L'UE cède aux exigences de Cameron
La Grande-Bretagne et tous les autres Etats membres de l'UE auront le droit de refuser les aides sociales aux ressortissants communautaires pendant les quatre premières années de leur séjour. Le gouvernement britannique s'est montré satisfait de cette proposition du président du Conseil européen, Donald Tusk, et des autres concessions qu'il lui a faites. Mais cela suffira-t-il à déjouer un Brexit ?
Quelle qu'en soit l'issue, le référendum impactera l'UE
Brexit ou pas, la discussion que soulève le référendum en Grande-Bretagne entraînera des changements tangibles au sein de l’UE, analyse le quotidien libéral Upsala Nya Tidning :
«Si la Grande-Bretagne quittait l’UE, le poids de cette dernière sur la scène internationale économique et politique s’en trouverait bien sûr affaibli. C’est pourquoi les chefs de gouvernement de l’UE sont prêts à faire de larges concessions à Cameron. … Même si les modifications apportées au traité entre la Grande-Bretagne et l’UE ne seront en partie que symboliques, elles changeront toutefois l’UE. Si la Grande-Bretagne quitte l’Union, celle-ci en sera affaiblie. Un maintien de la Grande-Bretagne au sein de l’Union renforcera probablement les forces favorables à une Union à deux vitesses - un noyau dur qui restera mû par la supranationalité, et un groupe de pays périphériques qui entretiendront des liens très variables avec le cœur de l’Union. Ce n’est pas une évolution souhaitable à long terme. Pas plus, du reste, que l’éventualité d’un Brexit.»
On n'entendra plus parler du Brexit
Avec ses propositions, le président du Conseil européen Donald Tusk a trouvé la formule magique qui garantit le maintien des Britanniques au sein de l’UE, se réjouit le quotidien libéral Jutarnji list :
«Une consultation populaire présente toujours des risques, mais il faut espérer désormais que les Britanniques seront raisonnables et n’oseront pas risquer un Brexit. En dépit des difficultés que connaît l’Union, à l’heure actuelle, on ne fait pas mieux. Toute cette histoire aboutira peut-être à quelque chose de positif. Si l’on peut escompter une issue heureuse au référendum, et donc un maintien du Royaume-Uni au sein de l’UE, la question du Brexit disparaîtra à tout jamais de l’ordre du jour. C’est une bonne chose que l’on ait trouvé le moyen de permettre aux différentes parties de sauver la face et, par la même occasion, de sauver l’unité européenne.»
Un 'frein aux prestations' pour éviter le Brexit
L’UE a proposé la mise en place d’un frein pour limiter l’accès - dans un premier temps - des travailleurs migrants intra-européens aux prestations sociales. Une initiative justifiée, selon le quotidien de centre-gauche De Volkskrant :
«Il faut espérer que les PECO sauront s’accommoder des restrictions temporaires des prestations sociales pour leurs ressortissants domiciliés en Grande-Bretagne. Sans concession dans ce domaine, on aurait accru la probabilité que le non l'emporte au référendum sur l’appartenance de la Grande-Bretagne à l’UE. Or un Brexit serait une perte pour l’UE. … Les Britanniques donnent une voix aux sentiments eurosceptiques sur leur île, mais aussi dans d’autres pays de l’Union. La Grande-Bretagne joue un rôle important au sein de l’UE, notamment en faisant contrepoids à l’axe franco-allemand. L’introduction de ce 'mécanisme de sauvegarde' en est un bon exemple. C’est une procédure qui permettra de renforcer la démocratie au sein de l’UE.»
Maintenir Londres dans l'UE : à quoi bon ?
Le prix que l’UE semble être prête à payer pour maintenir la Grande-Bretagne en son sein est trop élevé, signale Adelina Marini sur son blog euinside :
«Aujourd’hui déjà, le fait est que cet Etat membre n’a pas été contraint d’adopter l’euro, ni d’entrer dans l’espace Schengen. On l’a autorisé à conserver le contrôle de ses frontières, à décider librement s’il voulait suivre la réglementation européenne en matière de sécurité et de justice ; depuis décembre 2014, il n’est pas tenu de se conformer à une grande partie de la législation européenne en matière de collaboration policière et juridique. En d’autres termes : la Grande-Bretagne est aujourd’hui déjà, de fait, en dehors de l’UE. On se demande alors si encore plus de concessions, ce ne serait pas un prix trop élevé pour retenir la Grande-Bretagne dans l’UE seulement pour la forme.»
L'UE entame l'un de ses piliers
Il est problématique que l’UE veuille autoriser ses Etats membres à exclure les ressortissants d’autres Etats de l’UE du droit aux prestations sociales pendant les quatre premières années de leur séjour, écrit le journal économique libéral Handelsblatt :
«A Berlin comme dans d’autres capitales, Cameron prêche des convertis. Tout comme le maire de Londres, les maires allemands aimeraient écarter de leur caisse de prestations sociales les Roumains et les Bulgares. Il est vrai qu’un nombre croissant d’immigrés issus des pays pauvres de l’UE empochent dans notre pays aide sociale et allocations familiales. Certains y parviennent en se faufilant dans les failles de la législation sociale allemande. Le législateur devrait s’employer à colmater ces failles une bonne fois pour toutes. … Mais l’UE préfère entamer un de ses piliers fondamentaux : la libre circulation des travailleurs. … Juridiquement, l’UE s’expose à un risque considérable. Il se pourrait fort bien que la Cour de justice européenne interdise cette discrimination arbitraire des étrangers dans l'accès au droit social.»
