La Mannschaft proteste contre l'interdiction du brassard arc-en-ciel
L'équipe allemande de football a pris la pose en signe de contestation mercredi, au Qatar, avant son match de Coupe du monde contre le Japon : les joueurs ont mis la main devant la bouche pour fustiger la politique d'interdiction de la FIFA. La Fédération internationale de football avait auparavant menacé de sanctionner les capitaines arborant le brassard arc-en-ciel. La presse n'est pas unanime sur cette action.
Même une action minime peut faire bouger les lignes
C'est déjà ça, réagit Corriere della Sera :
«Bien sûr, l'équipe aurait eu plus d'impact et aurait envoyé un message plus fort si elle avait défié directement [la FIFA et Infantino] en portant le brassard et en risquant un avertissement collectif, qui aurait pu compromettre sa progression dans le tournoi (rien ne dit du reste que la FIFA aurait eu le courage d'exclure toute l'équipe) ... Mais aussi minime que soit le geste de la Mannschaft, il ne doit pas être sous-estimé. En raison notamment de la force symbolique de la photo qui a été prise, qui exprime la condamnation, la prise de distance et même la dérision.»
Les poses de la Mannschaft n'intéressent personne
Der Tagesspiegel se gausse de cette action :
«Crénom de nom, ça alors ! Petite explication du geste pour ceux qui n'auraient toujours pas saisi : sous l’œil scrutateur de la FIFA et du Qatar, impossible de s'exprimer comme on le souhaiterait. Sérieusement ? C'est profondément choquant ! Qui l'eut cru ? ... Mais il y a quiproquos, car le destinataire de ce bâillonnement n'est autre que le public devant sa télé. C'est à lui, en réalité, que le message était adressé. Au-delà des frontières allemandes, les poses de la Mannschaft n'intéressent pas grand monde. Ce qui importe, en revanche, c'est de savoir comment elle joue. Mais qui sait ? Peut-être que cette mise en scène était une mesure de précaution et voulait dire : merci de ne pas non plus commenter le match.»
L'Occident n'est pas le champion de l'indignation
Deník N porte un regard critique sur les actions de protestation des participants européens à la Coupe du monde au Qatar :
«Le mondial 2022 fait souvent l'objet de débats critiques, à juste titre, et les sélections occidentales réfléchissent aux formes de contestation qu'elles peuvent mettre en place. Mais c'est avant tout l'équipe iranienne qui a réussi à envoyer un message crédible et potentiellement conséquent en refusant de chanter l'hymne national. Toute cette controverse montre que l'Occident surestime l'influence qu'elle peut avoir sur l'opinion des gens et l'aura qu'elle peut exercer sur eux.»
Le Mondial n'est pas là pour défendre des causes
La FIFA a eu raison d'interdire le brassard "One Love", estime Weekendavisen :
«Imaginons que le capitaine du onze qatarien ait voulu exprimer ce que l'on pense officiellement de l'homosexualité dans son pays et chez les voisins... Si [le capitaine danois] Simon Kjær peut porter son brassard arc-en-ciel, il serait hypocrite d'interdire à la sélection du Qatar d'exprimer le point de vue opposé. Ainsi, une bataille que même l'arbitre ne pourrait plus contrôler pourrait s'inviter sur le terrain. ... Malgré tous nos différends, il faut garantir que l'espace de jeu puisse rester un espace de rencontre entre tous les citoyens du monde. Dans le cas contraire, il faudra différencier les tournois en fonction des divergences d'opinion et de valeur des adversaires.»
Trouver des solutions créatives
Le onze danois a lui aussi fait une croix sur le brassard arc-en-ciel lors de son premier match de poule. Un choix vivement critiqué par Berlingske :
«La [Fédération danoise de football] DBU et les joueurs danois auraient été bien inspirés de se montrer plus conséquents vis-à-vis des décisions totalement déraisonnables de la FIFA. Dans le match contre la Tunisie, on aurait par exemple pu faire débuter un remplaçant portant le brassard de capitaine 'interdit', le laisser recevoir un carton jaune avant de le remplacer par [le capitaine] Simon Kjær, portant lui le brassard 'réglementaire' de la FIFA. Ou bien l'on aurait pu trouver une autre insigne symbolique. ... Un petit signe symbolique, quel qu'il soit, a toujours son importance.»
La résistance germe hors du terrain
Les interdictions ne vont pas étouffer la contestation, se félicite Le Quotidien dans son éditorial :
«Brassard multicolore interdit pour les joueurs, maillot belge pointé du doigt… Les autorités ont transformé le Qatar en royaume de l'absurde avec la complicité de la FIFA qui ferme les yeux et donne des leçons d'ouverture d'esprit dès que la moindre critique s'élève. La résistance s'organise et certains journalistes ont travaillé avec le fameux bout de tissu coloré près des terrains. Une commentatrice allemande a porté durant toute une rencontre un t-shirt arc-en-ciel. Et ce type de geste va se multiplier tout au long de la compétition.»
