Chemnitz, une ville polarisée
Les rassemblements violents d'individus d'extrême droite dans la ville est-allemande de Chemnitz, suite à la mort d'un trentenaire allemand de père cubain, relancent le débat sur la xénophobie dans le pays. Comment expliquer la galvanisation des foules et la mobilisation massive observées à Chemnitz ?
Merkel ne daigne pas se déplacer à Chemnitz
Médias et politiques ont propagé une vision biaisée des évènements de Chemnitz, critique Mladá fronta dnes :
«Quand les citoyens sont descendus dans la rue, les Allemands et, à leur suite, la majorité des médias occidentaux, les ont traité de radicaux, de nationalistes et de néonazis. Quant à la chancelière, elle a moins ressenti le besoin d'exprimer son affliction pour la victime que celui de prendre parti pour les migrants musulmans. L'idée de se rendre à Chemnitz ne l'a pas effleurée. A l'origine de tout cela, il y a l'élite politique actuelle, qui refuse de regarder dans les yeux leurs propres concitoyens en colère.»
Des simplifications politiquement correctes
Kurier abonde dans ce sens, faisant valoir que les médias portent une part de responsabilité dans l'ampleur qu'ont pris les rassemblements d'extrême-droite à Chemnitz :
«Qu'ils l'aient voulu ou non, ils ont contribué ces derniers jours à entretenir ce climat de contestation. Car en Saxe, ceux qui ont rallié les cortèges des agités ne sont pas tous des nazis. ... Et ceux auxquels ont a tendu la main il y a trois ans, prétendument parce qu'ils fuyaient la guerre, n'étaient pas tous innocents. Si seulement on leur concédait ce point, si on ne diabolisait pas les mécontents, si on regardait les problèmes en face au lieu de les chasser des pensées et des écrits au nom du politiquement correct, on empêcherait peut-être que l'émeute enfle parce qu'elle est mise à l'index. Mise au ban de la société et conspuée.»
L'atavisme du colonialisme prussien
L'appréhension vis-à-vis de l'étranger est profondément ancrée dans l'histoire des régions est-allemandes de l'ancienne Prusse, qu'Allemands et Slaves se sont disputées pendant des siècles, analyse The Guardian :
«La peur latente d'un 'autre', omniprésent et potentiellement hostile, était caractéristique de l'entité géographique que Max Weber, le père de la sociologie, appelait Ostelbien - les territoires situés à l'est de l'Elbe. Ceci a abouti - tout comme dans le sud esclavagiste en Amérique, dans l'Algérie française ou en Irlande du Nord - à une tradition politique dans laquelle les 'blancs défavorisés' revendiquaient un leadership fort, prêt à réprimer la population autochtone au moindre signe de soulèvement. C'est cette politique coloniale archétypale qui a toujours distingué la Prusse du reste de l'Allemagne.»
Les nazis allemands ont fait peau neuve
L'Espagne évoque souvent une Allemagne exemplaire en matière de travail de mémoire. Au demeurant, eldiario.es rappelle que l'idéologie fasciste n'a pas été éradiquée du pays :
«Une politique visant à éliminer les réminiscences du IIIe Reich et à indemniser ses victimes est pratiquée depuis longtemps et avec plus de détermination qu'en Espagne. A affirmer que l'Allemagne est 'dénazifiée', on risque cependant de dissimuler une réalité très dangereuse : le nazisme n'a pas disparu de la société allemande. Il a évolué, a été réinterprété, il a fait peau neuve. Bien souvent, les images de skinheads arborant des croix gammées et faisant le salut hitlérien ont été remplacées par celles d'individus en costume cravate et à la mine sympathique.»
