Macron peut-il impulser un nouveau départ à l'Union ?
Macron voudrait une Europe plus proche des citoyens mais aussi une zone euro plus forte, dotée d'un ministre de l'Economie et introduisant les 'eurobonds'. Si les commentateurs sont nombreux à croire que Macron est capable d'engager une réforme fondamentale de l'Union, d'autres, plus sceptiques, soulignent que l'Allemagne se met déjà en travers du chemin.
Vers plus d'intelligence en politique
Svenska Dagbladet voit dans Macron de nouvelles chances de resserrement des liens européens :
«Il est tout à fait concevable de projeter une Europe avec une teneur supérieure en autodétermination nationale, sans que ceci s’oppose à la mondialisation. Le nationalisme n’est pas en contradiction avec la liberté et l’ouverture, au contraire : l’Etat nation est une condition historique à la démocratie européenne. ... On aurait tort de sous-estimer la valeur des présidentielles francaises, qui souffle dans les voiles de tous ceux qui, depuis longtemps, s’opposent à la pression des forces protectionnistes, en Suède comme ailleurs en Europe. ... Espérons que la présidence de Macron sera une réussite, qui pavera la voie de développements nombreux et positifs. Il semblerait qu’il soit davantage possible de gérer les problèmes par le biais d'une politique plus intelligente - une politique qui souligne la valeur de la souveraineté autant que celle de la coopération.»
Déjà, Berlin freine Macron
Alors que les effusions de joie suscitées par la victoire de Macron vont encore bon train en Europe, l’Allemagne dresse déjà des garde-fous pour contenir les projets de réforme du nouveau président français, constate Lidové noviny :
«Supprimer la réglementation du marché du travail ? Ce volet du projet de Macron est acclamé. Mais un ministère des Finances pour la zone euro, un budget commun et la mutualisation des dettes ? Sur ces points, les Allemands tirent fort sur les rênes. Selon Jens Spahn (CDU), spécialiste des questions financières, 'Ni la zone euro ni la France ne souffrent d’avoir trop peu de dettes'. Pas un mot sur l’Allemagne. Elle n’a pas de dettes mais un excédent, l’euro lui profite et dessert la France. Macron veut rééquilibrer les choses par la solidarité. Berlin, de son côté, réclame la solidarité sur la question des réfugiés, mais ne veut rien savoir de la solidarité quand il s’agit de dettes. On devine facilement dans quel sens ira la locomotive franco-allemande de l’UE.»
La Pologne doit vite passer à l'euro
"La zone euro ou la mort" – c’est ainsi que Bogusław Chrabota, rédacteur en chef de Rzeczpospolita, titre une tribune dans laquelle il gage que Macron imposera une poursuite de l’intégration de la zone euro, et que la Pologne risque de se trouver marginalisée :
«La fuite en avant est le seul salut pour les défenseurs de l’idée européenne. Une France plus forte obligera l’Allemagne à adopter des mécanismes en vue d’intensifier l’intégration [de la zone euro] et la scission de l’UE entre centre et périphérie deviendra réalité. Une Pologne sans l’euro – à la différence de ses voisins à l’Ouest, au Nord et au Sud – restera sur la touche et sera lentement ravalée au rang de réservoir de main d’œuvre. … En adoptant l’euro, nous supprimerions des fluctuations de cours suicidaires pour l’économie et les frais de change. Et nous reviendrions dans le noyau dur de l’UE. Nous déciderions de l’avenir du continent au lieu d’être à la merci des décisions prises par les autres. Vilnius, Riga, Tallinn et Bratislava ont déjà pris leur décision. Il est temps que Varsovie leur emboîte le pas.»
Démocratiser l'Europe !
L'UE a besoin d'une plus grande légitimité démocratique, souligne taz, se réjouissant que les idées de Macron aillent dans ce sens :
«Macron a fait des propositions. Il souhaite que la zone euro se dote de son propre budget et d'une gouvernance économique commune ; il aspire à un renforcement du Parlement européen. ... Ceci revient à désirer le renforcement de 'l'étage parlementaire' de l'UE. Il y a par exemple la revendication que le Parlement européen puisse être en mesure, à l'avenir, de faire passer des lois. ... L'exercice délicat qui attend l'UE consistera à garantir que les niveaux nationaux et régionaux puissent garder suffisamment de compétences pour ne pas être considérés comme de simples marionnettes de Bruxelles. Et, parallèlement, à démocratiser les institutions européennes. Envisagée avec sérieux, cette entreprise limitera le pouvoir des gouvernements nationaux. Prise à légère, elle entraînera, tôt ou tard, la fin de l'UE.»
