OTAN : comment réagir aux exigences de Moscou ?
La Russie a soumis aux Etats-Unis et à l'OTAN deux ébauches de traités qui détaillent sa vision d'une architecture sécuritaire pour l'Europe de l'Est. Celle-ci proscrirait l'adhésion d'ex-républiques soviétiques à l'OTAN et imposerait à l'alliance atlantique de retirer ses armes de la région. Washington et Kiev ont déjà rejeté ces requêtes. La presse se demande dans quelle mesure elles peuvent être prises au sérieux.
On peut donner ses garanties à Poutine
L'OTAN ne prévoyant nullement d'accueillir l'Ukraine en son sein, le chroniqueur David Von Drehle ne voit pas pourquoi des garanties en ce sens ne pourraient pas être données à Moscou, comme il l'écrit dans The Irish Independent :
«Il devrait être possible de dire tout haut ce qui est un secret de polichinelle en Occident : l'OTAN n'a pas l'intention d'accorder le statut de membre à l'Ukraine et à la Géorgie. Si Poutine ressent le besoin d'être fixé sur ce point, quel mal y-a-t-il à lui en offrir la garantie ? Dans le même temps, si l'Occident n'a pas l'intention de mettre le grappin sur ces pays, nous ne les abandonnerons pas pour autant. Biden a raison de menacer la Russie de conséquences économiques sévères si Poutine s'aventurait à envahir l'Ukraine. ... Il est dans l'intérêt de tous que l'Ukraine reste un pays stable et neutre. Alors pourquoi ne pas dire les choses telles qu'elles sont ?»
L'apaisement ne protège pas des guerres
Rzeczpospolita met en garde contre une politique d'apaisement envers la Russie et compare la situation avec les accords de Munich de 1938, par lesquels la France et la Grande-Bretagne avaient fait des concessions à Hitler pour empêcher une guerre :
«Derrière les exigences de Poutine, il y a l'idée d'un nouveau Munich, rien de moins. La grande puissance a un autre nom, mais elle tire dans le même sens. ... Rappelons-nous les paroles de Churchill au lendemain des accords de Munich : 'Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur et vous aurez quand-même la guerre.' Aujourd'hui, l'Occident ne doit pas agir comme les gouvernements français et britanniques de l'époque. Aujourd'hui, nous savons que l'apaisement n'est pas une tactique qui paie.»
Oublieux des engagements passés
Dans les négociations, il serait bon de rappeler à Poutine les résolutions prises dans la déclaration finale de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) d'Helsinki, pointe Edward Lucas dans Postimees :
«La Russie affirme vouloir négocier sur l'avenir de la sécurité européenne. Qu'à cela ne tienne ! Nous sommes d'accord et avons nous aussi nos propositions. Premièrement, nous devrions rappeler à Poutine ce que l'Union soviétique, qu'il admire tant, a signé en 1975. Elle s'est notamment engagée à reconnaître la souveraineté et l'intégrité territoriale d'autres pays et de chercher à résoudre les conflits sans recourir à la violence ou aux menaces de violence. En Ukraine, la Russie a enfreint tous ces engagements. Dans son pays aussi, Poutine manque systématiquement à sa promesse de respecter les droits humains et les libertés fondamentales.»
Pas une base solide de négociation
Les demandes de Moscou sont absolument irrecevables pour l'Occident, juge Tageblatt :
«Les Etats de l'UE et les Etats-Unis ne peuvent en aucun cas négocier un traité de sécurité international visant in fine à interdire à des Etats indépendants et souverains de décider eux mêmes de l'orientation qu'ils souhaitent imprimer à leur politique de sécurité et d'alliances. Car cela reviendrait à nier un des principes fondamentaux de l'ordre international : la souveraineté nationale. On se demande donc si Vladimir Poutine est bien sérieux quand il avance sa proposition de négociation. D'autant plus que la situation conflictuelle qui prévaut actuellement dans l'est de l'Europe a été déclenchée par le Kremlin.»
Irréalistes et iniques
Les conditions posées par Moscou sont irréalistes, lit-on dans lb.ua :
«La Russie demande l'impossible - que l'OTAN retire de l'Europe de l'Est l'ensemble de son infrastructure, qu'elle s'abstienne à l'avenir d'intégrer l'Ukraine et d'autres pays post-soviétiques ou de coopérer de quelque façon avec eux, et qu'elle renonce à stationner ses armes dirigées contre les intérêts russes, où que ce fut. Etrangement, la Russie ne songe pas à retirer ses propres armes stratégiques de son territoire - par exemple de Kaliningrad ou de la Crimée occupée.»
La logique du marchandage
Vzglyad rappelle qu'il est monnaie courante en Russie d'entamer des négociations en gonflant ses revendications :
«Il ne s'agit que de la position de départ de la Russie, un brin abrupte, comme le veut la tradition russe pour la phase préliminaire de négociations, et formulée sans fioritures. Une position appelée à être débattue et à évoluer, quand on se mettra en quête d'un dénominateur commun entre les visions russes et américaines. Quand [le vice-ministre russe des Affaires étrangères Sergueï] Riabkov dit que le 'menu est irréductible', il ne parle pas des positions évoquées sur les différents thèmes, mais des thèmes en soi, sur lesquels il faut trouver un compromis. Personne n'a donc l'intention de demander à l'OTAN de faire une croix sur la protection de ses Etats membres.»
Ne pas répéter les erreurs du passé
L'Occident doit négocier avec la Russie, fait valoir Observador :
«Le Kremlin réclame des réponses rapides à ses exigences. Poutine sait qu'il a placé la barre trop haut, ce qui compliquera les négociations et les fera traîner en longueur. Par ailleurs, Poutine n'est absolument pas disposé à faire montre de faiblesses dans cette confrontation. Il est clair qu'il faut respecter les intérêts de la Russie, dialoguer avec elle et ne pas répéter l'erreur des années 1990 : humilier le pays. Mais il faut aussi éviter que ceci se fasse au détriment d'autres pays.»
Nord-Stream 2, un levier
L'Allemagne semble être prête à jouer son joker contre Poutine, croit savoir Corriere della Sera :
«Il y a un mois encore, le gazoduc germano-russe, qui devait faire de Poutine le véritable maître de l'approvisionnement énergétique européen, semblait être une affaire conclue. Mais deux évènements ont eu lieu depuis. A Berlin, une nouvelle coalition menée par Olaf Scholz a pris les commandes ; et la crise ukrainienne, en raison de la menace supposée ou réelle d'une invasion russe, a repris de plus belle. Un scénario de guerre qui, pour la première fois, a poussé l'Allemagne à entendre la requête de son allié américain et à envisager Nord Stream 2 comme un levier : si la Russie violait l'intégrité territoriale de l'Ukraine, la conduite serait durablement bloquée.»