Flambée des prix de l'énergie : qui doit payer la facture ?
Dans ce contexte de difficultés d'approvisionnement énergétique et de flambée des prix de l'électricité, de nombreux pays de l'Union européenne s'interrogent sur les moyens de sauver leur économie et d'aider les citoyens à payer leurs factures. La presse européenne évoque différentes pistes - impôts sur les bénéfices exceptionnels, subventions, économies d'énergie - et rappelle le rôle de la politique.
Demander des efforts aux propriétaires bailleurs
De Volkskrant revendique des aides ciblées pour les groupes à faible revenu :
«On pourrait éventuellement plafonner pour cet hiver la facture énergétique dans le cas des locataires d'appartements mal isolés, car ils ne sont pas responsables de cette mauvaise isolation. Ou encore diviser par deux leur loyer pendant un hiver, pour inciter les bailleurs à mieux isoler les bâtiments. La France est un exemple à suivre, avec la mise en place par Macron de primes importantes à la rénovation énergétique. Tout un pan de notre population va au devant d'une période incroyablement difficile. Un problème que l'on aurait tort de remettre à plus tard.»
Plus important que les rendements des actionnaires
Deutschlandfunk critique le subventionnement d'entreprises par le biais de la TVA supplémentaire sur le gaz :
«En ont notamment été bénéficiaires des entreprises qui ont réalisé d'énormes bénéfices ces derniers mois grâce à la crise des prix de l'énergie. Certains groupes, comme la société anonyme OMV, enregistrent des résultats records pour l'année en cours. Ce qui ne les empêche pas de répercuter sur le contribuable la hausse des prix du gaz dont ils ont besoin. En résumé, en Allemagne, ce sont les abonnés au gaz qui mettent la main au porte-monnaie pour que les rendements des actionnaires ne fléchissent pas à partir d'octobre. Peut-on parler de justice ? Sûrement pas. Il aurait mieux valu affecter les deniers publics à une aide ciblée aux entreprises, comme Uniper, que la hausse des tarifs du gaz place en difficultés financières et qui jouent un rôle central dans notre approvisionnement.»
Les familles ne peuvent s'endetter indéfiniment
ABC s'inquiète de l'endettement croissant des ménages :
«Les familles se sont toujours endettées pour faire face à des dépenses exceptionnelles. ... Mais aujourd'hui, elles doivent emprunter pour couvrir leurs frais quotidiens. ... La demande de crédits à la consommation a augmenté de plus de cinq points en un an. ... Dans ces conditions, il serait préférable de réduire les impôts plutôt que de laisser s'alourdir la dette des ménages. ... La famille a toujours été le filet de sauvetage des chômeurs et des indigents. ... Or un endettement excessif risque de déchirer les mailles de ce filet, auquel le gouvernement ne témoigne du reste pas beaucoup de respect.»
Lancer des campagnes d'économies d'énergie
En cette période électorale, les grands partis suédois ont évoqué d'importantes compensations pour faire face à la hausse des prix de l'énergie. Dagens Nyheter est dubitatif :
«Ce qu'il faut, c'est une grande campagne de promotion des économies d'énergie, comme au temps de la crise pétrolière des années 1970. A l'époque, on incitait les gens à écourter la durée de leur douche et à abaisser la température ambiante. On pourrait par exemple ajouter à cette liste éviter de laisser les appareils électriques en mode de veille. Ceci représente environ dix pour cent de la consommation en énergie des ménages. ... En Allemagne, ce genre de campagnes tournent à plein. En Suède en revanche, on aide généreusement les propriétaires de maisons, et les entreprises [par exemple Facebook et Google] ont droit à des abattements fiscaux de 98 pour cent sur le courant. Ce n'est pas ainsi que l'on sensibilise aux crises.»