Pas de corrélation entre xénophobie et pauvreté
Handelsblatt fait remarquer que des facteurs purement économiques ne suffisent pas à expliquer le taux d'adhésion aux mouvances extrémistes :
«Car si c'était un critère décisif, la part des électeurs AfD devrait être plus importante dans le nord de l'Allemagne que dans le sud. Or c'est l'inverse que l'on observe : dans la partie Est, c'est dans le riche land de Saxe que l'AfD enregistre ses meilleurs scores, et dans la partie Ouest, dans le riche land de Bavière. ... Obnubilée par les thèmes économiques depuis la réunification, la politique allemande n'a pas vu se former la fracture entre une modernisation ouverte au monde, qui s'intéresse à tout ce qui est nouveau, y compris les immigrés, et ceux qui sont fortement attachés à leur terroir et sont déboussolés quand trop de changements surviennent trop rapidement. ... Il n'en est que plus important que les partis établis s'engagent à remédier à ce sentiment d'être laissés pour compte.»
Les paradoxes de la xénophobie
Le quotidien 24 Chasa souligne lui aussi le caractère paradoxal de la multiplication des attaques xénophobes en Saxe :
«Il faut croire que les milieux d'extrême droite en Allemagne de l'Est ne se préoccupent pas des faits. Ils s'insurgent contre l'accueil d'étrangers et de réfugiés alors que la proportion d'étrangers à Chemnitz n'est que de sept pour cent et celle des réfugiés d'environ deux pour cent. Il n'y a aucune raison économique de détester les immigrants. Le chômage est en recul depuis des années et la ville est loin d'être l'une des plus pauvres d'Allemagne. Le taux d'étranger étant faible, les habitants ne peuvent pas se plaindre que les locuteurs germanophones soient minoritaires parmi les élèves des écoles primaires et secondaires. Il n'y a pas lieu de parler de choc des cultures ici. Paradoxalement, c'est précisément l'une des raisons de la montée du racisme dans la région.»
La sottise de la politique migratoire allemande
La chancelière Merkel s'obstine à occulter sa part de responsabilité dans ce qui se produit à Chemnitz, lit-on dans Právo :
«Merkel et toute l'élite politique et médiatique allemande se bornent à critiquer ceux qui tentent de récupérer l'échec de l'état de droit dans la gestion de la crise migratoire, mais cela ne les avance à rien. Les événements de Chemnitz ne sont que le dernier maillon de la chaîne forgée par les élites au pouvoir et par la politique migratoire, d'une bêtise incroyable, qu'ils ont menée. Berlin se refuse à regarder en face cette réalité. ... Face à l'échec manifeste de sa politique migratoire, Merkel louvoie pour se maintenir au pouvoir un peu plus longtemps.»
Un rejet compréhensible de l'immigration de masse
Les manifestants ne sont pas forcément tous des militants d'extrême droite, fait valoir The Times :
«Les gens ont le droit de vouloir vivre dans des sociétés qui s'identifient avec un patrimoine et des objectifs communs. Pourtant, aujourd'hui, cette aspiration est jugée raciste, 'nativiste' et illégitime par la caste politique mainstream. ... Il se peut que certains partisans [des mouvements de protestation nationaux] aient des motivations racistes ou des préjugés anti-musulmans. En d'autres termes, il se peut que des racistes, des fascistes et des fanatiques se joignent à ceux qui sont déçus et animés par le désir légitime de préserver la culture occidentale. Cependant, ils ne sont pas mus par les mêmes motifs. Des millions de personnes veulent défendre l'identité nationale occidentale fondée sur la tolérance, la liberté et l'équité devant la loi. Autant de valeurs qui sont menacées par l'immigration de masse et le multiculturalisme.»
Les déficits démocratiques des Allemands de l'Est
Jyllands-Posten explique les violences de Chemnitz principalement par l'histoire de l'Allemagne de l'Est :
«Pendant plus de 50 ans, elle a été sous le joug de la dictature - d'abord de la dictature nazie, puis de la dictature communiste. Contrairement aux Allemands de l'Ouest, les Allemands de l'Est n'ont pas été occupés par une puissance amie capable de leur enseigner la démocratie et le pluralisme - ils étaient sous occupation russe. ... Et même depuis la chute du mur, il ne s'est malheureusement pas passé grand-chose en matière de vulgarisation de la démocratie et de l'Etat de droit. Il n'est pas rare que dans les rangs mêmes de la police, on observe une allégeance automatique aux extrémistes. ... Ces derniers jours, le président et la chancelière, notamment, ont trouvé les mots justes et avisés. Il faut maintenant s'atteler au problème sur le terrain, avec l'aide de la Fédération. En tout cas, on ne peut plus nier le problème.»
