Putsch militaire en Birmanie : quelle réaction de l'UE ?

L'armée a pris le pouvoir en Birmanie lundi - le jour où le Parlement nouvellement élu aurait dû siéger pour la première fois. La prix Nobel de la paix et actuelle cheffe de gouvernement, Aung San Suu Kyi, ainsi que le président, ont été arrêtés. Un putsch que l'armée a justifié en invoquant des fraudes électorales. Les observateurs appellent l'Europe à réagir de façon judicieuse.

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Der Standard (AT) /

La Chine est déjà à l'affût

Dans une tribune à Der Standard, Philipp Annawitt, responsable du programme des Nations unies pour la Birmanie jusqu'en 2020, évoque le scénario qui pourrait se mettre en place :

«Il ne faut pas que l'UE remette en question le statut commercial 'Everything but Arms', vital pour la Birmanie. Si plusieurs jours devaient s'écouler sans que l'on n'observe de réactions, alors l'état d'urgence militaire se consolidera. Les Etats-Unis gèleront alors les transactions financières en infligeant un vaste éventail de sanctions économiques. Suivront les premières 'paniques bancaires'. L'économie du pays, mise à mal par l'épidémie de coronavirus, pourrait s'effondrer. La Chine viendra alors à la rescousse, en apportant une aide décisive. Et cette aide aura un coût tragique : la fin de l'ouverture démocratique et la fin, de facto, de la souveraineté birmane.»

NRC Handelsblad (NL) /

Favoriser une coalition de jeunes démocrates

NRC Handelsblad s'inquiète lui aussi du recours à des sanctions économiques contre un pays déjà pauvre :

«Les possibilités d'infliger des sanctions ciblées contre l'armée sont plutôt limitées : suite aux nettoyages ethniques, les Etats-Unis et l'UE avaient déjà placé des militaires sur une liste de sanctions. Il est évident qu'Aung San Suu Kyi doit sortir de prison et retrouver la fonction légitime qu'elle exerçait. Mais l'Occident ne doit pas se focaliser exclusivement sur elle, comme il l'a fait ces dernières décennies. La démocratie birmane a encore un long chemin à parcourir, et cela nécessite une large coalition de jeunes démocrates.»

Ria Nowosti (RU) /

Les généraux actionnent le frein d'urgence

Ria Novosti, agence de presse d'Etat russe, défend le putsch militaire, qu'elle considère comme un mal nécessaire :

«Les militaires - même s'ils l'on fait de façon excessive - ont eu recours aux mécanismes qu'ils avaient eux-mêmes ancrés dans la Constitution de 2008. Pourquoi ? Simplement pour prendre le pouvoir ? Ils l'exerçaient déjà largement auparavant. Non, leur objectif était d'éviter la confusion et le chaos. Car après sa victoire électorale, le parti d'Aung San Suu Kyi entendait instituer des chefs régionaux issus de ses propres rangs. Cela avait généré des troubles dans les 'Etats' [entités territoriales peuplées de groupes ethniques non-birmans] - où le soutien témoigné à Suu Kyi est plus faible et le potentiel de troubles plus élevé. Car les guérilleros et les milices nationales semi-légales existent toujours en Birmanie. Les généraux ne veulent pas que de nouveaux conflits ethniques et régionaux viennent s'ajouter aux anciens.»

The Irish Times (IE) /

Un funeste compromis

Aung San Suu Kyi n'aurait pas dû s'acoquiner avec les généraux du pays, écrit The Irish Times :

«Aung San Suu Kyi avait trouvé un modus vivendi avec les militaires, sur la base d'un 'accord' constitutionnel. Cette Constitution assurait un contrôle de l'armée sur le pouvoir civil en réservant trois ministères et un quart des sièges parlementaires aux généraux. C'était un compromis qui l'a amenée à ne pas condamner les exactions de l'armée, notamment la répression génocidaire et l'expulsion forcée de la minorité rohingya. Tenter de dompter le tigre s'est avéré être une stratégie dangereuse et finalement autodestructrice qui aura coûté sa réputation internationale à Aung San Suu Kyi, bien qu'elle n'ait rien perdu de sa popularité dans le pays.»