Pour des aides ciblées
La Libre Belgique appelle à prioriser les aides pour les plus démunis :
«Il y a une chose que l'Etat n'a pas encore faite : se mettre en ordre de bataille pour prendre des mesures ciblées. Aujourd'hui, les ménages avec des panneaux solaires et une maison bien isolée n'ont pas besoin d'aide, même si l'investissement passé doit être pris en compte. Les locataires isolés - surtout aux bas revenus - dans un logement de classe énergétique déplorable et se chauffant au gaz, si. Ce seul exemple montre la nécessité de constituer au plus vite un cadastre plus précis de la situation réelle des ménages. Ce faisant, on éviterait, en prenant des mesures, les abus, les couacs dans le versement des primes ou d'autres mesures de soutien comme cela s'est passé ces derniers temps.»
Il faut protéger les forêts
Le gouvernement hongrois a promulgué un décret autorisant les coupes de bois par les particuliers, ce que Népszava voit d'un œil très critique :
«Le texte dispense de replanter une forêt défrichée quand celle-ci est en mesure de se renouveler naturellement. Est-ce réellement le cas ? La nature ne peut remplacer ce que l'homme détruit arbitrairement. ... Si l'on défriche les forêts d'acacias, très nombreuses en Hongrie, on compromet la récolte de miel et les apiculteurs seront en grande difficulté. ... Les abeilles ne sont pas utiles uniquement pour le miel qu'elles produisent. ... En mourant, elles laissent derrière elles des champs stériles et des prairies et des forêts incapables de se régénérer d'elles-mêmes.»
Ayons confiance en la main invisible du marché
The Daily Telegraph désapprouve la revendication portée par le chef de l'opposition britannique, Keir Starmer, d'un plafonnement du prix de l'énergie pour une durée de six mois :
«Tôt ou tard, le rapport entre l'offre et la demande basculera, et cela pourrait survenir plus tôt qu'escompté. Le marché évoluera, les prix du pétrole et du gaz s'effondreront comme on a déjà pu l'observer à maintes reprises au lendemain de prix record du pétrole. Une fois de plus, la magie du marché aura opéré. Mais cela ne se fera que si l'on n'interfère pas, si les gouvernements n'essaient pas de s'en mêler en subventionnant la consommation et en faisant main basse sur les bénéfices des producteurs.»
Une ressource essentielle pour tous
En Allemagne, tous les consommateurs de gaz devront payer une taxe supplémentaire de 2,419 centimes par kilowattheure à partir d'octobre. Un écot indispensable pour que l'approvisionnement ne s'effondre pas en Allemagne, selon le discours officiel. Der Tagesspiegel pointe la contradiction inhérente à cette politique :
«Cette taxe supplémentaire devrait être supportée par les seuls ménages qui ont recours au gaz, soit la moitié des ménages. Côté économie, elle frappe de plein fouet les secteurs tributaires du gaz et qui ne peuvent pas passer à d'autres sources d'énergie, par exemple l'industrie chimique ou la production de verre, mais aussi tous les secteurs nécessitant un refroidissement dans la production et la distribution, notamment le médicament et l'agroalimentaire. Une panne partielle de l'approvisionnement en gaz impacterait tous les citoyens. Pourquoi, dès lors, ne pas considérer le sauvetage du système comme une mission incombant à la société dans son ensemble ?»
Ne ratons pas la transition écologique
L'UE a lamentablement échoué à assurer son autonomie énergétique, critique Sašo Ornik sur son blog Jinov Svet :
«Nous avons fait un ratage complet en matière de lutte contre le Covid-19, de même que sur le plan de la guerre économique avec la Russie, et nous sommes sur le point de saborder la transition écologique. Sur ce point, il devient de plus en plus flagrant que certains s'enrichissent outrancièrement en nous faisant miroiter un avenir plus propre et plus écologique, alors qu'absolument rien ne change dans les faits. ... Il est impératif de prendre le tournant. Pour y parvenir, il nous faut un renouvellement des élites politiques, des journalistes et des entrepreneurs davantage conscients de leurs responsabilités. Nous devons nous donner les moyens de devenir autonomes par rapport au reste du monde et nous battre pour défendre nos intérêts, et non ceux des Américains.»
