Que signifie la condamnation de Ratko Mladić ?
Ratko Mladić a été condamné à la prison à vie par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) de La Haye. L'ancien chef militaire des Serbes de Bosnie passe pour être le principal responsable du massacre de Srebrenica et d'autres crimes de guerre. Plus de vingt ans après la fin de la guerre, les éditorialistes déplorent cependant que la Serbie n'ait toujours pas effectué de réel travail de mémoire.
Quid de la culpabilité serbe ?
Il manque au verdict énoncé contre Mladić une condamnation claire de la Serbie et de la politique du président serbe de l'époque, Slobodan Milošević, déplore le quotidien Novi list :
«La 'disparition' de Milošević du verdict est probablement le résultat de l'évolution de la situation politique, avec la fermeture prochaine du TPIY. Il paraît de plus en plus évident que le tribunal perd le soutien des puissances occidentales. ... Car celles-ci ne veulent pas que le TPIY et ses verdicts n'exercent de pression excessive sur [le président serbe Aleksandar] Vučić - leur allié dans les Balkans.»
Aucune trace de remords
Le criminel de guerre condamné Ratko Mladić est encore considéré comme un héros par de nombreux Serbes, fait remarquer le chroniqueur Blagovest Benichev dans Trud :
«Un jour après l'annonce du verdict du TPIY, l'intitulé en cyrillique de la page Wikipedia serbe sur 'Ratko Mladić' a été changé en 'Héros de la Serbie'. De telles provocations font partie du quotidien en Serbie. Alors que je me rendais un jour en voiture en Bosnie-Herzégovine via la Serbie, j'ai été surpris à la frontière, en plein no man's land, par un énorme panneau de cinq mètres de haut, sur lequel était écrit 'Bienvenue en Republika Srpska'. J'ai ensuite retrouvé des panneaux semblables à l'entrée de chaque localité entre la frontière serbe et Sarajevo.»
Une confrontation avec son passé
Le verdict prononcé à l'encontre de Ratko Mladić peut aider les Serbes à assumer leur passé - mais encore faut-il qu'ils aient la volonté de le faire, écrit Oslobođenje :
«Non seulement neuf Serbes sur dix en Serbie nient le génocide de Srebrenica, mais ils n'estiment pas que le massacre de 8.000 civils bosniaques ait constitué un crime extraordinaire. Dans la perception serbe, les victimes de Mladić n'existent pas car elles sont considérées comme autant de dommages collatéraux d'une 'lutte de libération' du peuple serbe. ... Des monuments érigés à la mémoire de criminels de guerre tels que Ratko Mladić n'aidera pas les Serbes à connaître la vérité. Le seul moyen d'y accéder est de procéder à un examen de conscience et de reconnaître en toute franchise qu'ils ont fait des victimes innocentes.»
Tous les coupables doivent payer
Même dans les situations difficiles, il faut rechercher les coupables et rendre justice, rappelle Ilta-Sanomat, qui salue le verdict :
«L'idée de la justice implique que des généraux et responsables politiques doivent répondre de leurs actes cruels au même titre que les criminels ordinaires. Jusqu'à présent, très peu de tyrans et de généraux sanguinaires ont dû le faire. Certains responsables sont des fanatiques, mus par des idées nationalistes, des idéologies ou des croyances. Les kamikazes et leurs commanditaires ne craignent pas non plus les jugements. Il faut néanmoins que justice soit rendue afin de ne pas faire disparaître la dernière illusion de l'existence d'une communauté internationale. Les exécutants d'atrocités doivent être traqués et traduits en justice, où la loi décidera de leur sort, et non une vengeance aveugle. Pour Ratko Mladić, ce travail a été fait.»
