La Roumanie est-elle apte à assumer la présidence tournante ?
La présidence du Conseil de l'UE par la Roumanie ne cesse d'alimenter la controverse. Depuis des mois, Bucarest est sous le feu des critiques en raison de la réforme de la justice qu'elle a engagée, et qui a également suscité le mécontentement dans le pays. Récemment, le président de la Commission Jean-Claude Juncker avait émis des doutes quant à la capacité de gouvernance du pays. Redoutant une phase d'instabilité, les éditorialistes appellent les sociaux-démocrates européens à rappeler à l'ordre leurs alliés roumains.
Les socialistes devraient exiger plus de discipline dans leurs rangs
Tageblatt appelle les sociaux-démocrates européens à se montrer plus sévères envers le Partidul Social Democrat :
«Les sociaux-démocrates européens (SPE) qui tannent à juste titre le groupe conservateur du PPE depuis des années parce qu'il cautionne en son sein le parti hongrois de Viktor Orbán, le Fidesz, devraient montrer le bon exemple en augmentant la pression sur leurs amis roumains. Les appels au respect des principes de l'Etat de droit ne sauraient se taire face aux calculs de politique partisane. La présidence tournante de l'UE, mais aussi les élections européennes en mai, devraient être pour les sociaux-démocrates européens une occasion suffisante de faire le ménage. Ils y gagneraient en crédibilité.»
Une présidence bien fragile
La guerre ouverte que se livrent actuellement le gouvernement roumain et l'opposition place sous de mauvais auspices la présidence du Conseil de l'UE, souligne le quotidien magyar Krónika :
«Selon une décision de la cour constitutionnelle, la nomination des juges de la cour suprême n'est pas conforme à la législation, et ce depuis des années. C'est pourquoi il faudra reprendre à zéro nombre de grands procès pour corruption. Le procès intenté au président du Partidul Social Democrat, Liviu Dragnea, avance lui aussi poussivement. ... Cette guerre [entre gouvernement et opposition] ne manquera pas de s'intensifier en 2019, année qui connaîtra deux élections. Tout cela ne laisse rien présager de bon pour la présidence roumaine de l'UE.»
Nationalistes, eurosceptiques et corrompus
Turun Sanomat n'est pas tendre envers la Roumanie :
«Depuis 2008, la présidence tournante a déjà été confiée à d'autres nouveaux Etats membres, mais le risque d'échec est bien plus élevé dans le cas de la Roumanie que dans celui des autres nouveaux adhérents. La Roumanie est le pays le plus corrompu d'Europe. Les sociaux-démocrates au pouvoir ont bien peu en commun avec leurs pendants d'Europe du Nord. Les responsables de cette famille politique y sont considérés comme nationalistes, eurosceptiques et foncièrement corrompus. ... En ce début de présidence, la confusion la plus totale règne sur la politique intérieure roumaine. Pour la Finlande, qui attache une grande importance aux valeurs fondamentales de l'UE, un échec de la Roumanie n'aurait rien d'anodin. Si la Roumanie manque à ses devoirs, il se pourrait que la Finlande doive prendre le relais avant l'heure.»
Bucarest n'est pas à la hauteur
Le portail Ziare ne pense pas non plus que le gouvernement roumain ait la compétence pour relever le défi :
«Pendant les six mois que durera la présidence tournante, il y aura deux événements importants pour l'UE : le Brexit, prévu le 29 mars 2019, et les élections européennes, qui se dérouleront du 23 au 26 mai. Les six mois à venir seront donc déterminants pour l'orientation politique de l'UE dans les cinq prochaines années. Comment une cheffe de gouvernement telle que Viorica Dăncilă pourrait-elle mener un débat aussi exigeant, elle qui ne sait même pas s'exprimer de manière cohérente dans sa propre langue ? On a du mal à se le figurer.»
La Roumanie doit faire ses preuves
La Roumanie n'est pas le premier Etat membre de l'UE relativement récent dont on conteste dès le départ la capacité d'assurer la présidence tournante de l'Union pendant six mois, rappelle de son côté la radio publique Český rozhlas :
«Reste à espérer que dans le cas de la Roumanie, l'histoire se répète au cours du premier semestre 2019. On s'était également inquiété quand la Bulgarie, en son temps, avait dû assumer la présidence. Mais Sofia avait fini par s'en tirer à bon compte. Pendant la présidence tchèque [au premier semestre 2009], le gouvernement avait même dû démissionner. Finalement, on avait trouvé sa prestation d'ensemble tout à fait valable. La Roumanie doit trouver la force de venir à bout de ses conflits internes. Le pays ne peut pas se permettre de se couvrir de honte - ce qui compromettrait aussi le reste de l'UE.»