La précarité alimente la xénophobie
Pour El Periódico de Catalunya, il faut voir dans les rassemblements de Chemnitz une sonnette d'alarme à l'attention de l'Europe entière :
«La lutte contre ceux qui attisent la haine ne concerne pas seulement l'Allemagne, mais toute l'Europe. L'extrême droite est venue combler le vide laissé par les institutions européennes, incapables d'apporter une réponse commune et responsable à la crise des réfugiés. Il est essentiel de répéter que le nombre de nouveaux arrivants a diminué au cours des deux dernières années. Le problème n'est pas l'immigration en soi, mais l'insuffisance des ressources allouées à l'accueil, ainsi que la précarité de larges pans de la population européenne. L'insatisfaction économique alimente le discours xénophobe. ... Ne nous leurrons pas : l'immigration n'est qu'un prétexte. Ce qui est en jeu, c'est l'Europe des droits et des libertés.»
Raviver les traditions antifascistes
Deutschlandfunk appelle l'Allemagne de l'Est à renouer avec sa tradition antifasciste :
«Des observateurs avisés ont remarqué qu'une certaine tranche d'âge - grosso modo celle des 40 à 50 ans - était surreprésentée dans ces rassemblements ; peut-être fut-ce les mêmes personnes qui avaient participé quand elles étaient jeunes aux débordements qui avaient émaillé les années 1990 : se pourrait-il que l'on soit en face d'une génération perdue pour la démocratie ? Et serait-il envisageable que la génération des retraités, un peu plus âgés, renouent avec un héritage qu'Helmut Kohl avait fort inutilement réduit à néant dans les années 1990, à savoir la tradition antifasciste de la RDA ? ... Il ne faut pas attendre des Saxons qu'ils adhèrent à des idées, pour intelligentes qu'elles puissent être, si elles proviennent de l'Ouest. C'est aux hommes et aux femmes démocrates autochtones qu'il faut apporter soutien et solidarité pour inverser la tendance dans les rues de Chemnitz.»
La faillite de l'Etat de droit
Pour Anna-Liina Kauhanen, correspondante à Berlin de Helsingin Sanomat, les événements de Chemnitz sont extrêmement préoccupants :
«Quand des individus d'extrême droite se rassemblent en grand nombre pour se livrer à des chasses à l'homme contre quiconque leur semble avoir une tête d'étranger pour les passer à tabac, on ne peut plus parler de climat tendu. ... Ce qui est exceptionnel à Chemnitz, c'est que des manifestants d'extrême droite n'aient pas hésité à enfreindre des droits fondamentaux et à faire usage de la violence contre des personnes au seul motif de leur faciès. Lorsque les citoyens se livrent à des opérations punitives et sont prêts à lyncher ceux qu'ils croient être des étrangers, l'Etat de droit est en échec et en crise grave.»
'Nazi' : un terme dont il ne faut pas abuser
Malgré les scènes rappelant des pogroms observées à Chemnitz, Neue Zürcher Zeitung trouve problématique de qualifier les manifestants de nazis :
«La direction de l'AfD affectionne une rhétorique criarde, souvent obtuse, et elle fait preuve d'une tolérance étonnante envers les nombreux esprits confus au sein du parti. Il est tout à fait possible que le parti poursuive sa radicalisation. Mais on ne peut pas - ou du moins pas encore - le qualifier d'extrémiste. Il a condamné les violences à Chemnitz. Le qualificatif de 'nazi' a déjà en soi la valeur d'un superlatif en allemand. Il signale la fin de tout terrain d'entente. En effet, face à un nazi, à quoi bon discuter ? Il faut le combattre, par tous les moyens. C'est ce que nous enseigne l'histoire. Quand on traite les Saxons de nazis et de collaborateurs avec les nazis, on avoue qu'on a baissé les bras, qu'on les a abandonnés en tant que concitoyens, et qu'on estime que le mieux serait de les mettre en prison.»