Un appel à condamner le racisme
Le verdict prononcé contre Ratko Mladić est une mise en garde pour nous tous, explique Der Standard :
«Avant qu'on en arrive au génocide ordonné par Mladić, il y avait eu une propagande anti-musulmane massive. Les Bosniaques portant des patronymes musulmans étaient qualifiés d'extrémistes, de radicaux et de terroristes. On a fait croire à la population qu'ils représentaient un danger. Les préjugés qui ont cours aujourd'hui envers les musulmans et les hostilités qu'ils doivent essuyer commandent un moment de réflexion. Dès les années 1990, la Bosnie-Herzégovine a été le théâtre d'une campagne de xénophobie sciemment instillée contre certains groupes. Elle a germé dans les esprits pour aboutir aux évènements tragiques que l'on connaît. Le verdict de Mladić nous rappelle à tous l'erreur qu'il y a à faire l'amalgame entre les personnes et des groupes, et que les personnes doivent être appréhendées en tant qu'individus. »
Un verdict purement symbolique
Delo craint que ce verdict ne change pas grand chose :
«Aujourd'hui, 22 ans après le pire crime commis sur le sol européen depuis la Seconde Guerre mondiale, la question principale est de savoir ce que le verdict a apporté aux proches et aux descendants des victimes de Mladić. Malheureusement pas grand chose, si ce n'est une symbolique vide de sens. L'un des principaux bourreaux responsables des massacres dans les Balkans vient certes de recevoir une peine méritée. Mais l'idéologie violente, qu'il a suivie aussi fidèlement et transformée en actes sanglants, sombrera-t-elle avec lui dans le passé ? Pas encore. A force de se préoccuper des morts, la communauté internationale en a oublié les vivants. Les habitants de Bosnie-Herzégovine, quelle que soit leur appartenance ethnique ou confessionnelle, sont aujourd'hui les prisonniers d'élites cannibales.»
Un meurtrier qui a toujours des partisans
Ratko Mladić reste malgré tout un héros pour de nombreux politiques, déplore Večernji list :
«Si les médias - même les médias serbes - ne sont pas allés jusqu'à défendre Mladić, certains politiques n'ont pas pu se retenir. Ainsi, le membre de la présidence collégiale de Bosnie-Herzégovine Mladen Ivanić, considéré comme un modéré comparé [au président de la Republika Srpska] Milorad Dodik, a estimé qu'un tel verdict pourrait générer de nouvelles tensions politiques en Bosnie - il apporte donc déjà un soutien à Mladić pour son pourvoi en appel. Si on l'écoutait, il faudrait alors libérer des meurtriers, des violeurs et des voleurs, pour ne pas que les membres de leurs familles ou que des nations se sentent offensés.»
Les Serbes, seuls appelés à rendre des comptes
Rzeczpospolita évoque des déséquilibres dans les jugements rendus par le TPIY :
«Les principaux leaders militaires et politiques serbes y ont été condamnés ou sont morts dans leur cellule. Seule une poignée de représentants d'autres peuples yougoslaves ont été condamnés, et ils étaient d'un rang inférieur. La guerre de Yougoslavie n'a pourtant pas été uniquement le résultat du nationalisme serbe et les Serbes n'ont pas eu le monopole de la cruauté. Ceci s'explique peut-être par le fait que les Serbes ont perdu le conflit avec l'Ouest, et qu'ils sont ainsi devenus la cible facile des règlements de comptes. Ce n'est toutefois pas une raison valable pour estimer que ces jugements sont justifiés.»
Poursuivre l'intégration européenne
Le verdict contre Ratko Mladić devrait inciter l'UE à ne pas oublier les promesses d'adhésion faites aux pays des Balkans, souligne Il Sole 24 Ore :
«L'Europe s'efforce d'apaiser les Balkans dans l'idée - ou l'illusion - d'une intégration future des Etats dans la communauté. Une promesse accompagnée d'aides financières de plusieurs centaines de millions d'euros, suivant le principe défini au sommet de l'UE sur les Balkans occidentaux, qui s'est tenu à Trieste en juillet dernier : là où les marchandises circulent, les soldats ne circulent pas. ... Car l'Europe, en procédant à des reconnaissances hâtives de nouveaux Etats dans les années 1990, sous la pression de l'Allemagne, avait contribué au morcellement de la Yougoslavie. Une erreur que l'on tente de réparer par le truchement de missions militaires et de mesures économiques. Un capital de crédibilité qu'il ne faut pas gaspiller aujourd'hui.»