Il faut croire à l'économie de marché
L'Estonie entend subventionner l'électricité en adoptant un 'tarif social'. Eesti Päevaleht doute que ce soit une bonne idée :
«Bienvenue dans l'économie planifiée ! Le train de lois prévoyant un prix unique de l'électricité que le gouvernement va bientôt présenter nous éloigne de la logique économique qui a fait la réussite de l'Estonie jusqu'ici, à savoir l'économie de marché. Avant d'adopter précipitamment ce tarif, il serait bon de méditer la recommandation du FMI : Le meilleur moyen de venir en aide aux plus démunis serait de soutenir le cinquième le plus pauvre de la population. Ficeler un paquet universel à un prix inférieur à celui du marché reviendrait à une subvention généralisée.»
Prévenir les troubles
L'Allemagne n'adoptera probablement pas d'impôt sur les bénéfices exceptionnels, ce que déplore tagesschau.de :
«Pour le ministre allemand des Finances Christian Lindner, il faut croire que c'est une aberration. L'heure n'est pas aux hausses d'impôts, dit-il, mais aux baisses d'impôts. Pour ceux qui n'ont rien ou bien peu dans le porte-monnaie, la décision se justifie sûrement. Mais pour tous les autres ? Les gros revenus, les entreprises ou les groupes qui font leurs choux gras de la crise ? Pourquoi ne leur demanderait-on pas à eux de porter leur part du fardeau pour supporter l'explosion du coût de l'énergie ? Histoire de prévenir la colère et ce que tant de gens redoutent déjà quand viendra l'hiver : des émeutes sociales.»
Les mieux nantis sont les plus gros gaspilleurs
Dans les colonnes de La Libre Belgique, l'économiste Étienne de Callataÿ explique qui doit réduire le plus sa consommation :
«Si, tous, nous devons fournir un effort significatif en matière environnementale, celui-ci se doit d'être fonction à la fois de nos capacités, notamment financières, et de notre empreinte actuelle. À cet égard, une statistique interpelle, et qui indique de manière indubitable que c'est aux mieux nantis de fournir l'essentiel de l'effort. Elle est la suivante : aux États-Unis comme en France, les 50 pour cent les moins nantis de la population ont une empreinte qui est compatible avec les objectifs de réduction à atteindre en 2030, ou quasi. Ce n'est donc pas à eux de se mobiliser en premier, ou de l'être au travers de mesures contraignantes, mais à l'autre moitié de la population de s'activer !»
Adopter un langage clair et sortir de l'inaction
Dagens Nyheter vitupère contre la minimisation des problèmes environnementaux par les politiques :
«Il est à la fois irresponsable et fallacieux de la part des politiques de promettre aux électeurs, directement ou indirectement, que le changement climatique et la modification de nos habitudes de vie qui devra impérativement en découler n'affecteront pas le quotidien des 'gens ordinaires'. Car ces deux phénomènes les frapperont de plein fouet. La facture sera cependant moins salée si nous nous préoccupons aujourd'hui de la situation que si nous repoussons les efforts à demain.»
Un pessimisme exagéré
L'Allemagne réussit beaucoup mieux à couper le cordon avec Moscou qu'elle ne l'avait initialement laissé penser, estime The Economist :
«Au moment de l'invasion de l'Ukraine par Poutine, l'Allemagne dépendait encore largement de la Russie, qui couvrait 55 pour cent de ses besoins en gaz. Les Cassandre avaient alors annoncé que l'approvisionnement énergétique risquait d'être interrompu, que les entreprises allemandes seraient obligées de mettre la clé sous la porte et que des familles entières se retrouveraient à grelotter de froid dans leur cuisine. La réalité est toute autre, puisque la part du gaz russe dans le bouquet gazier allemand a diminué de moitié, et que les réserves de gaz pour l'hiver se reconstituent à un rythme normal. L'industrie affirme pouvoir réduire sa consommation plus que prévu. Et la flambée des prix de l'énergie et les campagnes pour l'environnement pousseront les consommateurs à faire de même.»