Une victoire à la Pyrrhus pour Cameron
Les propositions de Donald Tusk sont pour David Cameron une victoire à la Pyrrhus, déplore le journal économique libéral Il Sole 24 Ore :
«Alors que l’édifice européen est ébranlé dans ses fondations par des crises cycliques qui réfrènent sa capacité à s’auto-réformer, il est assez cocasse et tragicomique que la perspective d’un Brexit, au nom des quatre volets de contentieux identifiés par Londres, vienne le pousser un peu plus vers le précipice. De bonnes réformes ? Quelques-unes, peut-être. Des réformes indispensables ? Aucune, pour personne. Y compris pour la Grande-Bretagne et David Cameron, lequel s’aventure pour la seconde fois dans un contentieux politique délicat sans le moindre scrupule. Le risque d’un Brexit subsiste en dépit des réformes. Et Cameron n'a même pas atteint l’objectif espéré, à savoir la réconciliation des pro et anti-UE au sein de son parti.»
La zone euro, noyau dur de l'Europe
Si l’on veut assurer la survie du projet européen, il faut se concentrer sur son noyau dur, préconise le quotidien de centre-gauche Libération :
«Cette énième crise de nerfs vient rappeler aux dirigeants européens que le mythe d’une UE avançant d’un même pas est définitivement mort. Le cœur du projet communautaire, c’est la zone euro qui est, avec 19 pays, à son extension maximale. C’est elle qu’il faut intégrer et démocratiser d’urgence, sa survie en dépend, sans plus se préoccuper des autres Etats membres. Une révolution copernicienne est nécessaire : un nouveau traité à 19 créant une zone euro fédérale, une 'Europe puissance'. Ainsi, on empêcherait le Royaume-Uni et ses apprentis de nuire. Si l’Allemagne y est prête, la France, elle, est ailleurs. Et c’est cette absence qui est dangereuse, bien plus qu’un Brexit.»
La Grande-Bretagne fait la force de l'UE
Si la restriction des prestations sociales pour les travailleurs immigrés issus d’autres pays membres de l’UE est un coup dur pour la Pologne, elle reste préférable à un Brexit, estime le quotidien libéral Gazeta Wyborcza :
«Ceci affaiblirait sensiblement l’UE tant sur le plan économique que politique - notamment par rapport à la Russie. Dans cette éventualité, elle se recroquevillerait encore plus sur son centre, la zone euro. Ceci porterait à nouveau préjudice aux pays qui, n’ayant pas adopté l’euro, ne sont pas associés aux décisions les plus importantes. C’est le cas de la Pologne. C’est pourquoi il est bon que le gouvernement de Beata Szydło se soit montré ouvert au compromis sur la question des travailleurs immigrés. … La Pologne doit certes se battre pour que les réformes affectent le moins possible les Polonais et les autres émigrés résidant en Grande-Bretagne. Mais le calcul est vite fait : mieux vaut renoncer à une partie des droits aux prestations sociales si, en contrepartie, on peut épargner à l’UE le risque d’un Brexit.»
Retrouver le contrôle des frontières
La proposition de compromis ne va pas assez loin, critique le quotidien conservateur Daily Mail :
«Pendant que les politiques font les importants, le véritable danger pour la stabilité européenne à la périphérie sud de l’UE s’aggrave de jour en jour. … En Allemagne, en Suède et au Danemark, on a assisté à de violentes manifestations, et les partis d’extrême droite connaissent un regain de popularité sur l’ensemble du continent. Si l’on ne réussit pas à maîtriser ce raz-de-marée humain, c’est l’existence même de l’UE qui est en danger. La seule solution est de limiter la liberté de circulation et de rendre aux Etats le contrôle de leurs frontières. Il est inouï que ces questions cruciales n’aient même pas été abordées lors des négociations tant louées sur la réforme de l’UE.»
Londres impose de nouvelles méthodes à l'UE
En formulant ses exigences à l’égard de l'UE, le gouvernement britannique a créé un précédent, critique le journal économique libéral L'Echo :
«L’Europe fait mine de ne pas voir le drame qui se joue sous ses yeux: l’éclosion d’une nouvelle façon de faire tourner l’Union. Jusqu’à présent, il y en avait deux. La bonne – on avançait collectivement en suivant l’intérêt général des citoyens européens (la Commission propose, le Parlement européen et les États disposent). Et la mauvaise – on laissait quelques États bâtir des accords dans leur coin avant de les imposer aux autres. Le Royaume-Uni est en passe de démontrer qu’une troisième méthode est possible: celle du chantage. Quelle que soit l’issue de cette négociation, le simple fait qu’elle ait lieu suffit à montrer que chaque État est légitime pour revendiquer un bouleversement de l’agenda au nom d’un obscur particularisme.»
La Grande-Bretagne perdrait au change
L'UE n'a pas à s'inquiéter d'un éventuel Brexit, croit savoir le quotidien libéral Večer :
«Il est très peu probable qu'un Brexit compromette l'avenir de l'UE. ... En revanche, il est fort possible que la Grande-Bretagne ne s'en sorte pas indemne. Car l'Ecosse, qui a rejeté l'indépendance lors du référendum de l'automne 2014, pourrait à nouveau corser les choses. Les Ecossais sont en effet moins eurosceptiques que les Anglais. Sans l'UE pour la soutenir, la Grande-Bretagne pourrait bien devenir le petit toutou des Etats-Unis. Dans ce contexte, parlera-t-on encore de GRANDE-Bretagne après 2017 ?»
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