Macron va-t-il révolutionner la vie politique ?
LREM aborde le second tour des législatives en soulignant qu’elle compte profiter de sa majorité au parlement pour mener les réformes pour lesquelles le parti a été élu. Mathématiquement, le parti social-libéral du président Macron est quasiment sûr d'obtenir la majorité absolue au second tour. Les éditorialistes analysent les grands changements qui vont s'opérer en France et établissent de premiers parallèles historiques.
La France réinvente la guillotine
Le succès électoral de LREM chasse de nombreux vétérans de la scène politique, observe El País, dressant des parallèles avec le XVIIIe siècle :
«Si ce qui se passe en France actuellement n'est pas une révolution, on peut néanmoins discerner certaines similitudes. Dimanche prochain, les urnes rendront leur verdict et scelleront un processus qui fera tomber de nombreuses têtes. ... En France, en Espagne et dans de nombreux autres pays, les gens en ont assez que les politiques s'arrogent le contrôle des institutions et que les partis deviennent de simples pourvoyeurs de postes. Avec son succès professionnel au sein de la banque Rothschild, Emmanuel Macron a déjà montré qu'il n'avait pas besoin de la politique pour aller de l'avant. C'est un atout non négligeable et difficile à battre.»
La France de 2017 fait-elle écho à la Turquie de 2002 ?
La victoire de Macron ressemble beaucoup à celle de l’AKP d’Erdoğan en 2002, analyse le quotidien progouvernemental Daily Sabah :
«Il serait injuste d’affirmer que les partis politiques français sont aussi inefficaces et surannés que ne l’étaient les forces politiques turques en 2002. Il n’en reste pas moins flagrant que ces élections marquent une nouvelle ère, de nouveaux défis et de nouveaux équilibres sur la scène politique française. Après avoir testé les dirigeants des deux grandes familles politiques, Nicolas Sarkozy dans le camp conservateur et François Hollande du Parti socialiste, la population française a voté pour une solution au centre : le refus de la polarisation et le soutien du centre-droit et du centre-gauche.»
Le gouvernement de la classe dominante
Ce sont surtout les citoyens des classes sociales élevées qui sont allés voter au premier tour des législatives. Une situation problématique, explique l'analyste politique Mathieu Slama dans Le Figaro :
«Le danger d'une telle configuration est que la fonction politique soit reléguée à une simple chambre d'enregistrement des doléances des entreprises. ... Le gouvernement Macron est le gouvernement de la classe dominante élu par la classe dominante. La mission qui lui est confiée est donc de facto de préserver les avantages et privilèges de cette classe. Trop éparpillée, il n'y aura pas de réelle opposition politique durant ce quinquennat. Les classes populaires n'auront donc aucun représentant capable de porter leurs revendications et défendre leurs intérêts pendant cinq ans.»
Des Français plus futés que les Anglo-Saxons
Le raz-de-marée LREM reflète l’insatisfaction des électeurs face aux partis traditionnels, écrit Rzeczpospolita :
«Au bout de 40 ans d’immobilisme économique, avec un taux de chômage faramineux et des problèmes avec la minorité musulmane, les Français ont dit 'ça suffit !' aux partis traditionnels. Le candidat du PS aux présidentielles Benoît Hamon ne sera même pas député et LR, dans l’opposition depuis déjà cinq ans, pourrait perdre 100 mandats. La moitié des candidats de LREM n’a encore aucune expérience en politique. Et il faut croire que 43 pour cent des députés seront des femmes. La France - comme les Etats-Unis avec l’élection de Trump et la Grande Bretagne avec le Brexit - fait un saut dans l’inconnu. Mais celui-ci est bien plus prometteur que dans le cas des Anglo-Saxons.»
Macron a convaincu, contrairement à l'opposition
C’est aux adversaires de Macron que Marianne impute la responsabilité du taux de participation historiquement faible de 48,7 pour cent :
«Les partis d’opposition feraient mieux de s’interroger sur leurs propres faiblesses, sur ces lourdes carences qui les ont empêchés de mobiliser leurs électeurs. ... Car ce ne sont ni les débuts d’Emmanuel Macron au pouvoir, ni les premiers pas du gouvernement d’Edouard Philippe qui sont à l’origine de l’affolante désaffection civique enregistrée ce dimanche. C’est l’incapacité de la France insoumise, du Front national, de LR et du PS à donner corps et crédit à une opposition crédible. Les électeurs macronistes se sont déplacés, eux. Ce sont les autres qui ont déserté. Cette défection est une nouvelle illustration de la disparition de ce vieux monde politique à bout de souffle qui a fait le lit du macronisme.»
La France reste fidèle à ses traditions
Ce n’est pas la première fois qu’aux législatives, les électeurs donnent à un président fraîchement élu les moyens de mener à bien sa politique, rappelle Diário de Notícias :
«La victoire du jeune parti du président perpétue une tradition française qui veut que le nouveau chef de l’Etat bénéficie d’un gouvernement majoritaire. ... Autrement dit, Macron peut tabler sur un soutien considérable qui lui permettra de mettre en œuvre son programme de réforme. ... Le taux d’abstention record enregistré à ces élections peut être interprété de différentes façons : par la certitude générale qu'une large victoire était de toute façon assurée au parti de Macron. Mais aussi par la démobilisation, surtout dans les rangs de l’extrême droite, qui avait tout misé sur Marine Le Pen aux présidentielles.»
