Violences policières lors des grandes manifestations en Roumanie
Le Parquet roumain a diligenté une enquête suite à la grande manifestation de vendredi, lors de laquelle plus de 400 personnes ont été blessées. Des dizaines de milliers de personnes, parmi lesquelles de nombreux Roumains de l’étranger, manifestaient contre la corruption et demandaient la démission du gouvernement social-libéral. Les éditorialistes s'interrogent sur la répression policière.
La police a-t-elle utilisé des armes chimiques ?
La police a eu recours à des gaz lacrymogènes interdits, commente Radio Europa Liberă :
«Raul Pătrașcu, de l'université de Timișoara, affirme que le type de gaz utilisé contre les manifestants est listé comme une arme chimique et que son usage est interdit dans les conflits militaires, en vertu de la Convention sur l'interdiction des armes chimiques (CIAC), signée en 1993 [et entrée en vigueur en 1997]. Il souligne par ailleurs que le recours à ce type de gaz lacrymogène peut, en l'espace de quelques minutes, avoir des répercussions durables sur la santé : des complications pulmonaires aux problèmes hépatiques en passant par des pathologies cardio-vasculaires. La langue de bois de la police dans ses justifications officielles indique qu'elle agit en marge de la légalité, voir même qu'elle a enfreint les lois. Le fait qu'elle cherche à dissimuler au Parquet la nature du gaz employé souligne son manque de professionnalisme, mais aussi le caractère délibéré de son action. »
Trouver et punir les reponsables
Krónika, journal de la minorité magyare de Roumanie, appelle le gouvernement à faire toute la lumière sur les évènements :
«Le plus important sera d'expliquer comment des provocateurs ont pu se mêler aux manifestants et quel est l'instigateur de cette action. Il faudra également dire pourquoi la police est intervenue de façon aussi brutale contre les contestataires, y compris contre ceux qui étaient pacifiques. Il est absolument nécessaire de trouver les responsables sur le plan politique et de leur demander des comptes, afin d'éviter que la situation, explosive, ne dégénère complètement. Si le gouvernement tente néanmoins d'étouffer les enquêtes, cela ne fera qu'étayer l'hypothèse de son implication dans ces violences.»
Les Roumains, plus progressistes que les Bulgares
La mobilisation à Bucarest montre que la société civile roumaine a des années d'avance sur sa consœur bulgare, commente Sega :
«A voir les Roumains du monde entier venir à Bucarest pour manifester contre la corruption dans leur pays, nous ne pouvons qu'avoir honte, nous autres Bulgares. Il paraîtrait que nous souffrions des mêmes maux chroniques - des maux que l'on nomme corruption - mais la guérison des Roumains semble se dérouler plus rapidement que celle des Bulgares. ... Les Roumains sont parvenus, au cours des années consécutives à leur adhésion à l'UE, à identifier deux groupes distincts : les voleurs d'un côté, les spoliés de l'autre. ... Tandis qu'en Roumanie, les politiques de tous bords sont derrière les barreaux, la société bulgare, par son indifférence, facilite grandement la tâche à l'élite politique criminelle bulgare - une tâche qui consiste à piller son propre peuple.»
L'Etat roumain a toujours été violent
La Roumanie s'est définitivement discréditée, juge Ion M. Ionita sur le portail Adevărul :
«On observe depuis 1989 des actes de violence injustifiés lors des grandes manifestations. La stratégie est toujours la même : le recours à la violence est décidé dans les cercles du pouvoir et on finit toujours par rejeter la faute sur les manifestants. Les ultras avaient annoncé sur Facebook qu'ils venaient sur le lieu de la manifestation pour se battre ! Il aurait été facile de les contrer et de les isoler à temps ! … Tandis que dans le pays, la propagande du régime tente une fois de plus de dissimuler la réalité au moyen d'étranges théories du complot, le gouvernement PSD s'est définitivement discrédité à l'étranger.»
Quid du modèle roumain ?
Pour Ukraïnska Pravda, les écueils de la lutte anticorruption en Roumanie sont de mauvais augure pour l'Ukraine :
«La Roumanie est un modèle pour l'Ukraine en matière de lutte anticorruption. Sous l'égide de Laura Kövesi, le Parquet anticorruption (DNA) a commencé à enquêter aux plus hauts étages du pouvoir ; des procédures ont été ouvertes contre l'ex-chef du gouvernement, des proches de l'ancien président et des membres du gouvernement actuel. Si la Roumanie, avec la démission de sa légendaire combattante anticorruption, renonçait à la lutte contre ce fléau, alors ce serait un signal pour ceux qui, dans les pays d'Europe de l'Est comme l'Ukraine, croient en la force irrésistible de la corruption. »
La fin du parti au pouvoir
La responsabilité de la crise politique revient au gouvernement de la Première ministre Viorica Dăncilă, qui doit en tirer les conséquences, exige Ziare :
«Les Roumains qui travaillent à l'étranger sont rentrés au pays pour être accueillis par des gaz lacrymogènes et des canons à eau. La crise provoquée en Roumanie par l'intervention violente des forces de l'ordre ne peut être résolue que par la démission sans délai du gouvernement Dăncilă. Dans le cas contraire, cette crise politique rongera le régime actuel jusqu'à ce que le système s'effondre d'ici les élections européennes en 2019, peut-être même avant. Le [Parti social-démocrate au gouvernement] PSD est un cadavre politique, un parti doté d'une structure aux airs de mafia, qui n'a aucune relation avec les citoyens.»
Un Etat corrompu bientôt à la tête de l'UE
Der Standard invite l'UE à regarder de très près ce qui se déroule à Bucarest :
«Ce qu'il y a à voir : un conseiller gouvernemental exerçant les responsabilités d'un secrétaire d'Etat qui écrit sur Facebook que les manifestants 'auraient dû être abattus plutôt que d'être arrosés (avec des canons à eau)' ; un député déclarant que les manifestants feraient bien de 'cesser leurs provocations, sinon nous viendrons avec un million de partisans pour vous écraser' ; un chef de parti au gouvernement déjà condamné pour fraude électorale ; un président sollicitant auprès du procureur général une enquête sur les violences policières commises à l'encontre des manifestants et qualifié par ledit chef de parti de 'sponsor des débordements extrémistes' ; et un pays qui prendra en janvier la succession de l'Autriche à la présidence tournante de l'UE.»
La diaspora bulgare aussi en a marre
Le fait que de nombreux Roumains vivant à l'étranger manifestent contre leur gouvernement est un phénomène nouveau, qui pourrait faire des émules en Bulgarie, pense Club Z :
«Les Roumains de l'étranger envoient chaque année trois milliards d'euros à leur famille restée au pays. Cela vous rappelle quelque chose ? Ils manifestent contre les attaques dont ils font l'objet de la part des politiques au pouvoir dans leur pays d'origine. Ça ne vous dit rien ? Les Roumains de l'étranger qui manifestent actuellement sont qualifiés de 'diaspora en haillons', qui serait payée par Soros pour déstabiliser le pays. Comme un air de déjà-vu ? … Nos dirigeants devraient être contents que la vague de protestation n'ait pas encore franchi le Danube.»