Bélarus : comment expliquer la retenue de Poutine ?
Depuis le début du soulèvement qui a suivi les élections au Bélarus, les observateurs portent leurs regards inquiets vers Moscou dans l'expectative d'une réaction. Les commentateurs s'accordent à dire que la réponse du Kremlin décidera du sort de Loukachenko, qui occupe la présidence depuis plus d'un quart de siècle.
Poutine doit gagner les faveurs des Bélarusses
Poutine perdra le Bélarus s'il continue de couvrir Loukachenko, croit savoir Nina Khrouchtcheva, petite-fille de Nikita Khrouchtchev, dans nv.ua :
«Même si Loukachenko se maintenait au pouvoir, il a déjà perdu sa légitimité car les Bélarusses n'oublieront pas les coups, les tortures et même les assassinats du régime dans sa répression des manifestants. Et ils n'oublieront pas non plus le silence du Kremlin. A chaque nouveau jour de contestation, la méfiance et l'hostilité envers le Kremlin se renforce, y compris chez les gens qui n'ont jamais été animés de tels sentiments. Poutine devrait se montrer ouvertement solidaire envers la société bélarusse, car il importe désormais davantage d'être bien vu de la société bélarusse que du régime de Loukachenko. Car ceci réduirait les chances de l'Ouest de soustraire le Bélarus à la sphère d'influence du Kremlin.»
Ne pas renforcer le front russophobe
Douma estime lui aussi que pour Poutine, la solution passera non pas par Loukachenko mais par l'opposition :
«Un dialogue permettrait à Minsk et à Moscou de limiter les dégâts et d'empêcher que le Bélarus ne gonfle les rangs des Etats russophobes, qui forment un bloc de la Baltique à la mer Noire. Il serait absurde que le Bélarus devienne le dernier pion dans ce jeu de domino antirusse, d'autant que la majorité de la population est prorusse et que l'économie bélarusse est étroitement liée à celle de la Russie. Mais au lieu d'ouvrir le dialogue, Loukachenko ouvre le feu sur les manifestants, et se dit même prêt à envoyer l'armée. ... Si Poutine acceptait de l'aider par la violence, la russophilie des Bélarusses virerait à la russophobie. ... Plus Loukachenko prend des postures machistes, moins la Russie sera à même de trouver une sortie de crise.»
Le Bélarus, un laboratoire pour le Kremlin
Dans Postimees, le spécialiste de la Russie Vladimir Iouchikine explique la stratégie de Poutine au Bélarus :
«Le Kremlin suit de près la situation et soutiendra Loukachenko jusqu'à la dernière minute, mais à distance. Or le jour où le Kremlin comprendra que la révolution est inévitable, il ne s'opposera pas au cours de l'histoire cette fois-ci, mais essaiera de lui imprimer une orientation qui serve le mieux ses intérêts. Autrement dit, si les choses se gâtent, le Kremlin abandonnera Loukachenko et désignera un autre poulain. Nous pouvons actuellement observer l'évolution des choses comme dans un laboratoire grandeur nature, où le Kremlin teste de nouvelles technologies politiques de transition.»
Les despotes ont toutes les raisons de trembler
L'attitude de la Russie a de quoi tourmenter d'autres régimes autoritaires, lit-on dans hvg :
«Les dirigeants autoritaires que Loukachenko compte au nombre de ses amis constatent avec inquiétude que le régime de Minsk, qui semblait encore relativement stable au début de l'été, est en train de se décomposer sous leurs yeux. ... A l'annonce des résultats de la présidentielle, ces amis se sont empressés de le féliciter pour sa 'grande victoire' : les chefs d'Etat turc Tayyip Erdoğan, azéri Ilham Aliyev, tadjik Emomalii Rahmon, moldave Igor Dodon et kazakh Kassym-Jomart Tokaïev ont été les premiers à lui adresser leurs félicitations. Les despotes doivent être alarmés que Moscou ne vole pas au secours de son allié.»