Macron va-t-il faire bouger les lignes dans la politique UE-Russie ?
Emmanuel Macron a accueilli Vladimir Poutine au Fort de Brégançon le 19 août. Lors de leur rencontre, le président français a appelé à 'réinventer une architecture de sécurité et de confiance entre l'Union européenne et la Russie'. Il a en outre formulé le vœu d''un nouveau sommet en format Normandie', le cap des élections en Ukraine passé. Les commentateurs se demandent si cette rencontre pourrait marquer un tournant.
Le projet européen inébranlable de Macron
Ria Novosti goûte la formule de Macron "une Europe allant de Lisbonne à Vladivostok" :
«Protéger l'Europe de la Russie, ériger un mur infranchissable de la Baltique à la Mer noire : tous ces projets géopolitiques caressés par les dirigeants, de Riga à Varsovie en passant par Kiev, jurent avec la formule. Mais ce n'est qu'une moitié du problème. L'autre réside dans la configuration politique de l'UE : des petits pays déclarent aux dirigeants à Paris et à Berlin qu'ils se trompent sur toute la ligne. ... Or Macron est un fervent partisan d'une Europe centralisée et de la création de véritables Etats-Unis d'Europe. Et il n'aime pas que l'on essaie d'influer sur sa politique extérieure.»
Un rapprochement à pas de fourmis
On est encore bien loin d'un rapprochement entre la Russie et l'Europe, analyse NRC Handelsblad :
«L'indignation morale, les sanctions et l'ostracisation n'ont pas fait infléchir la trajectoire du Kremlin. La Crimée reste russe. Grâce à l'aide russe, Assad se maintient au pouvoir. L'Ukraine continue de souffrir d'un conflit. Et pourtant, on essaie de renouer le dialogue. ... Ce rapprochement ne peut se faire qu'à pas de fourmis. ... Les réticences sont encore trop fortes pour ré-accueillir la Russie au sein du G7. Ses opposants font valoir que cela légitimerait l'annexion de la Crimée. ... Le rendez-vous sur la Côte d'Azur a lui aussi permis de mesurer le gouffre qui sépare la Russie de l'Occident.»
Macron trahit les peuples et la paix
Sur Mediapart, le blogueur Pierre Haffner dénonce le coup de pouce du président français à l'autoritarisme de Poutine :
«Cette rencontre sera une bouée de sauvetage alors que le régime chancelle et touche à sa fin. Le 10 août dernier, l'opposition a rassemblé 60 000 personnes à Moscou, chiffre inégalé depuis 1992. Les images de cette rencontre, Macron/Poutine, seront exploitées par la propagande du Kremlin pour démontrer que le dictateur est fréquentable. Macron, le banquier, trahit les peuples et la paix pour les affaires et de l'argent.»
Le pragmatisme n'est pas répréhensible en soi
Macron fournit une nouvelle preuve de son pragmatisme, commente Nadia Pantel, correspondante à Paris de Süddeutsche Zeitung :
«L'Europe de Macron a laissé derrière elle les guerres mondiales, le colonialisme et la guerre froide. Dans sa vision du monde, peu de différends sont impossibles à résoudre, il y a toujours la possibilité de venir à bout des problèmes par le dialogue, en dernier recours. Ceci lui donne des airs parfois naïfs, parfois courageux, parfois trop imbu de pouvoir. On pourra mesurer sa prestation à l'efficacité de ce rôle de médiateur entre les mondes qu'il joue avec allégresse. Dans le cas de la Russie, Macron ne pourra qualifier de réussite ses rencontres prolongées avec Poutine que si ceci contribue en contrepartie à renforcer, du moins à moyen-terme, la démocratie en Russie.»
De nouvelles alliances de pouvoir se profilent
Lors de la rencontre, Macron a émis des signes de rapprochement susceptibles d'entraîner de grands changements, analyse Cristian Unteanu sur son blog hébergé par Adevărul :
«L'espace géographique envisagé pour le grand accord de l'avenir a tout d'abord été précisé : la formule de de Gaulle n'étant plus actuelle, on ne parle plus d'une Europe allant 'de l'Atlantique à l'Oural', mais d'une Europe allant 'de Lisbonne à l'Oural'. ... Le motif de la visite de Macron en Russie, prévue en mai 2020, constitue un aspect décisif : il en va d'une nouvelle architecture de 'sécurité et de confiance'. Ceci pourrait changer la donne, dans les relations UE-Russie, mais aussi au niveau mondial. Ceci contraint les grandes puissances à réviser sans tarder leur politique nationale, mais aussi à repenser les alliances de pouvoir qu'elles ont conclues.»