Italie : les législatives qui font frémir l'Europe
Selon les sondages, le scrutin de dimanche pourrait être dominé par une alliance de centre-droit formée par Lega Nord, le parti Forza Italia de Silvio Berlusconi et Fratelli d'Italia, tandis que le parti contestataire Movimento 5 Stelle pourrait obtenir le meilleur score. La participation des populistes au pouvoir est-elle inéluctable ?
Vers une grande coalition ?
Les populistes se retrouveront d'une manière ou d'une autre au pouvoir, prédit Il Manifesto :
«Le populisme est largement répandu en Italie et il en existe au moins trois variantes : la version raciste et crypto-fasciste de Lega Nord et Fratelli d'Italia, celle ésotérico-numérique de Movimento 5 Stelle et celle médiatico-affairiste de Silvio Berlusconi. ... Si le populisme de droite n'obtenait pas de majorité suffisante, il pourrait se produire précisément ce que nient les intéressés, même si personne ne les croit : au besoin, on tracera une limite entre le 'bon' et le 'mauvais' populisme, sans trop s'interroger sur l'absurdité de la chose, ou bien l'on prétendra que Berlusconi n'est pas un populiste, afin de mettre en place un gouvernement Renzi/Berlusconi.»
L'Italie, une bombe à retardement pour l'Europe
Les populistes italiens représentent une menace sérieuse pour l'Europe, prévient le chroniqueur de gauche Jakub Majmurek, dans Gazeta Wyborcza :
«Ces derniers mois, le Movimento 5 Stelle et la Lega Nord n'ont certes pas réitéré leur appel à la tenue d'un référendum [sur une sortie du pays de la zone euro], mais ils peuvent le faire à tout moment. Notamment en cas de dégradation de la situation économique. C'est pourquoi un Parlement italien noyauté par les populistes serait une bombe à retardement pour toute l'Europe - car une zone euro privée de l'Italie n'aurait aucun sens.»
La solution Tajani
Le président du Parlement européen, Antonio Tajani, a annoncé jeudi soir qu'il serait prêt à devenir Premier ministre si son parti, Forza Italia, arrivait en tête du scrutin. Une décision judicieuse, de l'avis de Diario de Noticias :
«La carte Tajani confère une certaine crédibilité au parti, aussi bien aux plans national qu'international. Tout le contraire de Matteo Salvini, de Lega Nord, dont la politique hostile aux migrants et aux réfugiés irrite passablement certains des 28 Etats membres. ... L'avenir de l'Italie - quatrième économie de l'UE (troisième après le Brexit) - est vitale au développement de l'Union. Une solution stabilisatrice est donc recommandée, même s'il faut pour cela envisager une grande coalition Berlusconi/Renzi.»
Rien n'est encore joué
La victoire des populistes n'est pas garantie, juge la politologue Tana Foarfa sur le portail Contributors :
«Les électeurs italiens sont les spécialistes des surprises. Il est possible que l'on assiste à un reflux du courant eurosceptique, que des mouvements comme Lega Nord (qui a toujours été europhobe et alliée au FN de Le Pen au Parlement européen) ou Movimento 5 Stelle (qui réclame un référendum sur une sortie du pays de la zone euro) soient sanctionnés en raison de leur récent changement de discours. Même l'inamovible Berlusconi, honni par une moitié des Italiens et réélu par l'autre, n'est pas le garant d'une victoire de son parti, Forza Italia. La messe n'est pas encore dite.»
Soutenir l'Italie
Quoi qu'il advienne, il faut que l'Union se montre solidaire d'un pays qui accueille autant de réfugiés, juge La Croix :
«Comme toujours avec l’Italie, le pire n’est pas sûr. La vie politique de ce pays est tellement complexe et imprévisible qu’après-demain l’actuel chef du gouvernement – de centre gauche – sera peut-être encore aux commandes. Les partenaires européens de l’Italie s’autoriseront, dans cette hypothèse, un grand soupir de soulagement. Ils seraient gravement fautifs s’ils s’en tenaient là. Car l’Italie a besoin de la solidarité du reste de l’UE pour retrouver l’allant et la jovialité qui nous la font tant aimer.»
Le délire continue
Dans De Morgen, l'écrivain et chroniqueur Hugo Camps commente le come-back réussi de Berlusconi :
«Plus personne ne parle de sa condamnation dans toute une série de procès. Ses soirées 'bunga-bunga' avec de jeunes prostituées n'ont en rien écorné son image de 'sauveur de la nation'. Au contraire : les machos italiens ont toujours été extrêmement fiers de l'action virile de leur plus éminent représentant. ... Dans aucun autre Etat d'Europe, la richesse du pays dans les domaines de la culture, de l'industrie, des marchandises, de la mode et du design n'a été dilapidée aussi systématiquement par la classe politique qu'en Italie. Le système bancaire est aussi droit que la tour de Pise. ... Et voilà que les Italiens veulent réélire un pitre corrompu de 81 ans ? Le délire continue.»
