Paris et Moscou courtisent les pays africains
Dans le cadre de sa tournée en Afrique, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, s'est rendu en Egypte, en Ethiopie, en Ouganda et au Congo. Son message : l'Occident est responsable de la crise alimentaire liée à la guerre en Ukraine. Le président français, Emmanuel Macron, se rend de son côté au Cameroun, au Bénin et en Guinée-Bissau, dans l'objectif affiché de "renouveler les liens entre la France et le continent africain".
Un 'Grand Jeu' qui rappelle la guerre froide
L'actuel bras de fer autour des zones d'influence suit une trame connue, juge Kommersant :
«Récemment encore, on pensait que l'époque de l'opposition des deux grandes puissances était définitivement révolue. Une époque où, tous les matins, au département international du Comité central du PC de l'URSS, on contemplait une carte multicolore de l'Afrique regroupant les pays d''obédience communiste', et ceux de la zone d'influence occidentale. On regardait cette carte en se demandant qui inviter, à qui donner des fonds ou accorder une aide militaire, où aller construire des bâtiments, afin d'empêcher la propagation du 'néocolonialisme' et du 'néoimpérialisme'. ... La lutte pour l'Afrique, dans le cadre de la guerre froide 2.0, devient une nouvelle réalité.»
L'Afrique ne se laissera plus instrumentaliser
Les Etats africains refusent de soutenir telle ou telle puissance, fait valoir le ministre des Affaires étrangères du Togo, Robert Dussey, dans une tribune au journal Le Temps :
«[Les grandes puissances] s'efforcent le plus souvent à amener les Africains à adhérer à leur 'narratif' et, in fine, à soutenir un camp contre un autre, selon une logique diplomatique utilitariste. Quand il s'agit de voter une résolution au Conseil de sécurité, nous sommes activement sollicités d'un côté comme de l'autre. L'Afrique est alors très courtisée, voire mise sous pression par certains de ses partenaires. Ces états d'esprits et agissements qui relèvent d'une autre époque s'expriment dans un contexte historique où l'Afrique a pris conscience de sa responsabilité propre. Elle parle de plus en plus d'une seule et même voix.»
Les faits contredisent la propagande du Kremlin
Les interlocuteurs africains ne tarderont pas à constater l'absence de transparence dans la communication russe, affirme le journaliste Vitali Portnikov sur le portail 24tv.ua :
«On se demande par quel moyen Sergueï Lavrov compte convaincre ses interlocuteurs africains qu'ils ne sont pas menacés de famine à cause de la Russie, alors que la veille de sa visite - juste après la signature de l'accord d'Istanbul sur la reprise des exportations de céréales - les forces russes ont frappé le port d'Odessa, et que Moscou n'a pas voulu reconnaitre [au départ] sa responsabilité dans ce crime.»
Le passé colonial de l'Occident favorise Moscou
Pour Izvestia, la Russie a l'avantage en Afrique :
«L'anticolonialisme soviétique confère une puissance de persuasion à la rhétorique antioccidentale russe. ... Les anciennes puissances coloniales sont visiblement nerveuses, surtout la France. Lorsque Paris contrôlait encore la majorité du continent, la Russie était loin de pointer son nez. Entre-temps, la Russie est parvenue à repousser petit à petit les Européens pour 'faire son trou' en Centrafrique, au Mali et dans d'autres pays francophones du continent. Si par le passé, la Russie s'était contenue pour ne pas affecter ses liens avec l'Elysée, les ambitions africaines de Moscou ne connaissent plus de limites désormais.»
Lavrov ne laisse que des miettes
L'Occident est à la remorque de Moscou, déplore La Repubblica :
«Lavrov a trouvé un terrain favorable dans sa campagne d'Afrique. 25 pays africains se sont en effet abstenus dans la résolution de l'ONU qui condamnait l'invasion de l'Ukraine. ... La réponse de l'Occident s'avère lente et tardive. Macron effectue lui aussi un voyage en Afrique occidentale, tandis que l'émissaire américain dans la corne de l'Afrique, Mike Hammer, se rendra en Egypte et en Ethiopie. Ils ne devraient pas avoir grand-chose à se mettre sous la dent, suite aux promesses céréalières faites par Lavrov. Le bruit des missiles russes qui ont frappé les entrepôts d'Odessa juste après l'accord d'Istanbul n'est visiblement pas arrivé jusqu'en Afrique.»
Dans l'intérêt de Paris
Les pays d'Afrique finiront par comprendre que la France est le partenaire le plus fiable, juge Le Figaro :
«D'autres puissances, telles que la Chine, la Russie et la Turquie, s'intéressent à l'Afrique. Elles ne sont jamais mécontentes d'y évincer les Français. Mais, sous un vernis altruiste, elles parviennent mal à cacher leurs objectifs primordiaux. Les Africains finissent par voir clair dans leur jeu. … La France est la seule puissance qui souhaite sincèrement la réussite du développement africain. .... C'est d'ailleurs l'intérêt bien compris de la France qui sait qu'en cas d'échec des politiques agricoles et urbaines africaines, elle verra se ruer vers la Méditerranée des migrants par millions.»