GroKo en Allemagne : quel changement pour l'UE ?
Le premier chapitre du contrat de coalition conclu mercredi entre la CDU/CSU et le SPD est consacré à l'Europe : les partis s'engagent à augmenter la contribution au budget de l'UE, renforcer la coopération avec Paris, venir en aide aux Etats membres en difficulté et lancer une politique d'investissements dans la zone euro. Autant d'annonces que les journalistes européens, pour diverses raisons, jugent prometteuses.
Une nouvelle donne de bonne augure
Le Soir salue le changement qui s'annonce dans les rapports de force entre la France et l'Allemagne :
«Avec un Macron à qui tout semble réussir, et une Merkel affaiblie à la tête d'une coalition arrachée au forceps, c'est un tout autre couple franco-allemand qui revient sur les devants de la scène. Une France un peu plus forte et plus optimiste, et une Allemagne aux tranchants un peu plus arrondis, moins arrogante que celle qui a dicté sa loi pendant les années de crise ? Il n'y a pas lieu de s'en plaindre. A condition que le rééquilibrage n'aille pas trop loin dans l'autre sens. Certains craignent que, sans le pesant contrepoids du Royaume-Uni bientôt parti, et avec un gouvernement allemand plus fragile, la France ne devienne à son tour le mâle dominant de l'Europe. On n'en est pas là.»
Un signal positif envoyé à la Pologne
Rzeczpospolita voit dans l'accord de coalition une invitation de la Pologne à imprimer sa marque sur la politique de l'UE :
«Le contrat s'ouvre sur toute une section consacrée à la Pologne, seule la France a davantage d'occurrences. La Pologne est devenue une partenaire incontournable, sans laquelle une réforme de l'UE est impossible. ... De surcroît, il ressort de l'accord de coalition que l'Allemagne ne veut pas la création d'une petite UE qui compromette les intérêts de la Pologne. L'approfondissement annoncé de la coopération entre les pays de la zone euro semble toutefois être de l'ordre des changements cosmétiques. L'Allemagne ne veut pas diviser l'UE. ... La Pologne ne saurait refuser l'offre qui lui est faite dans l'accord de coalition.»
Plus d'argent pour l'UE
Kaleva escompte également d'importants changements :
«Le ministère des Finances va passer aux mains du SPD, ce qui laisse entrevoir un changement dans la politique économique allemande, une nouvelle attitude : une volonté de consolider l'UE et les responsabilités mutuelles au sein de la zone euro. ... Si l'on peut penser que l'Allemagne contribuera de manière plus généreuse au budget de l'UE, elle ne veut sûrement pas payer demain l'ardoise des Etats endettés. ... La responsabilité communautaire entre les pays de la zone euro devrait se traduire par des responsabilités accrues pour les investisseurs plus que pour les Etats. Ce qui serait plus facile à accepter pour la Finlande, qui a appliqué la politique allemande de stricte discipline budgétaire.»
Paris et Berlin doivent prendre l'Europe sous leur aile
La Croix voit dans la reconduction de la GroKo une chance de consolider la coopération européenne :
«A Paris comme à Berlin, les majorités politiques seront en effet clairement désireuses de renforcer les liens unissant les États membres sur des sujets majeurs. Cela devrait se traduire par une importante initiative franco-allemande au printemps. Contrairement au début des années 2000, où un rêve fédéral mobilisait les pro-Européens, l'actuelle détermination naît plutôt d'un sentiment d'urgence face à un monde désordonné, où les risques deviennent globaux et où il faut pouvoir compter face aux grandes puissances. Pour Emmanuel Macron, Angela Merkel et Martin Schulz, il s'agit de se serrer les coudes pour protéger un certain modèle de vie, de société, de solidarité européen.»
La fin de l'austérité ?
Avec les ministres SPD pressentis aux Affaires étrangères et aux Finances, Martin Schulz et Olaf Scholz, un vent nouveau va souffler sur la politique européenne de l'Allemagne, prédit NRC Handelsblad :
«On savait que la coalition avait des projets ambitieux pour l'Europe. A ceci vient se greffer une nouvelle distribution des rôles. Ces huit dernières années, la CDU de Merkel et le faucon de l'austérité Wolfgang Schäuble s'étaient partagé le monopole de la politique de l'UE à Berlin. Merkel continuera de tenir les rênes, mais elle sera bientôt flanquée de deux sociaux-démocrates [Schulz et Scholz]. ... Il ne serait pas surprenant que cette équipe soit plutôt encline à faire un pas vers les pays de l'UE aux économies faibles que ne l'avait été le tandem Merkel/Schäuble.»
Merkel reste aux manettes
Público, pour sa part, relativise l'impact des postes clés accordés au SPD :
«Les leaders des partis ont converti leurs faiblesses en forces pour former un gouvernement qui constitue la dernière possibilité de maintenir l'Allemagne au centre du renouveau européen. ... On aurait tort de surévaluer les conquêtes du SPD, qui obtient deux ministères clés de la politique européenne : le social-démocrate Olaf Scholz devrait ainsi devenir ministre des Finances, prenant le relais de Schäuble. Un social-démocrate à peu près orthodoxe qui n'a pas critiqué trop ouvertement la politique d'austérité imposée par son prédécesseur. ... Comme on s'y attendait, Martin Schulz aura le portefeuille de la politique extérieure, mais sa marge d'action sera plus limitée, car Merkel n'est pas près de lâcher les rênes de la politique européenne.»
La GroKo pave la voie de l'Union de transfert
Le contrat de coalition va transformer l'UE en une Union de transfert où les Etats riches subventionneront durablement les Etats pauvres, critique Finanz und Wirtschaft :
«Les bavardages ratifiés dans les accords de l'UE seront les derniers des soucis des leaders politiques allemands. Le super-européen Schulz, s'il devient bel et bien ministre des Affaires étrangères, fera tout pour approvisionner en munitions le président français Emmanuel Macron et sa vision - sur le dos des contribuables allemands ; aujourd'hui, l'Elysée a toutes les raisons de chambrer une belle bouteille de champagne. Nous avançons vers une Union de transfert. Et le peuple allemand, qui n'a pas son mot à dire, va devoir avaler la pilule et endurer les formules doucereuses habituelles.»
Vers un super-Etat européen
Ce sont les partisans d'un approfondissement de l'intégration européenne qui donnent le ton désormais en Allemagne, commente The Daily Telegraph, qui se voit conforté dans sa posture eurosceptique :
«Alors que 20 pour cent des électeurs allemands ont voté pour lui, Schulz s'arroge le droit de forger les destinées de l'Europe. Il pousse encore plus Merkel vers l'intégration européenne et la réforme de la zone euro, thèmes chers au président français Emmanuel Macron. ... Cet élan vers une plus grande intégration semble irrésistible. Les Britanniques qui réclament encore l'annulation du Brexit devront expliquer comment le Royaume-Uni pourrait bien s'accommoder de ce super-Etat en puissance.»