Les 'quatre frugaux' contre Merkel et Macron
Pays-Bas, Danemark, Suède et Autriche s'opposent au plan de relance présenté la semaine dernière par Angela Merkel et Emmanuel Macron, qui serait financé par un emprunt communautaire. Ce week-end, les quatre Etats ont fait une contreproposition, qui limite les aides d'urgence à une durée de deux ans et prévoit d'accorder des crédits aux Etats affectés plutôt que des 'donations'. Une idée judicieuse ?
Empêcher l'avènement d'une 'Union de la dette'
De l'avis de Handelsblatt, l'Allemagne devrait être la première à être reconnaissante envers les quatre pays :
«Chez nous non plus, personne ne veut d'une Union de la dette. Les économistes de gauche affirment volontiers, de façon insidieuse, que l'Allemagne n'aurait à répondre 'que' d'un quart des dettes environ. C'est faux, bien entendu. C'est sur la solvabilité de l'Allemagne que comptent les marchés financiers. C'était le cas lors de l'introduction de l'euro, de même que lors de la création du Fonds européen de stabilité financière (FESF), au moment de la crise de la dette. Mais si des doutes venaient à surgir quant à la solvabilité de l'Allemagne, alors c'est la viabilité des dettes de toute l'Europe qui serait en péril. Et cela, il faut que les partisans des eurobonds le reconnaissent publiquement.»
Ils trouveront un terrain d'entente
Jutarnji list pense cependant que la proposition franco-allemande finira par s'imposer :
«C'est un grand défi pour l'UE, car hormis les fonds nécessaires de toute urgence, la solidarité et l'unité de l'UE sont à nouveau en jeu dans cette crise, la plus grave que l'Union ait eu à surmonter. La conviction qu'un compromis peut être obtenu est donc plus forte, car on peut estimer que personne ne voudra répondre de nouvelles failles au sein de l'UE à l'heure où l'action collective est de mise - personne n'étant en mesure de gérer seul cette crise. Le fait que l'Allemagne ait accepté la proposition, alors que le pays faisait jusque-là partie du groupe des 'frugaux', laisse espérer que les Etats membres parviendront à s'entendre sur la question.»
Entre solidarités et intérêts nationaux, un équilibre à trouver
Il ne s'agit que d'une nouvelle phase dans la quête perpétuelle d'un consensus européen, analyse Linas Kojala, directeur du Eastern Europe Studies Center, dans Lrt :
«L'Europe cherche continuellement l'équilibre entre la solidarité, nécessaire au maintien de l'unité, et les réticences des Etats à financer cette solidarité de leur propre poche. Une partie des propositions est très ambitieuse, mais l'expérience des crises passées montre que l'UE, même confrontée à d'immenses défis, n'évolue pas vraiment. Elle reste avant tout une union de 27 Etats avec des intérêts au moins tout aussi nombreux, et dans laquelle domine la recherche complexe d'un consensus, et non le 'diktat'. Et lorsqu'un consensus est nécessaire dans un groupe aussi conséquent, eh bien le résultat est souvent peu ambitieux.»
Une victoire du thatchérisme ?
Les quatre Etats font l'erreur d'appliquer leur dogmatisme économique à l'UE, déplore Pierre Haski dans sa chronique à France Inter :
«Ils ont une vision très comptable de la construction européenne, remplaçant de ce point de vue le Royaume Uni d'avant le Brexit. Souvenez-vous de Mme Thatcher et de son 'I want my money back', 'je veux retrouver mon argent… ' ! On ne peut évidemment pas reprocher à un pays bien géré d'être regardant à la dépense, d'être donc 'frugal'. … Mais c'est réduire la construction européenne à un simple espace économique … On saura dans les prochains jours si les 27, comme l'espère l'Elysée, parviennent à un compromis acceptable, ou si c'est Maggie Thatcher qui remporte une victoire posthume, au risque de torpiller durablement l'Europe.»
Frugaux ? Aveugles plutôt...
Les détracteurs du plan ne saisissent pas la gravité de la situation, fulmine Massimo Giannini, rédacteur en chef de La Stampa :
«On qualifie de 'frugaux' les quatre pays qui font obstacle au fonds européen de 500 milliards d'euros proposé par Angela Merkel et Emmanuel Macron. Un qualificatif, disons-le franchement, qu'ils n'ont pas mérité. Les Pays-Bas, le Danemark, l'Autriche et la Suède sont 'aveugles'. Ils ne voient pas que nous tous, citoyens et citoyennes de l'Union, nous ne formons qu'un seul et même corps, qui vit et qui souffre au quotidien. Ils ne voient pas ce que Mario Draghi a déclaré il y a deux mois au Financial Times, à savoir que la pandémie est une 'tragédie humaine aux effets potentiellement désastreux'. La vie de nombreuses personnes est menacée, et de nombreuses autres encore risquent de perdre leurs moyens de subsistance. ... Il faut empêcher que cette grande récession ne se transforme en longue dépression.»
Si l'on veut être aidé, il faut accepter d'être contrôlé
Avec le plan de Merkel et Macron, l'UE est en passe de devenir une 'Union de transfert', critique pour sa part Die Presse :
«Un groupe de quatre Etats résiste au tandem royal européen M&M et vient de faire une contreproposition. ... Dans Der Spiegel, on peut lire que ces quatre pays, de par leurs excédents commerciaux, seraient dans l'obligation de reverser les gains du passé à d'autres pays, qui ont davantage importé jusque-là. Un argumentaire qu'un certain Donald Trump avait privilégié dans la guerre commerciale avec l'Europe ; un argumentaire absurde. Au final, grâce au système de l'unanimité, il y aura un compromis - un mélange de subventions ('donations') et de crédits. ... Si des aides sont accordées, il faut dans le même temps que les pays bénéficiaires se remettent à un moment donné à respecter les critères de Maastricht - depuis longtemps oubliés - et d'autres paramètres.»
Le mercantilisme du Nord nuit à l'Union monétaire
Le plus grand péril pour l'UE, c'est l'égoïsme des Etats du Nord, commente Le Soir :
«Une chose est indiscutable : tous les Etats membres ne peuvent pas imiter l'Allemagne, même en acceptant des années d'austérité budgétaire et salariale – et une économie stagnante, comme l'Italie depuis 20 ans. Alors il n'y a que deux solutions. Ou bien l'Allemagne et les 'quatre frugaux' abandonnent leur obsession mercantiliste et admettent que l'Europe, n'étant pas une petite économie ouverte, ne peut pas fonder sa croissance et sa prospérité sur la compétitivité et le commerce extérieur. Ou bien l'Union monétaire sera toujours plus dysfonctionnelle jusqu'au jour où certains décideront… de la quitter.»