Macron ou l'ubérisation de la vie politique
LREM bouleverse le paysage politique français, estime Le Temps :
«Exit les anciens attachés parlementaires devenus députés. Exit les hauts fonctionnaires recyclés à l’Assemblée. Exit les élus roués aux mécanismes législatifs et fins connaisseurs des rouages financiers de l’Etat. Exit les cumulards, puisque ces futurs parlementaires le seront à plein-temps ... Exit les combines et prébendes partisanes. L’analogie la plus pertinente pour juger du tsunami Macron est celle de la disruption numérique. La volonté de réhabiliter la valeur d’usage de la politique est affirmée. Le souci d’associer davantage les citoyens aux décisions est revendiqué. Le désir de ne pas devenir un parti 'comme les autres' est scandé. Le culte du chef et de l’innovation sont assumés. L’ubérisation de la politique française est devenue, ce dimanche, une réalité.»
Prochaine épreuve : les syndicats
Malgré son score historique aux élections, Macron est loin d’avoir atteint son but, rappelle Adevărul :
«Macron a un avenir radieux devant lui, il aura les pleins pouvoirs sur ce mandat législatif, ses réformes ont de bonnes chances de prendre. ... Y a-t-il des ombres au tableau ? Oui, on peut le dire ! Dans le contexte de scandales politiques immoraux, Macron a balayé tel un ouragan les partis traditionnels, mais les syndicats sont encore là, et persistent dans leur incorrigible entêtement. … La réussite aux législatives renforce symboliquement Macron comme leader qui joue la carte de nouvelles valeurs fondamentales et peut réformer de main ferme. Mais les négociations avec les syndicats seront pour son gouvernement une véritable épreuve du feu. Macron somnole encore sur son petit nuage, mais le réveil sera rude.»
Carte blanche pour le président
Il s'agit d'un message clair de la part des électeurs, juge Les Echos :
«De droite ou de gauche, la majorité des Français qui se sont exprimés souhaitent la réussite d'Emmanuel Macron et ils sont prêts, pour lui en donner les moyens, à voter pour des inconnus sans expérience ni implantation. Pas dupes, ils ont même accepté de mettre un mouchoir sur les 'affaires' du début du quinquennat. Tout se passe comme si ce pays voulait se croire capable d'une flamboyante épopée. Pour Emmanuel Macron, ce blanc-seing a d'autant plus de valeur que, élu, il n'a rien dissimulé de ses intentions sur le sens de sa première réforme structurante : la réécriture du Code du travail sera d'inspiration libérale.»
Doit faire ses preuves
Après sa nette victoire, le camp Macron a une dette envers ses électeurs, analyse Der Standard :
«[Macron] sait que les Français veulent un exécutif fort. C’est pourquoi ils n’ont pas tenu rigueur au camp Macron des scandales financiers qui ont déjà éclaté dans ses rangs. Mais à long terme, le président ferait mieux de ne pas décevoir les attentes. Car la colère pourrait rapidement s’abattre contre le nouveau président. La légitimation démocratique de Macron n’est pas aussi claire qu’il n’y paraît. Et surtout, sa mission - remettre la France sur les rails - sera extrêmement difficile, car si les Français aiment élire des réformateurs, ils refusent par la suite les réformes quand elles se concrétisent. C’est bien le cœur du problème. Car faute de réformes, l’économie française ne décollera pas.»
Une position moins solide qu'il n'y paraît
Si la victoire de Macron est probable, elle n’est pas très légitime, critique De Telegraaf :
«La nomination de ministres de droite dans son cabinet et sa bonne prestation sur la scène internationale ont contribué à sa réussite. ... Et pourtant, Macron n’est pas aussi bien en selle qu’il n’y paraît. Car le très faible taux de participation prive sa majorité d'une certaine légitimité. On entend désormais des appels à changer le système parce qu’un bon mois après les présidentielles, les Français doivent à nouveau se rendre aux urnes. Soit ils n’en ont aucune envie, soit ils sont influencés par le résultat des élections précédentes. Le système électoral existant a permis à Macron de profiter de la faible participation.»
Il faudra résister à la vague néolibérale
L’opposition de gauche en France n’aura pas la tâche facile, souligne Le Courrier :
«Pour les défenseurs des acquis sociaux, la lutte promet d’être rude. Y aura-t-il suffisamment d’élus au parlement afin d’assurer une visibilité et des fonds à la contestation politique? … Quelle sera enfin la réponse des mouvements sociaux à un pouvoir qui s’annonce quasi-hégémonique ? Sauront-ils se soulever face à un gouvernement qui ne cessera de brandir l’argument de la légitimité démocratique, après deux victoires lors d’élections majoritaires ? L’opposition se devra de rappeler qu’Emmanuel Macron et son mouvement représentent en réalité seulement un petit quart du corps électoral, lorsqu’il se mobilise. Pas de quoi justifier une capitulation et laisser le champ libre à des attaques contre la protection des travailleurs et les services publics. La contestation sera en marche … Dans la rue.»