La peste, le choléra et Berlusconi
Berlusconi serait un moindre mal, assure Daily Sabah :
«Les deux partis qui compliquent la tache de Berlusconi sont en principe déplorables. Le premier est le Movimento 5 Stelle, dirigé par Luigi di Maio, 31 ans. Créé par un comédien et criminel condamné pour homicide (et qui ne peut donc pas participer au scrutin), ce parti qui se voulait au départ anti-corruption s'est transformé en version italienne du trumpisme. ... Le second, pire encore, est la Lega Nord de Matteo Savini. ... Savini est le fasciste le plus moderne qu'ait connu l'Italie depuis Mussolini. ... Le fascisme va-t-il faire son retour en Italie dimanche ? Probablement pas, mais des fascistes se feront certainement une place au soleil.»
Les thématiques principales sont occultées
La campagne électorale détourne l'attention des véritables problème du pays, déplore La Vanguardia :
«Dans un pays avec une dette qui dépasse les 130 pour cent du PIB et un système bancaire en sursis, les citoyens s'attendaient à ce que la campagne propose des solutions. Mais celle-ci a en fait été dominée par des thématiques comme l'immigration - fruit du populisme qui inspire plusieurs partis en lice - et par des propositions et promesses électorales aussi spectaculaires qu'irréalisables économiquement, avec lesquelles on tente d'appâter les 30 pour cent d'électeurs qui, selon les sondages, sont encore indécis.»
Pas de catastrophe en perspective
Si certains craignent qu’il soit difficile de former un gouvernement, Die Presse se veut rassurant :
«Par le passé, l'Italie a connu des situations similaires à de maintes reprises (la dernière fois en 2013), et elle a toujours su faire preuve de créativité : gouvernements de transition, pacte entre ennemis jurés, transfuges. Quand la situation devient vraiment explosive, comme quand le pays s'est retrouvé au bord de la faillite en 2011, on fait généralement appel aux gouvernements d'experts, qui éteignent le feu avec des mesures d'urgence. Cette fois-ci comme les précédentes, l'Italie retombera sur ses pieds, peut-être après quelques turbulences et vociférations. Les capitales européennes regardent d'un air amusé, sans s'inquiéter outre mesure, cette 'instabilité stabilisée à l'italienne', ce curieux patient qui évolue habilement sur la corde raide. Pour la jeunesse italienne en revanche, le spectacle est moins pittoresque. Les jeunes sont nombreux à tourner le dos à un Etat incapable de se réformer.»
Un pays promis à la tragédie
Dans Público, l'historien et politique écologiste Rui Tavares se montre beaucoup moins optimiste :
«Compte tenu de la loi électorale italienne, qui favorise la formation de coalitions, le refus des partis de gauche à forger une alliance signifie de facto l'arrivée de Berlusconi au pouvoir. Pire encore : celle des alliés de Berlusconi. Il y a quelques années encore, le monde aurait suivi ces élections avec l'intérêt inquiet de ceux qui y voient une décision sur l'avenir de l'Europe. Mais aujourd'hui, ils suivent le scrutin avec l'intérêt morbide de ceux qui voient un pays tourner en rond. Or l'histoire ne se répète jamais de la même façon. C'est tantôt une tragédie, tantôt une farce, comme le souligne la philosophie hégélienne. En Italie, l'ordre pourrait être inversé. Comme la farce a déjà eu lieu avec Berlusconi, il ne reste plus que la tragédie.»
Un populiste pour combattre les populistes
NRC Handelsblad évoque également le phénomène Berlusconi :
«De nombreux électeurs sont en colère. Les raisons de cette colère ? L'économie en berne, une action politique décevante, la classe dirigeante et la présence massive de migrants. Le soutien témoigné aux alternatives radicales s'en fait l'écho. ... Au début du mois déjà, Berlusconi s'était rendu à Bruxelles pour délivrer un message : compte tenu de l'effritement rapide de la base électorale du Partito Democratico au pouvoir, il serait le seul à pouvoir prévenir l'aventurisme politique. ... Un paradoxe. Cet individu, qui était encore considéré en 1994 comme le prototype du populiste, affirme aujourd'hui être un rempart contre les populistes.»
Quand les révolutionnaires rentrent dans le rang
Le Movimento 5 Stelle a envoyé mardi au président la composition potentielle de son cabinet fantôme. Une initiative inhabituelle qui dénote une volonté d'institutionnalisation, commente La Repubblica :
«Le M5S veut faire comprendre qu'il n'est plus le parti anti-système tel que l'avaient conçu jadis Beppe Grillo et Gianroberto Casaleggio. Il est autre chose aujourd'hui, ou du moins veut-il l'être. Difficile, cependant, de dire quoi. ... Ce qui est clair en tout cas, c'est sa volonté d'être accepté au sein d'un système politico-institutionnel qu'il avait au départ promis de chambouler. La révolution, si elle a jamais commencé, est terminée.»