Davos, creuset d'un nouvel ordre mondial ?
Le Forum économique mondial 2018 est placé sous la devise "un avenir commun dans un monde fracturé". Les grands protagonistes de l'économie et de la société réunis à Davos peuvent-ils avoir une influence positive sur l'avenir de la planète ? S'il n'y a pas de consensus sur ce point parmi les journalistes, ils s'accordent toutefois pour dire que les choses ont bien changé depuis les premiers sommets de Davos.
Un 'futur commun' évanescent
La devise du sommet s'apparente à une gageure, écrit Daily Sabah :
«Il est paradoxal que ce soient justement les puissances émergentes habituées au 'communisme de marché' qui s'approprient aujourd'hui les idéaux économiques conventionnels de Davos, qui reposent sur l'intégration néolibérale. Quel que puisse être le discours officiel des puissances mondiales, les acteurs économiques décisifs savent une chose : ils doivent préparer leurs groupes à un monde dans lequel il y aura davantage de protectionnisme, davantage de tensions entre les blocs régionaux, davantage de rivalités entre la Chine et les Etats-Unis, et un réseau complexe d'alliances bilatérales changeantes. Créer un futur commun va devenir de plus en plus difficile.»
Libre-échange et nationalisme vont de pair
Le Forum économique mondial nous enseigne que l'ordre économique mondial actuel a bouleversé les vieilles convictions, lit-on dans La Repubblica :
«Pendant des décennies, l'Occident s'est donné l'illusion qu'il ne pouvait y avoir d'économie libre et florissante en dehors des systèmes politiques libres. Or hier, le Premier ministre indien Narendra Modi a présenté à Davos une nouvelle philosophie. ... La plus grande démocratie au monde - menacée par une dérive nationaliste qui alarme la région entière - était bel et bien présente à Davos. Elle vient et fait l'apologie du libre marché, d'une mondialisation qui aurait 'perdu de son éclat'. ... Quand Modi a commencé à parler en hindi, des centaines de personnes se sont fébrilement mises en quête d'un casque [pour entendre la traduction simultanée]. Une scène qui symbolise un monde qui a du mal à comprendre qu'il est en train de perdre son centre de gravité, qu'il croyait pourtant si sûr.»
Davos peut annoncer une nouvelle ère
Davos peut contribuer à définir un nouveau contrat social, fait valoir Stéphane Benoit-Godet, rédacteur en chef du Temps :
«Beaucoup espéraient que la technologie aurait la capacité d'imposer un nouveau paradigme en donnant accès à tous à la connaissance. Ce projet a échoué et désormais la technologie n'est plus la solution mais un problème de plus. Les sociétés qui dominent le monde de l'innovation extorquent le consentement de leurs membres, poussent à une consommation addictive de leurs produits et perturbent le débat. ... Comment alors orienter les énergies dans le sens d’un développement durable et respectueux des libertés individuelles ? Le moment d'un nouveau contrat social est venu. Et Davos est un des lieux où il se définit.»
Des conclusions simplistes peu propices aux solutions
La critique du capitalisme qui ressort du rapport d'Oxfam a des œillères, pointe L'Opinion :
«On espérerait une joute sur la thèse, pourtant posée comme une évidence, que la richesse nuit à la lutte contre la pauvreté. On souhaiterait un commentaire sur le fait que le trio de riches [Bill Gates, Jeff Bezos et Warren Buffett] désignés à la vindicte est tout sauf un club d'héritiers et que deux d'entre eux ont signé un engagement moral – 'the giving pledge' – à se délester de la moitié de leur fortune. Mais chez les artilleurs de Davos, le constat ne saurait souffrir nuance. Dommage car en tronquant le diagnostic, ils limitent la réflexion sur les remèdes indispensables pour rendre la mondialisation plus inclusive. La faute qu'aux milliardaires, vraiment ?»
Les pauvres s'enrichissent
Tages-Anzeiger juge lui aussi que le rapport d'Oxfam omet de mentionner une évolution importante :
«L'organisation arbore le slogan 'Pour un monde plus juste. Sans pauvreté.' Or le rapport ne reflète pas les progrès notables effectués dans le monde en matière de pauvreté le rapport : depuis 1990, le nombre de personnes vivant dans une extrême pauvreté a été divisé de moitié. Selon les estimations de la Banque mondiale, environ dix pour cent des citoyens du monde vivent dans l'indigence. A la fin du siècle dernier, ils étaient 30 pour cent. Le message encourageant malgré les inégalités mondiales seraient donc : s'il est vrai que les riches ne cessent de s'enrichir, les pauvres ne s’appauvrissent pas. Au contraire.»
Un forum narcissique
A Davos, la réalité est souvent passée sous silence, lit-on dans Corriere della Sera :
«Des dizaines de PDG vont prendre la parole et pour la quasi totalité d'entre eux, il sera difficile de faire la part des choses entre narcissisme personnel et amour (légitime) de la nation. ... Vendredi par exemple, le président des Etats-Unis explicitera le sens de sa devise 'America First'. ... Dans ce contexte, il sera chose aisée pour les chefs de gouvernement d'Italie, de France et d'Allemagne de convaincre leur auditoire. Ils veulent intervenir le même jour et se faire applaudir pour leur engagement en faveur de l'ouverture des marchés mondiaux. ... Mais sans les importations de l'Amérique 'protectionniste' de Trump - grevée par un déficit commercial de 450 milliards de dollars - la zone euro est menacée de nouvelle récession. Mais cela, Merkel ne le dira probablement pas à Davos.»