Dépasser le legs de Dracula
Dans El Periódico de Catalunya, la politologue Ruth Ferrero-Turrión fait valoir que le semestre à venir est aussi une chance pour le pays :
«C'est un des pays les plus pauvres et les plus excentrés d'Europe qui prend la présidence. Et ce dans une situation critique, où les doutes et les défis sont légion. ... C'est à la fois une épreuve et l'occasion pour la Roumanie de convaincre ceux qui doutent qu'elle est vraiment digne d'être un Etat membre de l'UE ; de fournir la preuve de sa capacité et de ses talents de négociatrice envers ces partenaires de l'UE qui n'ont pour le pays que méfiance, quand ce n'est pas du rejet, depuis son adhésion. Pour la nation à laquelle beaucoup de personnes associent surtout le berceau de Dracula et le pays d'origine d'immigrés, c'est l'occasion de démonter les préjugés et les clichés qui lui collent à la peau.»
Un contrôle démocratique pour les cas problématiques
Le fait que la Roumanie prenne la présidence malgré ses graves infractions aux valeurs européennes souligne l'urgence qu'il y a à adopter des mesures en vue de préserver la démocratie, estime Financial Times :
«C'est indéniable, l'UE doit de toute urgence revoir son attitude envers les entraves à l'Etat de droit. Par exemple, tous les Etats membres de l'UE devraient faire l'objet d'un contrôle annuel au regard de l'indépendance de la justice, des normes démocratiques et des droits de l'homme. Ceci neutraliserait les plaintes de nouveaux Etats membres qui se sentent victimes de traitements injustes. De plus, cela aiderait à révéler les risques d'infraction à un stade plus précoce. ... Ce contrôle devrait en outre s'accompagner d'une série de pénalités. »
Une critique un peu trop tardive
Les craintes de Juncker sont légitimes, mais elles paraissent assez hypocrites, commente Deutschlandfunk :
«En visite auprès du même gouvernement il n'y a que quelques mois, ce même Juncker qui critique aujourd'hui le gouvernement roumain avait affirmé, en dépit de la réforme controversée de la justice déjà perceptible alors, qu'il ne doutait pas de la capacité de la Roumanie à maîtriser la présidence tournante de l'UE. On est en droit de se demander d'où vient ce revirement soudain. Et pourquoi le président de la Commission européenne n'avait-il pas déjà, à cette occasion ou même plus tôt encore, pris la parole pour faire part de ses doutes quant à l'aptitude de la Roumanie ? ... Quand on veut véritablement changer les choses, il ne suffit pas de donner une interview à un journal au dernier moment.»
Un coup de pouce à l'opposition
La présidence tournante de l'UE pourrait avoir un effet positif sur le pays, lit-on sur le site de l'antenne roumaine de la Deutsche Welle :
«Il est indéniable que ce régime de cleptocrates et d'analphabètes serait incapable de diriger une Europe même en parfait état - et donc à plus forte raison une Europe secouée par les crises. ... Au demeurant, la visibilité internationale qui est le corollaire de la présidence de l'UE pourrait obliger les cleptocrates à mettre en sourdine leur détricotage de la démocratie et de l'Etat de droit pendant les six premiers mois de la nouvelle année. Ceci accorderait à l'opposition et aux citoyens encore en résistance un répit qui les revigorerait et les aiderait à reprendre plus efficacement le combat pour défendre les intérêts du pays.»
La présidence tournante a perdu de son importance
La présidence tournante revêt aujourd'hui une importance plutôt symbolique, fait valoir Jutarnji list :
«La fonction a surtout perdu de son poids depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne et la création du poste de président du conseil européen et celui du haut représentant, en charge de la politique étrangère et de sécurité. ... Ce qui ne veut pas dire que la présidence tournante et le rôle du pays qui dirige l'UE soient sans importance. C'est l'occasion de faire la promotion du pays, surtout quand il assure cette fonction pour la première fois. Mais la réussite - surtout pour prendre des décisions sur les sujets qui s'avèrent prioritaires - dépend moins de la présidence à proprement parler que de nombreux facteurs sur lesquels le pays n'a guère d'influence.»