L'OTAN déploie des navires en mer Egée
Donnant suite à une demande de Berlin, Athènes et Ankara, l'OTAN déploiera une mission militaire sous commandement allemand en mer Egée. Si certains commentateurs espèrent que la lutte contre les passeurs et la coopération entre la Turquie et la Grèce s'en trouveront renforcées, d'autres font valoir que la chasse aux canots pneumatiques ne résoudra en rien la crise des réfugiés.
L'OTAN sévit enfin contre le trafic d'êtres humains
L’OTAN abandonne enfin sa neutralité politique en s’associant à la lutte contre le trafic d'être humains en mer Egée, se félicite le quotidien de gauche Právo :
« Un chiffre illustre l’urgence de la mesure : depuis le 1er janvier, 75 000 réfugiés ont traversé la mer Egée, soit dix fois plus que sur cette même période un an plus tôt. L’Allemagne a joué un rôle clé dans la décision de l’OTAN. Cela n’a rien d’étonnant, car c’est dans l'Egée que se décidera le destin politique d’Angela Merkel. La bouée de sauvetage de l’OTAN tombe pile au moment où le président turc Recep Tayyip Erdoğan menace de laisser passer les migrants en Grèce ou en Bulgarie si l’UE ne double pas l’enveloppe d’aide prévue pour la Turquie. On n'est pas à l'abri d’autres mauvaises surprises.»
Rapprocher les Grecs et les Turcs
Le quotidien de centre-gauche Süddeutsche Zeitung espère qu'il s'agira d'une mission menée à dessein d'instaurer la confiance entre deux partenaires :
«Bien qu’elles soit partenaires au sein de l’OTAN, la Grèce et la Turquie ne travaillent pour ainsi dire jamais ensemble dans la lutte contre les passeurs en mer Egée. Sous l’égide de l’OTAN, les deux camps peuvent bénéficier d’informations précises qui leur sont fournies par les bateaux d'un membre de l’OTAN. Il s’agit donc moins d’une militarisation de la politique en matière de réfugiés que d’une mesure visant à restaurer la confiance entre les Grecs et les Turcs. Il serait difficile de considérer comme un acte de guerre la volonté d’agir contre le chaos dans l'Egée et de sauver les personnes en détresse en mer. La Turquie ne tolèrerait pas dans ses eaux territoriales une mission menée par l’UE, comparable à celle menée au large des côtes libyennes. L’OTAN ne résoudra évidemment pas la crise des réfugiés. Mais si elle réussissait à la désamorcer un tant soit peu, elle se serait déjà rendue utile.»
La chasse aux zodiacs : de la poudre aux yeux
Pour le quotidien de centre-gauche Delo, c’est certain, la mission annoncée sera un coup d'épée dans l'eau :
«Même s’ils ont accepté de faire la chasse aux canots pneumatiques en mer Egée, les généraux de l’OTAN savent bien que ce n'est pas le moyen de résoudre la crise des réfugiés. Car dès demain, une autre crise des réfugiés peut se déclarer à un autre endroit. On mesure toujours la gravité des crises à l'aune des mouvements de population qu'elles provoquent. Outre la Syrie, il existe de nombreuses autres crises. Même au grand complet, la flotte de l’OTAN ne suffirait pas à chasser tous les canots pneumatiques. L’intervention annoncée n’est donc rien d’autre qu’un gaspillage de temps et de moyens. Une sorte de 'manœuvre de consolation', par le biais de laquelle les dirigeants européens espèrent au moins montrer à leurs électeurs qu’ils sont capables d’agir avec fermeté.»
Une mission qui ne remplace pas l'aide humanitaire
L’opération de l’OTAN en mer Egée ne saurait remplacer l'aide humanitaire pour les réfugiés, estime le journal libéral-conservateur Neue Zürcher Zeitung :
«Se contenter de refouler les réfugiés syriens en Turquie ne saurait être la solution à la crise. La Turquie procure d’ores et déjà un abri à 2,5 millions de réfugiés, et ce nombre enfle quotidiennement. ... Les critiques adressées à Ankara ont toute raison d’être, mais il faut aussi comprendre le président Erdoğan quand il demande aux critiques de s'activer davantage pour les réfugiés. La Turquie et les pays voisins - Liban et Jordanie -, aussi fortement mis à contribution, ont besoin de l’aide européenne, sous forme d’argent et de marchandises, mais aussi par la disposition à offrir sécurité et protection à davantage de Syriens, par le biais de réinstallations ciblées. Si la pénurie perdure, le déploiement de navires de guerre modernes en Méditerranée ne permettra pas d'empêcher des réfugiés de guerre désespérés d’entreprendre une traversée dangereuse à destination de l’Europe.»
Une avanie pour l'UE
L’appel au secours de l’UE à l’attention de l’OTAN et sa demande d'intervention en mer Egée est un honteux geste de désespoir, juge le portail public tagesschau.de :
«Si l’on en arrivait là, des bâtiments américains patrouilleraient au large des côtes de l'UE parce que les Européens ne s’en sortent pas. Telle est l’image que cette intervention donnerait de la situation politique. Un tableau affligeant. … Flou complet aussi quant au devenir de la situation que l’OTAN est censée éclaircir. C’est une chose que de savoir d'où les bateaux pneumatiques prennent la mer. Mais l’OTAN devrait également avoir le droit d’arrêter les bateaux, d’identifier les passeurs et surtout d’accueillir les réfugiés à bord - comme cela est d’ores et déjà le cas dans les missions menées par l’UE au large de la Libye. Reste à savoir ce qu’il adviendrait alors des réfugiés secourus.»
L'impuissance de la communauté internationale
L’appel au secours lancé à l’OTAN révèle à quel point la communauté internationale est désemparée face à la guerre civile syrienne et à la crise des réfugiés, résume le quotidien de centre-gauche El Periódico de Catalunya :
«L’avancée de l’armée gouvernementale sur Alep a pour autre conséquence grave de tuer dans l’œuf la conférence de paix de Genève. La perspective de négociations a disparu pour le moment. La requête présentée à l’OTAN par Ankara et par Berlin, afin que l’alliance s’implique dans le contrôle des frontières, est un appel désespéré face à une situation que personne n’est capable ou désireux d’affronter, ni les pays sur le plan individuel, ni l’UE de façon collective. Cet appel, ainsi que la timide réponse apportée par l’OTAN, illustrent bien le pitoyable échec de la communauté internationale ces cinq années de guerre.»
La faute à l'incapacité grecque
Dans la gestion de la crise des réfugiés, Athènes a eu la négligence de céder le premier rôle à la Turquie, estime le quotidien libéral Politis, face à l’éventualité d’une intervention de l’OTAN en mer Egée :
«La crise des réfugiés conforte l’importance géopolitique de la Turquie et l’avenir nous dira comment cela impactera l'équilibre au Proche-Orient. … Pour contrôler les flux de réfugiés, l’UE se tourne à présent vers Ankara et vers la République de Macédoine (où le dispositif de protection de la frontière avec la Grèce est renforcé). C’est dramatique à dire, mais la Grèce a échoué à montrer qu’elle était en mesure d’assurer la stabilité, faute d'avoir protégé efficacement les frontières extérieures de l’UE. Au contraire, la Grèce a renvoyé la balle dans le camp de la Turquie. Résultat : Erdoğan est maintenant prêt à montrer qu’il est le patron au Proche-Orient.»
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