Quelles sont les raisons de la chute de la livre turque ?
Le président turc Recep Tayyip Erdoğan affirme que Donald Trump et les Etats-Unis sont responsables de la chute de la livre. La plongée des cours a effectivement débuté en fin de semaine dernière, suite au litige autour de la détention du pasteur Andrew Brunson et à la hausse des droits de douane américains. Mais de l'avis de la plupart des éditorialistes, il y a d'autres raisons.
Erdoğan s'est fourvoyé
Erdoğan est le premier responsable de la chute de la livre, affirme Helsingin Sanomat :
«La gestion turque est l'exemple à ne pas suivre si l'on veut résoudre une crise : réagir en retard, sans assumer ses responsabilités. Dans le même temps, la crise montre clairement combien un système dans lequel les pouvoirs sont concentrés entre les mains d'un seul individu peut être problématique. Lorsqu'on s'arroge tous les pouvoirs, on est aussi responsable des défaillances. Comme c'est habituellement le cas dans les systèmes autocratiques, le gouvernement et les responsables monétaires n'osent pas contredire le dirigeant et préconiser un remède viable : honnêteté, autocritique et mesures correctives.»
De l'huile sur le feu
Le quotidien critique Cumhuriyet pense que le président et le gouvernement vont attiser la crise :
«Objectivement, le facteur qui menace le plus nos intérêts nationaux n'est pas extérieur, mais endogène : au cœur de l'erdoğanisme. ... Le président américain et ses sanctions politiques et économiques ne sont pas le seul élément qui renforce la spirale du financement par le biais de devises étrangères. Nous allons au-devant d'une grave crise, qui se joue essentiellement aux plans régional et national, et que l'économie et la politique alimentent à tour de rôle. ... Les développements consécutifs aux mesures annoncées hier matin montrent qu'on a atteint un point de non-retour, et qu'Ankara ne fait que jeter de l'huile sur le feu.»
Gare à l'incompétence !
Pendant des années, Erdoğan s'est servi de la croissance pour asseoir son pouvoir personnel, ce qui a fini par nuire au pays, analyse le professeur d'économie Konstantin Sonin dans un post Facebook relayé par le portail newsru.com :
«Dix ans de croissance, de popularité, de suppression progressive de la répartition des pouvoirs, de consolidation du pouvoir, de stagnation, de perte de tout ce qui a été obtenu en une décennie. A ce stade, la faute revient bien évidemment à 'l'Amérique'. C'est-à-dire à un quelconque ennemi extérieur. ... Pourtant ni l'Amérique ni un autre pays ne sont responsables des vues monétaires archaïques du président turc ou du fait qu'il a nommé son beau-fils ministre des Finances. Les investisseurs se contrefichent de ce que pense Erdoğan des Etats-Unis et du dollar, ils s'intéressent uniquement au profit. Confrontés à une politique financière incompétente, ils estiment alors qu'il est temps de plier bagage.»
Les effets funestes de la politique monétaire américaine
La crise turque est une résultante de la politique monétaire expansionniste, estime Federico Rampini, correspondant de La Repubblica aux Etats-Unis :
«L'extrême vulnérabilité d'Ankara est liée à la politique menée par Washington pour sortir de la crise de 2008-2009. L'assouplissement quantitatif de la Fed, basé sur le rachat d'obligations et d'autres mécanismes, a généré un surplus de liquidités et facilité les emprunts en dollars. Comme lors du précédent de la crise asiatique en 1997, un mécanisme connu se met en place au moment où les taux américains remontent et où le dollar se renforce, qui déclenche un mouvement de panique sur les marchés financiers et un risque de contagion : de nombreux pays étrangers ne sont plus en mesure de rembourser les dettes contractées dans la devise américaine. Voilà ce qui se produit aujourd'hui en Turquie.»