Italie : Salvini peut-il encore devenir Premier ministre ?
A dessein d'empêcher une coalition formée du parti contestataire Movimento 5 Stelle et du Partito Democratico (PD, centre-gauche) en Italie, le chef de file de la Ligue, Matteo Salvini, cherche à courtiser les membres du M5S favorables à la poursuite d'une coopération avec le parti d'extrême-droite. Mais le temps pourrait lui manquer, car le président, Sergio Mattarella, veut que le nouveau dirigeant du pays soit désigné d'ici mercredi. Un imbroglio dont s'indignent les chroniqueurs.
Des Italiens en quête de figure paternelle
Le chef de file de la Ligue, Matteo Salvini, pourrait ressortir plus fort que jamais de ce conflit, estime l'écrivain roumain Adrian Stepan sur Contributors :
«Nombreux sont ceux qui, depuis un certain temps déjà, voient en Salvini le nouveau Mussolini ou bien même, pourquoi pas, le petit Poutine de la péninsule italique - un leader auquel il a à plusieurs reprises témoigné son admiration. ... Dans les prochains jours ou dans les prochaines semaines, on verra si l'on se trouve au crépuscule ou bien à l'aube du populisme italien. ... Salvini semble malheureusement incarner aux yeux de nombreux Italiens une figure paternelle dont ils pensent avoir besoin, après des générations de responsables impliqués dans des scandales de corruption.»
Au bout du rouleau
La crise italienne est symptomatique du déclin du pays, juge Politiken :
«Depuis le jour où le baron des médias Silvio Berlusconi est devenu Premier ministre, la politique italienne a été réduite à un 'reality show', dans lequel les responsables politiques pouvaient survivre à tout - des soirées 'bunga bunga' avec des mineures jusqu'aux escroqueries fiscales. L'Etat est endetté jusqu'au cou, et selon le World Economic Forum, il se classe au 31e rang mondial en termes de compétitivité. ... Sur le plan culturel non plus, l'Italie n'est plus à l'avant-garde comme à l'époque où des réalisateurs comme Federico Fellini ou des auteurs comme Umberto Eco imprimaient leur marque à l'Europe. Au même titre que le Royaume-Uni, l'Italie est l'illustration même de la dégénérescence qu'entraîne l'avènement du populisme politique.»
Des problèmes qui regardent l'UE
L'Italie n'est pas le seul pays dans lequel l'UE devrait tâcher de faire revenir l'ordre, rappelle Helsingin Sanomat :
«Il suffit de considérer les vues de Salvini sur l'UE pour comprendre que l'Italie, à l'instar de la Hongrie et de la Pologne, va enfreindre les règles de la Communauté. L'appartenance à la zone euro permet à l'Italie de bénéficier de la confiance des marchés financiers et de taux d'intérêts faibles. La politique d'assouplissement quantitatif de la BCE stimule l'économie italienne et l'Union bancaire sécurise son système bancaire précaire. L'Italie profite éhontément de cette aide de la communauté, en se moquant des règles de bonne gestion budgétaire. Une politique économique populiste qui met en difficulté la troisième économie de la zone euro est problématique pour l'ensemble de la zone euro. C'est pourquoi les politiques juridique et économique de la Hongrie, la Pologne et l'Italie ne sont pas des affaires internes qui ne regardent que ces pays.»
Une manœuvre pas si avisée que cela
Les chances de Salvini de devenir Premier ministre ont diminué ces derniers jours, souligne De Volkskrant :
«Le rapprochement du PD et du M5S fait apparaître une nouvelle option [autre que de nouvelles élections]. Si le gouvernement était renversé, il y aurait une majorité alternative. ... La troisième option serait que le Premier ministre, Giuseppe Conte, annonce que le litige qui agitait son cabinet a été résolu et que la Ligue et M5S vont tout simplement continuer de gouverner. ... Ce serait certes pour Salvini une humiliation incroyable et inédite, mais l'alternative - une coalition entre M5S et PD - serait pour lui encore plus catastrophique. Le populiste de droite le plus en vue d'Europe occidentale se trouverait tout simplement relégué au banc de l'opposition, qu'il n'aurait pas la possibilité de quitter avant quatre ans. Qui sait ce qui restera alors de sa popularité d'ici là ?»
Un gouvernement d'extrême droite est quasi-inévitable
La grande chance de Salvini est que les autres partis ne parviennent pas à s'entendre, analyse pour sa part The Irish Times :
«Mathématiquement, une autre majorité gouvernementale au Parlement serait possible, avec les députés du M5S et du PD. Mais un arrangement de cette nature a été rejeté il y a un an, ce qui pourrait s'avérer être un cadeau politique pour Salvini, le nouvel homme fort de l'Italie. Compte tenu de la popularité actuelle de la Ligue et sachant qu'il est probable que d'autres partis d'extrême droite 'post-fascistes' lui apportent leur soutien, il semblerait que plus rien ne puisse s'opposer à la formation d'un gouvernement dirigé par Salvini. Son arrivée au pouvoir serait un nouveau défi pour l'Europe, mais aussi un danger potentiel pour l'Italie. »
Vers la fin de la politique étrangère européenne ?
