" (manœuvre interdite), suit le même format depuis 2013, reposant sur la technique de l’investigation incognito : se faisant passer qui pour un plongeur en cuisine, qui pour un jeune chef d’entreprise, les journalistes de l’émission révèlent au grand jour des rouages de la politique ou confondent des fraudeurs du fisc, des conseillers en corruption ou encore des influenceurs sur Instagram. L‘émission "Nekā personīga" ("Rien de personnel"), diffusée sur TV3, analyse chaque semaine des évènements ayant émaillé l’actualité politique.
Scoops contre les fausses informations et la désinformation
D’autres médias se font également le porte-voix de révélations importantes, notamment l’hebdomadaire Ir ou le portail Delfi. Sans le financement de fonds publics dédiés au soutien des médias, une partie de ces recherches ne pourrait pas être menée à bien.
Un certain nombre de journalistes d’investigation ont démasqué comme tels un nombre important de cas de désinformation. Les plus connus sont probablement les rectificatifs apportés par Re:baltica à de fausses informations, diffusées par des portails douteux, portant sur l’écroulement d’un supermarché à Riga en 2013. Les scoops de Re:Baltica avaient suscité un vif intérêt dans l’opinion lettone sur ce sujet extrêmement sensible quand on sait que plus de 50 personnes avaient trouvé la mort sous les décombres de ce supermarché. Depuis, la justice recherche des moyens légaux d’endiguer la désinformation. En 2019, les exploitants des portails frauduleux ont été arrêtés et des procédures pénales engagées à leur encontre.
Classement pour la liberté de la presse (reporters sans frontières) : rang 22 (2020)
Mise à jour : avril 2020