Loukachenko peut-il compter sur Poutine ?
Alors que la mobilisation ne faiblit pas en Bélarus, son inamovible président, Alexandre Loukachenko, s'est rendu lundi à Sotchi pour y rencontrer Vladimir Poutine. Celui-ci l'a reçu amicalement, lui a promis un crédit de 1,5 milliard de dollars et lui a témoigné son soutien. Mais de l'avis des éditorialistes, le chef du Kremlin n'a pas pris fait et cause pour son homologue en difficulté.
Le dilemme du Kremlin
Ekho Moskvy constate que Poutine, que cela lui plaise ou non, n'a pas d'alternative à Loukachenko :
«Les leaders d'opposition bélarusses ont beau louer régulièrement - et ce en toute sincérité - les liens d'amitié, la fraternité entre les deux peuples, toujours est-il que Tikhanovskaïa, Kolesnikova et consorts veulent construire un pays qui n'aura plus grand-chose à voir avec la Russie sur le plan idéologique. Le plan idéal pour Poutine, ce serait d'annexer le Bélarus. Il espérait parvenir à gagner à sa cause l'exécrable Loukachenko, voire à lui trouver un remplaçant ; il ne s'attendait pas à ce que les choses se déroulent différemment. Il doit désormais faire un choix : laisser le Bélarus emprunter une autre voix, ou venir en aide à Loukachenko.»
S'il le faut, la Russie prendra les choses en main
Loukachenko ne peut escompter que Poutine lui apporte un soutien décisif, estime Keskisuomalainen :
«Il tente de s'agripper au pouvoir et de faire croire à Poutine qu'il est confronté à une révolution de couleur orchestrée par l'Ouest et susceptible de gagner la Russie. Or Poutine se soucie moins du sort de Loukachenko que de l'existence d'un gouvernement prorusse à Minsk. Des policiers russes ont déjà été mis à la disposition du régime bélarusse. Il semble que le Kremlin ne permette pas à l'opposition de renverser Loukachenko, mais qu'il soit prêt en revanche à le faire lui-même s'il le faut.»
Loukachenko espérait davantage
Poutine n'aidera pas Loukachenko coûte que coûte, estime également Népszava après le sommet :
«Les liens entre Poutine et son homologue bélarusse ne reposent en aucun cas sur une confiance réciproque ; leurs relations se sont détériorées ces dix dernières années. Depuis le début des manifestations, le président bélarusse s'est certes souvent présenté comme un inconditionnel partisan du régime russe, mais ceci ne fait que prouver qu'il est conscient d'avoir perdu l'appui de ses concitoyens. ... L'aide de Moscou est donc son unique chance. Tant que Poutine n'aura pas trouvé de meilleure alternative, il aura besoin de lui, mais cela n'ira pas plus loin. ... Le président russe doit par ailleurs songer à la réaction du peuple bélarusse. Il n'est probablement pas dans son intérêt de s'attirer la colère des habitants du pays.»
Cet homme n'est plus le bon partenaire
Un post publié sur la chaîne Telegram anonyme SerpomPo et relayé par Ekho Moskvy pointe que, ne serait-ce que dans son propre intérêt, Vladimir Poutine devrait refuser tout soutien au pouvoir à Minsk :
«Si Poutine ne veut pas avoir un pays ennemi de plus devant sa porte et ne veut pas galvauder la possibilité pour le Bélarus de se doter de dirigeants loyaux, un seul scénario s'impose : il doit faire comprendre à Alexandre Loukachenko qu'il n'aura plus son soutien. Et réclamer la libération inconditionnelle de tous les prisonniers politiques, y compris des chefs de file politiques et sociaux Viktor Babariko, Sergueï Tikhanovski, Maria Kolesnikova et Mikola Statkevitch. ... Ensuite, Loukachenko doit (s'il le peut) quitter le Bélarus et laisser la voie libre à de nouvelles élections, dans six mois. ... Les dirigeants russes doivent se mettre dans la tête que Loukachenko a fait son temps, que le Bélarus a changé pour toujours.»
Le Kremlin a tout préparé, depuis longtemps
Vladimir Poutine se prépare à l'ère post-Loukachenko, note le rédacteur en chef de Rzeczpospolita, Bogusław Chrabota :
«Il a sans aucun doute dans un des tiroirs du Kremlin les clés du palais présidentiel à Minsk. Je doute que Poutine croit que l'emprise russe au Bélarus prendra fin avec Alexandre Loukachenko. A n'en pas douter, Vladimir Vladimirovitch a préparé d'autres scénarios. J'en veux pour preuve la présence croissante de 'petits bonhommes verts' anonymes circulant au Bélarus à bord de véhicules sans plaque. Dans combien de temps ces hommes enlèveront-ils leurs cagoules pour prendre le contrôle du pays en insurrection ? Et est-ce que quelqu'un invitera à la table des négociations Svetlana Tikhanovskaïa et Svetlana Alexievitch, ou une tout autre ? La réponse, nous la connaîtrons probablement en automne.»
La Russie n'entrera pas dans le pays
Le dirigeant bélarusse ne demandera sûrement pas à son grand voisin de lui venir en aide militairement, explique le politologue Dmitri Orechkine dans nv.ua :
«Alexandre Loukachenko comprend une chose : tant que le pouvoir au Bélarus reposera sur la violence, il appartiendra à celui qui a le plus de baïonnettes. Mais si l'on voit subitement apparaître ici et là des baïonnettes faisant acte d'allégeance à quelqu'un d'autre, Loukachenko deviendra la marionnette de Poutine. Puis il sera dépossédé de son pouvoir. C'est bien pour le Kremlin, mais pas pour Loukachenko. Pour le moment, des manifestants pacifiques représentent pour lui un danger moindre que des soldats armés en provenance de Russie. ... Le scénario le plus probable est le suivant : les forces de l'ordre bélarusses continueront à essayer d'étouffer les manifestations. Et Loukachenko n'accèdera pas à la demande de Poutine de faire entrer sur le territoire de 'petits bonhommes verts', comme ceux que ce dernier avait envoyés en 2014 pour annexer la Crimée.»
Surtout pas une guerre par procuration !
Times of Malta espère que le Bélarus ne sera pas broyé entre les intérêts occidentaux et russes :
«Le Bélarus ne devrait pas devenir la nouvelle arène géopolitique où Russie et Occident s'affrontent pour avancer leurs pions. C'est un facteur décisif. Pendant la Seconde Guerre mondiale, souvent appelée Grande Guerre patriotique dans les pays ex-soviétiques, des milliers de villages et de hameaux ont été détruits. Un fait invoqué par beaucoup de Bélarusses est que 25 pour cent des habitants ont été tués pendant cette guerre qui a entièrement rasé pas moins de 85 pour cent de la capitale Minsk. Un nombre important de Bélarusses craignent qu'une tragédie comparable puisse se répéter.»