Transformer l'UE ? Pas sans l'assentiment de Berlin
Le nouveau président français sera tributaire d’une bonne collaboration avec Berlin pour mener à bien les réformes qu’il entend réaliser, explique Der Standard :
«Macron réussira-t-il à briser la paralysie de l’UE ? Tout dépendra de l’évolution de l’environnement politique de l’Union, surtout après les élections allemandes à l’automne. La situation à Berlin restera stable. On ne sait pas toutefois si suite aux élections, le nouveau gouvernement sera dirigé par une chancelière ou un chancelier enclin aux réformes. Le fait est que trois présidents français se sont déjà cassés les dents à essayer de vendre leurs idées de réforme de l’UE à Berlin. D’autant plus que l’entrée en fonction de Macron intervient dans un contexte difficile : d'ici mars 2019, le Brexit sera la grande préoccupation de tous.»
Ce n'est pas une victoire européenne
S’il est vrai que Macron l’a emporté en tenant un discours pro-européen, Eric Bonse ne voit pas dans cette victoire le signe d’une hausse de popularité de l’UE, comme il l’écrit sur son blog Lost in Europe :
«Jamais les attaques contre la politique de l’UE et contre la mondialisation n’avaient été aussi virulentes que pendant cette campagne. Jamais les eurosceptiques de gauche et les europhobes de droite n’avaient été aussi forts. L’insatisfaction se porte non seulement sur Bruxelles, mais aussi sur la chancelière Merkel à Berlin. La majorité des Français nourrit des préjugés envers l’Allemagne et l’'Europe allemande', souligne le politologue H. Stark. Et pourtant, Macron veut à présent se montrer coopératif avec Merkel, au lieu de la défier, comme le président sortant Hollande avait essayé de le faire – en vain. C’est une tactique intelligente mais risquée. ... L’UE n’a pas gagné – elle s’en tire avec des bleus. L’Europe ne trouvera de répit réel que le jour où Bruxelles et Berlin feront un pas vers Macron et changeront leur politique.»
L'UE doit tirer parti de ce répit
Si l'UE se contente de pousser un soupir de soulagement avant de retomber dans son marasme habituel, alors la joie relative à la victoire de Macron sera de courte durée, assure le diplomate espagnol Carles Casajuana dans El País :
«D'un point de vue européen, l'analyse des résultats des présidentielles françaises ne fait aucun doute. La victoire d'Emmanuel Macron est une victoire de l'internationalisme sur le populisme, du cosmopolitisme sur la xénophobie, des partisans de l'ouverture sur les pourfendeurs de l'immigration et du libre-échange. C'est une victoire du projet européen. ... Mais on est encore loin d'avoir définitivement vaincu le populisme. Le score élevé du FN ne peut s'expliquer que par une forme de mécontentement vis-à-vis de l'Europe. Comme l'a indiqué Macron il y a quelques jours seulement : l'UE doit se renouveler. Faute de quoi la victoire d'hier ne sera qu'un répit de courte durée.»
La Pologne doit rester sur le devant de la scène
La victoire de Macron entraînera une Europe à deux vitesses et la Pologne serait bien avisée d'assurer ses arrières, écrit Rzeczpospolita :
«Il est temps de se préparer à une nouvelle stratégie européenne. Il faut commencer par mettre fin aux désaccords avec la France et par intensifier les contacts diplomatiques. ... Une chose est claire : consolider une Europe à deux vitesses reléguant la Pologne au second plan serait une erreur fondamentale. Nous devons rester dans le noyau dur de l’UE - notre responsabilité l’exige. Quitte à devoir adopter l’euro ou accélérer notre intégration à l’UE. Nous ne pouvons pas tolérer que Varsovie se retrouve confinée à la périphérie de l’Europe. Cela, nos enfants ne nous le pardonneraient pas.»
Les ultranationalistes stoppés
Hürriyet Daily News voit dans Macron une source d'espoirs pour l'avenir de l'UE, en dépit des critiques que celui-ci suscite :
«La victoire de Macron impulsera une évolution significative en France comme en Europe. Il a empêché les ultranationalistes de Le Pen d'arriver au pouvoir ; une extrême droite qui avait privilégié les mots d'ordre 'La France aux Français' et 'L'UE est morte', réitérant ainsi les slogans de la campagne du Brexit, qui a généré une confrontation durable et malsaine entre le Royaume-Uni et Bruxelles. ... La campagne présidentielle française venait à peine de commencer que Macron était perçu par les défenseurs de l'UE comme le sauveteur des valeurs européennes, de la démocratie et de l'unité. Mais il y a des voix divergentes. Certains le jugent trop apolitique, voient en lui un néolibéral susceptible de détruire les principes traditionnels de la société française. D'autres le jugent pâle et fragile ; ambitieux mais limité.»
L'UE a besoin d'une France forte
Iltalehti espère que la France aura davantage de poids au sein de l'Union :
«Si la participation électorale a été historiquement faible, la candidate du Front National Marine Le Pen a tout de même recueilli onze millions de voix. Un score non négligeable. De nombreux Français sont déçus par la politique actuelle, et pas seulement par la politique d'immigration. Même l'élection de Macron montre que les Français veulent un changement. Il reste à espérer pour l'Europe que le colosse chancelant qu'est la France retrouve son équilibre. Dans le cas contraire, l'importance de l'Allemagne dans l'UE risque de s'accroître de façon malsaine à l'avenir, surtout après le Brexit.»