Les Etats-Unis adoptent des sanctions contre la Turquie
L'administration américaine a arrêté des sanctions contre la Turquie. En réaction à l'achat par Ankara de systèmes de défense antimissile russes S-400, Washington interdit dès aujourd'hui toute coopération avec la Turquie dans le domaine militaire. Lors de son dernier sommet, l'UE avait pour sa part renoncé, dans un premier temps, à durcir les sanctions suite aux agissements turcs en Méditerranée orientale. Les éditorialistes s'interrogent sur la suite.
Ankara a besoin d'un nouveau partenaire
Dans Vedomosti, l'expert militaire Ruslan Poukhov évoque les conséquences de l'imbroglio actuel sur l'orientation militaire de la Turquie :
«Les mesures américaines contraignent l'industrie turque de l'armement à faire des choix d'avenir. Jusqu'à maintenant, son vecteur était l'intégration dans l''écosystème' d'armement occidental. Symbole de cette intégration, la participation au programme de construction de l'avion de chasse américain 5e génération F35 - dont les Turcs se trouvent désormais écartés en raison de l'achat de systèmes de défense antimissile S-400. La Turquie se retrouve confrontée à l'effondrement total du cap actuel de son industrie de l'armement. L'alternative est évidente : une réorientation vers des coopérations avec des partenaires non occidentaux. ... Sur ce plan, le secteur russe de l'armement peut s'avérer d'un certain secours pour la Turquie.»
Une dissuasion coûteuse
La Turquie, en sa qualité d'Etat membre de l'OTAN, n'a jamais réellement eu l'intention d'activer un système de défense antiaérienne qui lui a coûté 2,5 milliards de dollars, fait valoir Habertürk :
«C'est surtout sur la période 2014-2015, quand beaucoup de pays ont abandonné à son sort la Turquie avec Daech et les terroristes étrangers, que le dispositif S-400 avait la fonction dissuasive de bâillon, un argument pour forcer les partenaires à changer d'attitude. Les choses ne vont pas plus loin. ... Mais pour avoir érigé les S-400 en question d'importance nationale, la Turquie se trouve aujourd'hui confrontée au fait accompli le plus cher de son histoire. ... Quand on cherche à faire passer des errements et des problèmes de politique étrangère pour une question de vie ou de mort, qu'on les instrumentalise à des fins politiques nationales, il est rare que cela se termine bien.»
Biden condamné à la passivité
Le Congrès a placé Biden devant le fait accompli, lit-on dans Milliyet :
«En adoptant les sanctions la semaine dernière, le Congrès prive Biden de prendre personnellement en mains le problème des S-400. L'administration Biden sera donc réduite à l'attentisme sur ce dossier. Elle sera surtout à l'écoute des solutions qu'Ankara avancera. Mais si la Turquie activait le système de défense antiaérienne, elle signalerait qu'elle assume les sanctions. Les mesures que la Turquie va maintenant adopter seront décisives. Au demeurant, de premiers signes indiquent déjà que les deux camps s'efforceront de restaurer un dialogue positif entre l'administration Biden et le président Erdoğan.»
Quelqu'un fait enfin le premier pas
To Vima se réjouit de l'initiative de Washington :
«L'interdiction d'exporter des armes vers la Turquie alarme considérablement Ankara, comme l'a montré la réaction courroucée du ministre des Affaires étrangères, Mevlüt Çavuşoğlu. ... Le timing des sanctions revêt une importance cruciale, juste après la décision du sommet européen de remettre au mois de mars l'éventuelle adoption de mesures plus strictes contre Ankara. ... De ce point de vue, il est évident que la volonté d'Erdoğan de prendre contact avec le président du Conseil européen, Charles Michel, n'a rien de fortuit. Ankara est visiblement convaincue que la décision des Etats-Unis incitera une Europe jusque-là hésitante à prendre des mesures similaires.»
Pour Erdoğan, la brise atlantique a tourné
Le site news.bg estime que les sanctions portent déjà la marque de Joe Biden, avec lequel Tayyip Erdoğan aura maille à partir :
«Le contact personnel entre Trump et Erdoğan sera remplacé par une communication au niveau institutionnel. Cela devrait empêcher des actions comme celles observées ces quatre dernières années, à l'image de l'initiative du procureur général William Barr (qui a démissionné depuis), qui avait fait pression sur l'enquête menée aux Etats-Unis contre la banque publique turque Halkbank, soupçonnée d'avoir contourné les sanctions contre l'Iran. ... Les relations entre les Etats-Unis et la Turquie ont été marquées par des tensions ces dernières années. Et avec le nouveau locataire de la Maison-Blanche, cela ne risque pas de s'arranger.»
Washington est tributaire d'Ankara
Ces sanctions sont de la part des Etats-Unis une imprudence qui compromet un partenariat important, s'étonne le quotidien pro-AKP Daily Sabah :
«Aujourd'hui déjà, le commerce extérieur de la Turquie se fait en quasi-exclusivité avec la Russie, la Chine et l'Allemagne. ... Avec leurs dernières sanctions, les Etats-Unis facilitent la tâche à l'Etat turc, son unique allié séculier au Proche-Orient, second partenaire au sein de l'OTAN par la taille, qui protège la frontière orientale de l'organisation. La nouvelle administration américaine devrait comprendre que l'ancien paradigme a changé. Si elle veut maintenir des liens étroits avec Ankara, elle devrait suspendre les sanctions. Et rechercher son soutien, afin d'éviter de perdre la Turquie et de risquer que celle-ci se tourne vers l’Eurasie.»