La Roumanie pleure un roi qui n'a guère régné
La Roumanie rend hommage à l'ancien monarque Michel 1er, qui vient de s'éteindre à l'âge de 96 ans. Il n'avait régné que quelques années avant d'être contraint à l'exil en 1947 par les communistes. Des dizaines de milliers de Roumains étaient présents à ses obsèques samedi. La tristesse des Roumains peut-elle être interprétée comme la volonté d'un rétablissement de la monarchie ?
L'heure de se prononcer sur une réforme de l'Etat
Un vote portant sur une restauration de la monarchie pourrait avoir des effets bénéfiques, estime le journaliste Iulian Leca sur le portail d'information Ziare :
«Les 28 dernières années nous ont montré que notre superstructure constitutionnelle générait des blocages trop importants entre le législatif et l’exécutif, entre le président et le gouvernement/le Parlement, ou encore, comme aujourd'hui, entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir politique. ... Sur les près de 160 années qui se sont écoulées depuis la réunification des principautés [de Roumanie et de Valachie en 1859], la monarchie a existé pendant 81 ans. Or ces années sont les plus calmes et les plus équilibrées de notre histoire, ce qui n'a rien de fortuit. ... Même si les partisans de la République s'avéraient majoritaires, le vote aurait au moins le mérite d'établir un nouveau contrat social entre les citoyens, l'Etat et la classe dominante.»
La nostalgie de temps non démocratiques
Sur son blog hébergé par le site Baricada, la journaliste Maria Cernat réprouve la présence de nombreux aristocrates européens lors des obsèques de Michel 1er :
«Il est triste de constater que les institutions conservatrices retrouvent une certaine aura dans notre pays. L'Eglise, l'armée et la monarchie se sont transformées en une formidable machine de communication. Et nous, Roumains civilisés mais émus aux larmes, nous songeons à nouveau à ces institutions réactionnaires et rétrogrades. Les héros de la révolution française doivent se retourner dans leur tombe devant la 'réaction' des institutions antidémocratiques. ... Il ne faut pas s'étonner que la démocratie illibérale, avec ses sacro-saintes traditions, ses dispositions hostiles au féminisme, au progrès et à la justice, et avec ses leaders autoproclamés, frappent de nouveau à notre porte. Arabie saoudite, nous voilà !»
Si seulement le pays était comme son ancien roi !
Le roi Michel personnifie la dignité et l'intégrité, valeurs auxquelles aspire tant la société roumaine déchirée, commente la journaliste Boróka Parászka dans hvg :
«La culture mémorielle roumaine est parsemée de ruptures et de contradictions. Mais les obsèques nationales du roi Michel font consensus : l'ancien monarque était un homme qui voulait le bien. ... Il était le régent pro-occidental d'un pays coincé à l'Est, un aristocrate qui a su garder sa dignité tout au long de sa vie, tandis que la Roumanie a si souvent perdu la sienne. ... Et s'il y a eu un roi digne, solide et bon, alors il doit bien y avoir un pays digne, solide et bon. Un espoir qui s'est manifesté dans le deuil national de trois jours qui a ému toute la Roumanie.»
Un peuple orphelin en quête d'homme d'Etat
La participation massive des Roumains révèle une nostalgie politique inassouvie, croit savoir la journaliste Ioana Ene Dogioiu, du portail Ziare :
«J'ai le sentiment que les Roumains ont surtout voulu rendre hommage à un symbole : le symbole d'un dirigeant qui a traversé les époques, d'un chef d'Etat qui a servi son pays. ... L'affluence considérable aux obsèques du monarque a été le cri d'un peuple qui ne sent pas représenté, qui ne dispose plus de point de repère politique et qui ne fait pas confiance à ses dirigeants. Un peuple qui, d'une certaine façon, se sent orphelin. Cet homme, qui était un point de référence, n'est plus. Les Roumains ont mis beaucoup de temps à comprendre qu'un retour à la monarchie dans les années 1990 leur aurait été profitable. Il est trop tard pour cela désormais.»
Les Roumains comprennent toujours trop tard
Sur son blog hébergé par le site Adevărul, le critique de théâtre Doru Pop se demande pourquoi les Roumains ont tant attendu pour témoigner leur amour à l'ancien roi :
«Les obsèques de l'ancien roi Michel ont également révélé une certaine 'qualité' de notre société : la réflexion a posteriori. Les Roumains se découvrent subitement une passion pour la monarchie, alors que le roi a été mis sur la touche, boudé et marginalisé pendant des années. Les Roumains se réveillent toujours lorsqu'il est trop tard. Cette incapacité à prendre la bonne décision au bon moment est la marque de notre caractère et de notre histoire. ... Car nous n'anticipons pas ; nous sommes incapables de planifier la moindre chose sur la durée et d'élaborer des projets sur le long terme.»