Syrie : les combats enterrent la diplomatie
En dépit des efforts de dialogue à Munich, l'espoir d'un cessez-le-feu en Syrie s'est évanoui. Des hôpitaux et des écoles ont été bombardés à Alep et Idlib, la Russie et les Etats-Unis s'accusant mutuellement d'être à l'origine des frappes. Les éditorialistes s'inquiètent pour la paix mondiale.
Ankara ne songe qu'à ses propres intérêts
L’armée turque bombarde depuis ce week-end les territoires sous contrôle kurde dans le nord de la Syrie. Les unités du YPG constituent l’un des principaux alliés de l’Occident dans la lutte contre l’organisation terroriste Daech en Syrie. Loin de vouloir la paix, la Turquie cherche uniquement à protéger ses intérêts dans la région, souligne le quotidien libéral Phileleftheros :
«Ankara espère se débarrasser de l’élément kurde, car elle sait qu’il n’y aura pas de sécurité tant que subsistera le rêve d’un Etat kurde indépendant. Or sa marge de manœuvre est limitée. Un Etat kurde indépendant est sur les rails depuis un certain temps déjà en Irak, et les Kurdes de Syrie sont en train d’emprunter la même voie, avec l’appui manifeste des Etats-Unis et de la Russie.»
Poutine, la paix par les bombes
Le Kremlin a récusé toute responsabilité dans les attaques perpétrées contre des écoles et des hôpitaux, lundi, en Syrie. L’usage combiné du dialogue et des bombes est pourtant devenu la grande spécialité de Poutine, rappelle le quotidien de centre-gauche La Repubblica :
«C’est peut-être un tournant auquel on assiste dans la bataille d’Alep, suite à l’intervention de l’armée de l’air russe. Aux yeux de nombreux observateurs, il s’agit d’une répétition des évènements survenus en Ukraine il y a exactement un an. Tandis que les chefs d’Etat et de gouvernement étaient réunis à Minsk pour négocier, l’artillerie des séparatistes, appuyée par les Russes, s’acharnait sur la ville stratégique de Debaltsevo, sise en Ukraine orientale et défendue à grand-peine par les troupes de Kiev. Dans la capitale biélorusse, où se négociait un accord de cessez-le-feu, Vladimir Poutine ne cachait pas sa satisfaction. Négocier sur fond de bombardements, cela s’avère efficace pour le belligérant concerné, qui se voit ensuite adjugé le terrain conquis à la dernière minute.»
La Russie place les Etats-Unis devant un dilemme
Le président russe Vladimir Poutine profite des journées qui précèdent l’entrée en vigueur de la trêve décidée à Munich pour renforcer sa position dans les négociations, affirme également le magazine en ligne Slate :
«La recrudescence des bombardements russes et le siège d’Alep n’ont pas pour objectif de torpiller les négociations. Ils visent à créer sur le terrain des faits accomplis qui obligent les Occidentaux à accepter ce qu’ils ont refusé jusqu’à récemment, à savoir le maintien de Bachar el-Assad au pouvoir. 'Que voulez-vous que nous fassions ? La guerre à la Russie ?' a confié John Kerry. Les Etats-Unis sont placés devant un dilemme: soit s’engager plus avant en Syrie, éventuellement en envoyant des troupes combattre au sol ou en décrétant des zones d’exclusion aérienne pour épargner les civils, ce qui suppose les moyens militaires de les faire respecter, soit accepter les conditions russes.»
De la révolution syrienne à la guerre mondiale
La révolution syrienne contre le régime de Bachar Al-Assad était vouée à l’échec dès lors que le soulèvement s’est mué en guerre de religion, analyse le quotidien de centre-gauche Delo :
«Personne n’est venu en aide aux rebelles séculiers, et ce sont des groupes islamistes extrémistes qui sont venus remplir le vide ainsi créé. Soutenus par les Etats arabes sunnites, ces groupes ont combattu le régime chiite et ses appuis militaires régionaux et internationaux. De la Syrie, il ne reste plus qu’une région dévastée, théatre depuis un certain temps d'un combat mondial, avec l’implication de plus de 70 Etats sur différents fronts. Officiellement, tous ceux qui participent à la guerre mondiale syrienne combattent le groupe terroriste Daech ; officieusement, ils collaborent tous avec l’organisation - car ils ont besoin de cet état de guerre permanent.»
Le Kremlin pourrait empêcher le massacre de civils
Des missiles tirés notamment sur des hôpitaux ont tué près de 50 civils lundi en Syrie. Moscou porte une responsabilité dans ces crimes de guerre, critique le quotidien de centre-gauche Süddeutsche Zeitung :
«Même lorsque la Russie ne largue pas elle-même les bombes, elle a une part de responsabilité dans la stratégie de la terre brûlée pratiquée par Bachar Al-Assad, depuis des années, pour tenter d’anéantir l’opposition autre que celle des milices terroristes Daech et Al-Nosra. Faire cesser les attaques de cibles civiles ne nécessite pas une coopération militaire avec les Etats-Unis, comme le demande Moscou. Un ordre du Kremlin suffirait. La trêve convenue n’est pas encore entrée en vigueur en Syrie. Ni le gouvernement russe ni le régime d’Assad n’a laissé entrevoir le moindre signe de bonne volonté.»
