Vers un nouvel axe Moscou-Pyongyang ?
Selon l'administration américaine, le président russe, Vladimir Poutine, veut rencontrer le dirigeant nord-coréen, Kim Jong-un, à Vladivostok. L'objet de cette rencontre devrait notamment être la livraison d'armes par Pyongyang, destinées à la guerre contre l'Ukraine. La plupart des éditorialistes y voient un signe de faiblesse de la Russie, susceptible de donner une nouvelle marge de manœuvre à la Corée du Nord.
Il sera encore plus dur de contenir Kim
Ce nouvel axe pourrait donner des ailes au programme nucléaire nord-coréen, juge Die Presse :
«Les experts ne croient pas vraiment que Moscou aille jusqu'à fournir à la Corée du Nord la technologie nucléaire qu'elle demande. Mais ce que lui rapporterait la vente lucrative de ses armes à la Russie devrait déjà aider Kim à perfectionner son programme nucléaire, alors qu'il laisse son peuple mourir de faim. ... Jusqu'à présent, les Etats-Unis et les voisins de la Corée du Nord ne savaient pas trop sur quel pied danser pour traiter avec Pyongyang. Désormais, il devrait être quasiment impossible de freiner ses ardeurs par le biais de la diplomatie et des pressions économiques. ... L'idée même d'avoir damé le pion aux Américains devrait faire jubiler le dictateur quand il prendra son train blindé, direction la Russie.»
Un troc dangereux
The Irish Times s'inquiète du rapprochement entre Poutine et Kim :
«Ce marché constituera une claire violation du droit international. ... Quand il rencontrera Kim Jong-un courant septembre, Vladimir Poutine demandera au dictateur de lui fournir obus d'artillerie et missiles antichar pour renflouer son arsenal épuisé. En contrepartie, lors de ce qui sera son premier déplacement à l'étranger depuis 2019, le leader nord-coréen demandera à la Russie de l'aider à se constituer une architecture de défense de nouvelle génération. ... Un tel échange marquerait toutefois une escalade notable et périlleuse de l'effort de guerre russe, et minerait le consensus sur l'isolement international de la Corée du Nord.»
L'Ouest a ce qu'il mérite
L'isolement total de la Russie pourrait avoir de fâcheuses conséquences, croit savoir Mandiner, quotidien proche du pouvoir hongrois :
«C'est le prix à payer pour avoir esseulé la Russie : les régimes dangereux se déchaîneront de plus belle. ... Le Venezuela et l'Iran seront renforcés du fait que nous [l'Ouest] soyons à leur merci. La Corée du Nord sera renforcée parce que nous avons contraint les Russes à se tourner vers elle. Le resserrement des liens entre Russie et Chine, secret de polichinelle, compromet les intérêts anti-occidentaux communs à ces deux pays déjà puissants, mais pas que. Le risque véritable, c'est que n'importe quel fou puisse rejoindre cet axe, au seul motif qu'il a une dent contre l'Ouest.»
La Corée du Nord est tributaire de la Chine
Wprost rappelle la présence d'un tiers invisible dans le tandem russo-nord-coréen :
«In fine, c'est Pékin qui décidera si la Corée du Nord fournira de l'aide militaire à Moscou. Le régime de Kim Jong-un est entièrement tributaire de la Chine, qui se sert souvent de la Corée du Nord pour atteindre ses objectifs stratégiques. C'est un instrument fort pratique : le Bureau politique du PC chinois aime présenter Kim comme un fou, imprévisible et incontrôlable, alors qu'en réalité, Kim suit à la lettre les injonctions de la Chine.»
Une amitié frappée du sceau de la vilenie
L'objectif de ces deux partenaires est évident, estime The Spectator :
«Les avantages pour les deux parties sautent aux yeux : en dépit de la capacité du régime à contourner les sanctions, l'économie nord-coréenne est moribonde. De son côté, Moscou, désormais dépourvue d'alliés internationaux, a besoin d'armes pour continuer le combat en Ukraine. ... Les motivations à l'origine du récent rapprochement entre Moscou et Pyongyang sont avant tout de nature pratique. Il s'agit d'une vile transaction entre deux Etats voyous, qui cherchent à faire front à leur ennemi commun, les Etats-Unis.»