Le politologue Sergueï Outkine craint pour la viabilité future de l'Europe. Il écrit dans Kommersant :
«Salvini est le pourfendeur le plus exubérant de l'actuelle politique extérieure de l'UE. Il clame haut et fort - même si cela n'a aucun impact - la nécessité de renoncer aux sanctions contre la Russie, se chamaille avec le président français Macron et fait des compliments à un président Trump qui reste impopulaire aux Etats-Unis et au Premier ministre britannique, Boris Johnson. ... Or au sein de l'UE, les décisions clés de la politique étrangère européenne requièrent l'unanimité. ... Jusqu'ici, sur beaucoup de questions, les trublions en puissance ont préféré ne pas briser le consensus. Or si le fossé qui se creuse entre la Commission de l'UE et les gouvernements de certains pays récalcitrants devait devenir insurmontable, la fermeté de la politique extérieure de l'UE s'en ressentirait.»
L'Italie est au bord du gouffre
Le quotidien Kurier met en garde contre les conséquences économiques de la crise gouvernementale et pointe la part de responsabilité de l'UE :
«On a une impression de déjà-vu. Après la Grèce, un nouveau pays d'Europe du Sud se trouve au bord du précipice financier. Et une fois de plus, il s'avère que la situation du pays est le résultat de la bêtise ou de la lâcheté de ses élites politiques. Bruxelles et les chefs d'Etat et de gouvernement de l'UE ne sont pas hors de causes eux non plus. Selon des critères purement économiques, l'Italie (tout comme la Grèce) n'aurait pas dû être acceptée au sein de la zone euro. ... La vérité est la suivante : soit on continue de bricoler avec la politique de taux zéro de la BCE qui préserve le pays de l'explosion, mais qui a un effet paralysant sur l'ensemble de l'Europe, soit on entreprend de vastes réformes, à l'issue complètement incertaine.»
L'UE doit recadrer Salvini
Jusqu'à présent, l'UE s'est contentée d'observer passivement l'irrésistible essor de Salvini, déplore eldiario.es :
«Ce grossier pachyderme a désormais de bonnes chances de devenir le chef de gouvernement d'un des quatre grands pays de l'UE. Mais en dépit de cette menace imminente, personne ne veut en parler dans l'UE. On préfère l'ignorer, faire comme s'il n'existait pas et comme si l'Italie restait un partenaire fiable doté d'institutions viables. ... L'autre stratégie adoptée consiste à le caresser dans le sens du poil, en lui expliquant qu'au fond, on n'est pas en désaccord avec ses opinions mais plutôt avec ses méthodes. ... Ces deux stratégies désastreuses ont des conséquences évidentes : l'éléphant grossit de jour en jour, parce que personne ne s'oppose à lui, et parce qu'en lui donnant raison, on ne fait que le nourrir.»
Les opposants à la Ligue sont des incapables
Les opposants à la Ligue la qualifient de barbare. Une accusation trop simpliste, juge l'historien Ernesto Galli della Loggia dans Corriere della Sera :
«Tandis que les 'Barbares' commençaient à essaimer, que faisaient donc les autres, ces 'Optimates' [défenseurs aristocrates de la République dans la Rome antique] ? Quelles batailles ont-ils menées pour protéger la citadelle démocratique ? Quels moyens de défense ont-ils élaborés ? ... On pourrait être tenté de penser que parler de 'Barbares', en évoquant avec une telle image l'idée d'une force sauvage et écrasante, d'une vague irrésistible, permet surtout aux susdits 'Optimates' de détourner l'attention du fait qu'ils ont déserté, qu'ils ont abandonné le champ de bataille : leur inaptitude est devenue une complicité objective avec l'ennemi.»
Une alliance anti-Salvini serait instable
L'ex-président de la Commission européenne Romano Prodi a proposé une "coalition Ursula" pour l'Italie : une alliance des partis ayant voté pour von der Leyen à la tête de la Commission. Ce front anti-Salvini ne resterait pas soudé bien longtemps, assure cependant Journal 21 :
«La gauche est à nouveau divisée : une partie d'entre elle veut un pacte avec le M5S, l'autre non. Le M5S est lui aussi morcelé. Son gourou, Beppe Grillo, avait convoqué dimanche une réunion avec les cadres de son parti pour discuter d'un possible rapprochement avec la gauche. Les deux blocs se sont à tel point attaqués et écharpés ces derniers mois qu'une soudaine lune de miel paraîtrait étrange. Ce qui est certain, c'est qu'une telle alliance ne formerait pas une coalition stable.»