L'effet dévastateur de l'argent
Les critiques formulées à l'endroit du pays hôte ne devraient pas se limiter à la question des homosexuels, fait valoir eldiario.es :
«Si quelques équipes choisissaient quand même de porter le brassard arc-en-ciel, ce serait certainement un geste important, mais se focaliser sur cette seule question risque de faire oublier le tableau d'ensemble. Le Qatar est bien plus qu'un Etat qui persécute les homosexuels. ... Il est le symbole de quelque chose de plus profond : d'une vision de la vie où l'argent des despotes fait plier les volontés, corrompt les consciences et achète la complicité de ceux qui bénéficient de ces grandes largesses.»
Une tendance à l'indignation facile
Les athlètes n'ont pas pour mission de sauver le monde, rappelle Tages-Anzeiger :
«Les footballeurs sont censés témoigner leur indignation, alors que le monde politique et des affaires y rechignent. On les appelle à mener bataille contre la FIFA quitte à compromettre leur réussite à la Coupe du monde, alors que le ministre allemand de l'Economie, Robert Habeck, fait des courbettes au ministre qatarien du Commerce, car l'Allemagne entend avoir recours au gaz du pays pour s'émanciper de la Russie. ... Ces derniers jours nous ont à nouveau montré une chose : notre tendance à l'indignation facile vis-à-vis du football. Dans aucun autre sport, il n'est aussi aisé de montrer les autres du doigt et de se laisser aller au populisme le plus primaire.»
Le formidable courage de l'équipe d'Iran
Pour la sélection iranienne, qui a unanimement refusé de chanter l'hymne national lors du match contre l'Angleterre, l'enjeu du Mondial est bien plus important que pour d'autres, souligne The Guardian :
«Ce faisant, les joueurs n'ont pas pris le risque d'écoper d'une amende ou d'un carton jaune, mais celui d'être châtiés par un Etat vindicatif. En choisissant d'agir de la sorte, ils se sont joints à d'autres athlètes et personnalités courageuses, ainsi qu'aux centaines de milliers d'hommes et femmes lambda, qui ont manifesté dans 155 villes.»
Un but contre leur camp
Avec cette interdiction, la FIFA et le Qatar ne rendent service à personne, assure Pravda :
«Les dirigeants de la FIFA aiment faire des sermons sur la diversité et la tolérance. Mais quand vient le moment de la mise en pratique, ils n'ont que faire des valeurs qu'ils promeuvent. ... L'argent peut-il vraiment tout acheter de nos jours ? Les Qatariens peuvent bien inonder les grands clubs en leur possession de pétrodollars pour briller en Ligue des champions. Mais ils n'ont pas à gâcher la plus grande fête du ballon rond. En interdisant aux capitaines des sélections de porter le brassard arc-en-ciel, le Qatar et la FIFA récolteront le contraire de ce qu'ils recherchent : on parlera encore plus qu'auparavant des organisateurs réactionnaires de l'évènement et du manque de caractère de la FIFA.»
Quid de l'esprit d'équipe ?
Les sélections participantes auraient pu resserrer les rangs, juge The Irish Times :
«Si l'Angleterre, le Pays de Galles, la Belgique, Danemark, l'Allemagne, les Pays-Bas et la Suisse avaient refusé, de concert, de respecter cette interdiction, la FIFA se serait couverte un peu plus de ridicule en contraignant les arbitres à infliger des cartons jaunes aux joueurs impliqués. Les actes comptent sur la scène internationale, comme on a pu le voir lorsque le onze iranien a refusé de chanter l'hymne national, en signe manifeste de contestation face aux répressions entreprises par le régime des mollahs.»
La FIFA fausse les règles du jeu
Libération fustige une concession déplorable faite au Qatar :
«En brandissant la menace d'un carton jaune, l'instance faîtière du foot mondial viole le saint des saints : l'espace du match. Sanctuarisé depuis toujours, il n'appartient qu'aux 22 joueurs et à ceux qui les arbitrent. … En menaçant d'un avertissement un joueur pour une prise de position sociétale, la FIFA fait très précisément ce qu'elle cherche soi-disant à empêcher : elle invite la politique sur le terrain de jeu. Et même dans les règles du football, on a eu beau chercher, la couleur du brassard du capitaine ne relève d'aucune des 17 lois du jeu. On aura bien entendu compris qu'en l'espèce, l'idée est plutôt de complaire à son hôte qatari. Ça irait mieux en le disant.»
Une réaction hypocrite
Pour De Morgen, le tollé suscité par l'interdiction est peu crédible :
«Si les pays participants et leurs stars s'étaient vraiment préoccupés du sort des immigrés réduits en esclavage ou des homosexuels au Qatar, ou encore des affaires de corruption au sein des fédérations, ils auraient eu le temps, en douze ans, de faire changer d'avis la FIFA. Ou pensez-vous que cette Coupe du monde aurait eu lieu si l'Allemagne, les Pays-Bas et l'Espagne avaient annoncé leur refus de participer à la manifestation ? ... Ce n'est pas ce qui s'est passé. Et en réalité, on ne peut pas en vouloir aux sportifs. Car une fois qu'ils seront rentrés chez eux, ce sont leurs dirigeants politiques qui prendront leur place dans les hôtels et dans les salons de Doha pour quémander plus de gaz.»