L'Afghanistan, deux ans après le retour des talibans
En août 2021, les talibans reconquéraient Kaboul suite au retrait des troupes occidentales d'Afghanistan, reprenant dans la foulée le contrôle du pays. Si l'économie ne s'est pas effondrée, des millions de personnes vivent aujourd'hui dans la pauvreté. La situation des femmes et des filles est particulièrement délicate. Elles ne sont plus autorisées désormais à faire des études, ni à voyager seules. Quelles seraient les solutions à envisager pour améliorer la situation ?
Un choix cornélien
Il n'est pas évident de choisir entre isoler le régime de Kaboul ou se prêter à la négociation, estime Politiken :
«C'est un dilemme dont il n'est pas facile de s'extraire. Nous pouvons néanmoins commencer par un constat, à savoir que le statu quo est une voie de garage. Il peut sembler préférable de tourner le dos aux talibans, mais ce ne seraient pas les bonnes personnes qui en paieraient le prix. Et puis, soutenir les victimes humanitaires ne signifie pas légitimer le régime à l'origine de leurs souffrances. Nous devons agir de manière pragmatique et tenter d'atteindre des forces moins obscurantistes que celles qui profitent actuellement de l'isolement du pays pour faire - tranquillement - ressurgir le Moyen-Age.»
Atténuer l'extrême indigence en reconnaissant les talibans
Ilta-Sanomat considère la reconnaissance du régime des talibans comme une option envisageable :
«Reconnaître les talibans serait une pilule amère. Néanmoins, s'engager dans des négociations et débloquer les avoirs gelés du précédent régime afghan pourraient atténuer l'extrême indigence. Cela serait même susceptible d'améliorer la situation des femmes et des filles si, concomitamment, on parvenait à amener les talibans à faire quelques concessions. ... La communauté internationale pourrait proposer aux talibans de reconnaître leur régime, sans toutefois exiger de contrepartie. Il faudrait alors définir des conditions strictes et placer les droits humains, l'égalité hommes-femmes et une bonne gouvernance au cœur des priorités.»
La France doit continuer sa politique d'asile généreuse
La Croix anticipe que la crise est faite pour durer et salue la réaction de la France :
«Cette situation peut durer des années, vu l'extrême faiblesse de l'opposition. En attendant, la France doit maintenir sa politique généreuse d'accueil des demandeurs d'asile afghans. Le statut de réfugié leur permet de sortir de la précarité et de se lancer dans une nouvelle existence.»
Un certaine stabilité
La situation en Afghanistan s'est consolidée sur le plan économique et sécuritaire, affirme Irish Examiner :
«Les talibans ne sont confrontés à aucune résistance notable dans leur propre pays qui soit susceptible de les renverser. Ils ont évité les divisions internes en se ralliant derrière leur leader et son idéologie rigide. Ils ont réussi à maintenir à flot une économie chancelante, en engageant des négociations sur les investissements avec certains pays riches en capitaux de la région, même si la communauté internationale refuse de les reconnaître officiellement. Ils ont également réussi à améliorer la situation en matière de sécurité intérieure en luttant contre les groupes armés, tels que Daech.»
Dictature et pauvreté
Les Afghans ne profitent guère de la relative stabilité que connaît actuellement le pays, explique Alberto Cairo, émissaire de la Croix-Rouge en Afghanistan :
«L'Afghanistan s'est transformé en une dictature théocratique. ... Les mollahs peuvent interpréter librement les écritures islamiques, ce qui rend toute discussion impossible, tandis que les chiites et les ismaéliens sont qualifiés d'hérétiques et à peine tolérés. Le groupe ethnique des Pachtounes domine, tandis que les Tadjiks, les Hazaras et les Ouzbeks n'ont pas voix au chapitre. Les talibans prétendent (à tort) avoir le soutien de l'ensemble de la population. ... Selon les rapports de la Banque mondiale, l'inflation aurait diminué, la monnaie serait stable et les recettes fiscales auraient augmenté. ... Soit. Mais jamais la pauvreté n'avait atteint un tel paroxysme.»
Faire venir les Afghanes dans des pays sûrs
Parwana Paikan, ministre conseillère à l'ambassade d'Afghanistan en France, qui ne reconnaît pas le régime en place à Kaboul, appelle dans Le Monde à davantage d'engagement en faveur des Afghanes :
«Il est temps que le monde cesse de se contenter de 'suivre' la situation en Afghanistan. ... Afin d'obtenir des changements positifs en Afghanistan, il faut coordonner les efforts, exploiter les voies diplomatiques, utiliser tous les leviers économiques et politiques et mettre en œuvre des sanctions dissuasives. Enfin, il est essentiel de soutenir la réinstallation et l'asile des femmes et des jeunes filles afghanes dans des pays qui peuvent leur offrir la sécurité et des possibilités de vies meilleures, tout en les préparant à jouer un rôle important dans la prise de décision future pour leur pays.»
Un pays livré à lui-même
L'Occident a pratiquement perdu toute son influence, constate Frankfurter Rundschau :
«Bien que les talibans revendiquent les milliards de dollars d'actifs gelés, ils ne sont nullement disposés à faire des compromis. Ni même à engager des pourparlers. ... L'administration Biden s'implique en tout cas très peu en Afghanistan. ... Quant à l'Allemagne et les autres Etats de l'UE, ils n'ont fait que suivre l'exemple américain. Ils n'avaient pas tellement d'autre option que celle-ci, étant donné qu'ils ont toujours été la cinquième roue du carrosse dans le conflit afghan. D'autant que les talibans ne font pas la distinction entre Etats-Unis et Europe. Par la force des choses, l'Allemagne et les autres pays de l'UE se retrouvent donc obligés de laisser l'Afghanistan aux mains des talibans.»
Aider l'économie du pays
Dans Libération, Jean-François Cautain, ancien ambassadeur de l'UE, appelle l'Europe à développer une stratégie indépendante et axée sur l'économie :
«A l'approche des élections présidentielles de 2024, l'administration Biden est tenue de rester sur sa lancée : conjuguer sanctions et aide humanitaire. L'Europe n'a pas cette contrainte et doit développer sa propre stratégie. Le maître mot est d'aider l'économie afghane à redémarrer. Seule une reprise de l'économie pourra venir à bout de la crise humanitaire actuelle, et donc limiter l'exode vers l'Europe.»