La Turquie doit se garder d'intervenir en Syrie
Le Premier ministre turc Ahmet Davutoğlu a affirmé lundi que la Turquie ne permettrait pas que les milices kurdes conquièrent la ville d’Azaz, dans le nord-ouest de la Syrie. La situation devient extrêmement périlleuse, écrit le journal en ligne libéral Radikal :
«Pourquoi vouloir mener le pays au bord d’une guerre, et semer le trouble au niveau national et sur le plan international ? La Turquie l’explique ainsi : partageant 910 km de frontière avec la Syrie, ayant été mise sur la touche par les Etats-Unis et la Russie, et ses inquiétudes sécuritaires n’ayant pas été écoutées, l’accord convenu entre les deux grandes puissances ne produira aucun résultat. Or l’histoire regorge d’exemples de guerres qui ont éclaté à un moment inattendu, pour des raisons qui paraîtraient absurdes dans d’autres circonstances. Il est primordial de tirer les enseignements de l’histoire et de circonscrire le péril de la guerre.»
Après Munich, la position d'Assad confortée
La conférence de Munich a conforté la position du dictateur syrien Bachar al-Assad parce qu’elle a laissé la Russie imposer ses idées, écrit le quotidien de sensibilité chrétienne Kristeligt Dagblad :
«Les accords de Munich sont la preuve que la Russie et le président Poutine donnent maintenant le la en Syrie. En s'inclinant devant cet état de fait, les Etats-Unis et l’Ouest renforcent Assad. Les Américains ont beau maintenir que le président Assad doit partir, ils font face à des Russes qui maintiennent de leur côté qu’il appartient à la population syrienne de décider du sort de son pays et de son dirigeant. Puisqu’on ne peut pas tomber d’accord sur les modalités d’un gouvernement de transition, la voie de la paix reste jonchée d'obstacles, malgré les espoirs éveillés à Munich.»
Le pari risqué de Poutine
La stratégie de Poutine, qui consiste à gagner du terrain en Syrie afin de renforcer sa position face à l’OTAN et à l’UE, est hasardeuse, estime le quotidien libéral La Stampa :
«Pour comprendre les velléités de l’impénétrable président russe, il faut regarder le calendrier qui l’attend : les deux prochaines échéances, ce sont le sommet de l’OTAN à Varsovie les 8 et 9 juillet, et le renouvellement des sanctions le 31 juillet. … Les relations entre Poutine et Obama n’ont jamais été bien bonnes. Le fait de placer la barre très haut dans les négociations a souvent joué en la faveur du président russe, du moins à court terme. Cette fois-ci toutefois, ce serait une erreur. Rejeter Washington ne ferait que pousser l’OTAN dans les bras de ceux qui veulent faire de l’organisation une forteresse antirusse et empêcher une quelconque réflexion rationnelle en Europe sur l’intensité des sanctions.»
Il n'y a pas d'opposition modérée en Syrie
Difficile de trouver des groupes d'opposition qui ne soient pas radicaux en Syrie, souligne le quotidien libéral Hürriyet Daily News :
«C’est un secret de polichinelle : il n’y a plus d’'opposition modérée' en Syrie - s'il y en a jamais eu. Il est bien connu que les Etats-Unis et leurs alliés ne sont pas parvenus à trouver ne serait-ce qu’une poignée de rebelles modérés susceptibles d’être entraînés à combattre Daech et le Front Al-Nosra, et que de nombreux groupes d’opposition partagent des points de vue similaires à ceux d’Al-Qaida et de Daech. Nous savons tous que la majorité des Syriens sont modérés, ce qui explique pourquoi ils ont choisi de fuir le pays plutôt que d’être impliqués dans un conflit armé contre le régime. Nous savons tous que ceux qui choisissent de se battre le font pour un quelconque 'Etat islamique' ou un 'califat', et que ceux qui fuient la Syrie en direction des pays occidentaux préfèrent vivre dans des sociétés libérales.»
Une poudrière extrêmement dangereuse
L’implication d’un nombre croissant d’acteurs dans le conflit syrien constitue une menace de plus en plus grave pour la paix dans le monde, selon le quotidien libéral-conservateur Postimees :
«Désireuse de protéger le régime de Bachar Al-Assad, la Russie est-elle vraiment prête à risquer un conflit avec les Saoudiens et les Turcs, eux-mêmes soutenus par les Etats-Unis ? Difficile à dire. Ce qui est certain en revanche, c’est que le cessez-le-feu convenu la semaine dernière à Munich entre les Etats occidentaux et la Russie ne fonctionnera pas. Il s’agit donc d’un revers de plus infligé à la politique étrangère maintes fois critiquée du président Barack Obama, et la Syrie reste la poudrière qui menace la paix mondiale contemporaine.»
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