Rome, Rohani et l'affaire des statues
Pour ménager l'hôte iranien, certaines statues du Musée du Capitole, représentant des nus, avaient été masquées à l'occasion de la conférence de presse du Premier ministre Matteo Renzi et du président Hassan Rohani. Rome s'est-elle ridiculisée par trop de prévoyance ?
L'Italie, plus pudique que les ayatollahs
L’autocensure italienne montre à quel point l’Occident méconnaît la politique et la société iranienne, critique l'hebdomadaire de centre-gauche L’Obs, suite à l’affaire des statues dissimulées par Rome avant la visite du président iranien :
«Car même les 'principalistes' qui s’arcboutent sur les principes de la République islamique n’ont pas réussi à obtenir que soient dissimulées les peintures libertines des palais d’Ali Qapou et des Quarante colonnes à Ispahan. Ces fresques dont certaines montrent des femmes cheveux au vent, servant du vin à des hommes au cours de banquets ont été protégées pendant la révolution de 1979 de la fièvre religieuse et dissimulées sous de la chaux. Mais le président Rafsandjani les a découvertes et inaugurées en grande pompe. Les dignitaires du régime les montrent encore aujourd’hui à leurs visiteurs en s’amusant de leur réaction. Parions qu’ils doivent aussi s’amuser des pudeurs italiennes.»
L'Orient n'a pas le monopole de la pudeur
Dissimuler les nus du musée du Capitole à Rome n’est pas une trahison de la culture occidentale, pense le quotidien Avvenire. L’histoire européenne est constellée d’épisodes comparables, écrit le journal catholique :
«Le peintre Daniele da Volterra est entré dans les annales avec le nom peu flatteur de 'faiseur de culottes', qu’il devait à sa manie de vêtir les personnages de Michel-Ange dans la Chapelle Sixtine, trop dénudés à son goût. … Une certaine prudence dans la représentation picturale - dont le rôle dépasse le cadre purement décoratif - fait donc partie intégrante de l’identité occidentale. L’attitude du monde musulman envers la nudité est infiniment plus complexe. … Pour aborder autrui, il faut d’abord de se connaître soi-même, faute de quoi tout finirait dans la caricature. Et c’est précisément ce qui s’est produit à Rome.»
Dissimuler des statues est un leurre
On ne peut renier sa propre culture dans le seul but de courtiser un dirigeant musulman, déplore le quotidien de centre-gauche La Repubblica :
«Bien entendu, la perception - et le traitement - des 'offenses' est à l’origine du problème fondamental entre l’Occident et l’islam. En faisant les exceptions qui s'imposaient, les Occidentaux ont appris à gérer cette question. L’islam, dans son ensemble, ne sait pas gérer l’offense. Le rapport à autrui et à la diversité ne semble pas faire partie des facultés des personnes concernées. Alors comment les aider ? Le débat dure depuis des années, mais personne ne peut prétendre avoir trouvé la solution. Dissimuler nos trésors pour ne pas irriter les musulmans s'avère peu constructif. Ceci ne fait même qu'entretenir leur incapacité à accepter la diversité des cultures et des mentalités.»
Commercer avec l'Iran ? Pas si simple
Tout le monde voit dans la fin des sanctions contre l’Iran l’occasion de formidables débouchés économiques pour l’Europe. Or cet espoir pourrait s’avérer illusoire, prévient le quotidien de centre-gauche Tages-Anzeiger :
«L’Iran reste un pays dans lequel la bureaucratie et la corruption compliquent les échanges commerciaux. Dans les entreprises proches de l’Etat, la loyauté politique a toujours primé sur les compétences. La Garde révolutionnaire et les fondations religieuses proches du dirigeant suprême Ali Khamenei ont profité des années de sanctions pour placer sous leur contrôle les secteurs les plus lucratifs. … Sur le plan politique, l’Iran reste également imprévisible : les tests de missiles menés l’année passée montrent que les tenants de la ligne dure au sein de l’appareil sécuritaire ne renonceront pas aux provocations. Le jour de l’annonce de la levée des sanctions dans le dossier du nucléaire, les Etats-Unis ont décrété de nouvelles sanctions à l’encontre de l’Iran, en raison d'atteintes aux résolutions de l’ONU.»
Rohani ne pourra l'emporter face aux ayatollahs
En signant des contrats économiques de plusieurs milliards, Rohani marque le retour de son pays sur le marché mondial, mais face aux ayatollahs, il lui sera difficile de mener de véritables réformes dans son pays, explique le journal économique libéral Il Sole 24 Ore :
«Le guide suprême [Ali Khamenei] contrôle directement la SETAD, une fondation dotée de 95 milliards de dollars d’actifs et présente dans tous les domaines de l’économie. Même les Pasdaran, les Gardiens de la révolution, impliqués dans les combats en Irak et en Syrie, et qui soutiennent le Hezbollah libanais, entendent préserver et développer l'importante part du pouvoir économique qu’ils détiennent, à l’instar des ayatollahs. Corriger le système, qui présente de nombreuses déficiences, sera le véritable défi pour Hassan Rohani. Il a fait un grand pas en avant en signant l’accord sur le nucléaire, mais réformer la République islamique de l’intérieur pourrait s’avérer plus compliqué : car il est lui aussi un mollah, et pour changer le système, il lui faudrait scier la branche même sur laquelle il est assis.»
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