Postimees (EE) /

Inutile...

L'armée disposait déjà de suffisamment de pouvoir, estime Postimees :

«La Constitution accorde à l'armée un quart des sièges de députés et le contrôle de ministères importants. La démocratisation de façade avait permis de rétablir les relations du pays avec l'Occident. ... Tatmadaw [le nom de l'armée birmane] veut montrer que la démocratie ne fonctionne pas et que les forces démocratiques sont plus corrompues que l'armée. Quoi qu'il en soit, la conception qui s'impose, c'est qu'Aung San Suu Kyi et son parti, le NLD, sont les seuls représentants légitimes du peuple, même si tout n'est pas parfait. ... Comme Tatmadaw n'avait pas perdu sa position de force dans le pays, il y a de quoi s'étonner de cette prise de pouvoir. ... Certains observateurs affirment que celle-ci pourrait avoir été provoquée par des tensions internes et des luttes hégémoniques.»

tagesschau.de (DE) /

Artisan de son propre déclin

Le putsch est l'aboutissement tragique de la trajectoire d'Aung San Suu Kyi, commente Holger Wenzel, correspondant de la chaîne ARD en Asie du Sud-Est, sur tagesschau.de :

«Elle avait fait cause commune avec ceux qui bafouent les droits de l'homme et qui méprisent la démocratie. Celle qui avait été portée aux nues en Occident pour sa lutte pour la liberté avait galvaudé sa réputation internationale. ... Il ne sert à rien de chercher à comprendre ses raisons. A savoir si elle s'est laissée corrompre par la fonction et par le pouvoir ou si elle pensait ne pas avoir le choix. ... En servant de feuille de vigne démocratique à l'armée, elle avait déjà trahi son propre peuple. Cela lui avait valu une victoire écrasante aux dernières élections, ce qui ne lui aura finalement servi à rien : car l'armée s'est débarrassée de celle qui avait accepté d'être sa domestique.»

Corriere della Sera (IT) /

Un contexte propice pour les généraux

L'armée exploite la situation géopolitique du pays, analyse Corriere della Sera :

«L'équilibre hypocrite de la 'démocratie imparfaite' a isolé le pays. Mais les militaires savent jouer avec la géopolitique. Ils pensent pouvoir trouver leur place dans le défi entre Washington et Pékin. Le général Min Aung Hlaing, le chef de file du coup d'Etat, est déjà sous le coup de sanctions personnelles des Etats-Unis sur le dossier Rohingya et n'a rien à perdre ; ses compagnons d'armes peuvent espérer que la Maison-Blanche aura des difficultés à trouver un moyen éthique d'augmenter la pression sans que la population n'en pâtisse davantage. D'autant que les généraux n'ignorent pas l'importance stratégique de leur pays pour le projet chinois des 'nouvelles routes de la soie'. Hier, la Chine s'est contentée de dire qu'elle avait 'remarqué' le changement de situation, et qu'elle souhaitait 'une stabilité politique et sociale'.»

Corriere del Ticino (CH) /

Une humiliation de trop

La vieille garde n'a pas voulu accepter sa déconvenue électorale, explique Corriere del Ticino :

«Le Parlement aurait dû se réunir hier pour la première fois depuis des élections que le NDL avait remportées haut la main, une humiliation pour le parti militaire. Il faut croire que c'est cette humiliation qui a déclenché la soif d'autoritarisme de la junte militaire. ... Il faut se rappeler que tous les hommes forts du régime sont issus des rangs de l'ancien Parti du programme socialiste. ... Au fil des années, on a vu fleurir une foule de devises ambivalentes exprimant le souhait, purement théorique, de changer l'esprit politique du pays : 'la voie birmane vers le socialisme', 'la démocratie populaire sur le modèle soviétique', ou encore celui en cours actuellement de 'démocratie s'épanouissant dans la discipline'. Autant de programmes que la Chine, sainte patronne de la Birmanie, qui joue le rôle de mère et de premier partenaire commercial, doit avoir trouvés assez décalés.»