Deux parias
Les rôles se sont inversés depuis que Poutine et Kim se sont vus pour la dernière fois, il y a quatre ans, souligne Kleine Zeitung :
«Si Kim devait réellement rendre une deuxième visite à Poutine, il ne viendrait pas en quémandeur, mais en sauveteur. Car la Corée du nord dispose de ces pièces d'artillerie développées en Union soviétique, et qui viennent à manquer à la Russie après 20 mois de guerre en Ukraine. De plus, contrairement à la Chine ou à l'Inde, qui ne veulent pas risquer de dégrader davantage des relations déjà tendues avec l'Occident, la Corée du Nord n'a rien à perdre. La guerre en Ukraine a réduit la Russie au statut de paria, à l'instar de la Corée du Nord.»
Poutine compte sur la Corée du Nord
Moscou et Pyongyang sont désormais ouvertement alliées, estime Gazeta Wyborcza :
«En cette deuxième année de guerre en Ukraine, la Russie a cessé de se comporter comme si elle n'avait rien en commun avec le paria mondial qu'est la Corée du Nord. Au contraire, elle reprend ses relations avec son ancien client. ... Ce projet de coopération ne s'arrêtera toutefois pas à la seule question des munitions. L'isolement croissant de la Russie belligérante a poussé Poutine à développer son front anti-occidental avec la Chine, mais aussi avec la Corée du Nord.»
La Russie est tombée bien bas
La Russie est à court d'armes, souligne Večernji list :
«Après 18 mois d'attaques russes en Ukraine, il s'avère que la 'puissante Russie' de Poutine à épuisé son stock de missiles et de munitions, et qu'elle est à court d'armes. Moscou en est visiblement réduite à solliciter des armes au dictateur nord-coréen et des drones à l'Iran, avec lesquels elle frappe quotidiennement des cibles civiles et des infrastructures en Ukraine, et sans lesquels son invasion connaîtrait plus de difficultés encore qu'elle n'en rencontre déjà. ... La Russie, jadis si puissante, 'quémande à la Corée du Nord des armes datant des années 60 du siècle dernier', a souligné l'ex-ministre britannique de la Défense Ben Wallace.»
Kim est le véritable bénéficiaire
Ce rapprochement est un signe clair de la faiblesse de Poutine, analyse Handelsblatt :
«Sur le sujet épineux de l'armement, le président russe se trouve à court de partenaires, car ni la Chine ni d'autres protagonistes ne veulent s'attirer les foudres des Etats-Unis et de leurs partenaires en livrant des armes à Moscou. Le dictateur nord-coréen Kim Jong-un saura tirer profit de ce malaise. ... On aurait tort de sous-estimer les conséquences géopolitiques de ce rapprochement, qui passe par la politique d'armement. Premièrement, Moscou se trouvant désormais en position de quémandeur, elle perd toute influence modératrice sur la Corée du Nord. Deuxièmement, l'importation par la Corée du Nord de composantes essentielles pour les armes augmenterait la dangerosité du régime nord-coréen. ... Autant de mauvaises nouvelles pour la paix dans le monde, mais aussi pour la stabilité que la Chine souhaite faire régner à ses frontières.»
Un levier face aux Etats-Unis
Le dirigeant nord-coréen cherche surtout à attirer l'attention de Washington, assure Guido Santevecchi, correspondant de Corriere della Sera à Pékin :
«Il est dans l'intérêt de Kim de mettre Joe Biden sous pression afin d'arracher des concessions. En effet, l'éventualité que la Corée-du-Nord livre des munitions à l'armée russe a immédiatement retenu l'attention de Washington, qui avait déjà mis en garde Pyongyang. Depuis la rupture du dialogue amorcé par le président Trump, les Etats-Unis, en dépit des tests balistiques menés par Kim, n'ont témoigné qu'un intérêt limité au dossier nord-coréen. L'immixtion de Pyongyang dans la crise ukrainienne pourrait ainsi permettre à Kim de revenir dans la liste de priorités de Biden.»