La rançon de l'humanisme
Delo se penche sur l'origine des débordements de Chemnitz :
«Lorsque la chancelière allemande a ouvert les frontières à la plus grande vague de réfugiés qu'ait connu l'Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, elle ne s'attendait probablement pas à ce que cela crée tant de problèmes entre les immigrés et la population autochtone. L'afflux de personnes venant de régions étrangères, issues de cultures et de religions différentes, a surtout ébranlé la partie est de l'Allemagne. On peut à la limite concevoir que la politique centriste de l'Allemagne en 2015 n'ait pas été prête aux masses qui se sont ruées à ses frontières en suivant la route des Balkans. Mais elle paie aujourd'hui le prix fort de sa philanthropie. Car c'est la crise des réfugiés qui a érigé l'AfD au rang de troisième force politique du pays.»
L'idéologie du multiculturalisme engendre la violence
Pour Wpolityce.pl, les affrontements de Chemnitz sont le fruit des erreurs de la politique des conservateurs :
«Nous sommes les témoins oculaires de la défaite de l'idéologie du multiculturalisme et de l'ouverture aux minorités. En plus d'être incapable de protéger la société de l'extrémisme, incapable de rectifier le tir, elle peut même provoquer l'extrémisme. Les avertissements venant des länder d'Allemagne de l'Est depuis quelques années, faisant état d'une recrudescence des groupements nationalistes, n'y ont rien fait. Ils n'ont pas ouvert les yeux des politiques de la CDU - officiellement un parti conservateur - sur la nécessité de revoir leur stratégie. ... Au contraire, ils en ont conclu que l'unique remède était de remettre une louche de bouillie politiquement correct et de doubler la mise en matière d'endoctrinement et de politique des bras ouverts.»
Merkel doit se rendre en zone sinistrée
Quelle doit être la réaction de l'Etat de droit face á une meute xénophobe ? C'est la question que pose taz :
«Les délits commis appellent une enquête et des sanctions, mais également une autre réponse : un déplacement d'Angela Merkel à Chemnitz. De son ministre de l'Intérieur. De sa ministre de la Justice. Qu'ils aillent sur le terrain pour se faire une idée de ce qui s'y trame et qu'ils en tirent des conclusions pour leur action politique. ... On a le droit et même le devoir de demander quelle serait la réaction appropriée. Faut-il qu'Angela Merkel accoure sur les lieux de n'importe quelle échauffourée que la police ne parvient pas à maîtriser ? Certes non. Mais en Allemagne de l'Est, de nombreuses communes, des régions entières menacent de péricliter et de devenir des zones sinistrées de la démocratie. Et quand des zones ont été sinistrées, il incombe aux politiques de se rendre sur le terrain et de demander comment ils peuvent leur être utiles. Faute de quoi, d'autres le feront à leur place.»
Pour la CDU de Saxe, l'ennemi vient toujours de la gauche
La CDU de Saxe a trop longtemps cautionné l'extrémisme de droite dans son land, critique Der Standard :
«Kurt Biedenkopf, ancien ministre-président de Saxe, avait affirmé en son temps que les Saxons étaient 'immunisés' contre le radicalisme de droite. Tout porte à croire que la position de la CDU n'a pas changé, en dépit des preuves du contraire, aussi abondantes que regrettables. L'ennemi vient de la gauche, pas de la droite. Dans ce climat, on ne s'étonnera donc pas de l'essor constant que connaît la frange d'extrême droite. Il serait temps que la CDU de Saxe prenne clairement position. Se taire et attendre que la vague passe - par peur de l'AfD - est une erreur et une honte.»