Gaza, Liban, Iran : vers une guerre généralisée au Proche-Orient ?
Le Proche-Orient est en ébullition : les accrochages entre Israël et le Hezbollah libanais se poursuivent, Tsahal continue de combattre le Hamas à Gaza. La semaine dernière, l'organisation terroriste sunnite Daech a revendiqué l'attentat commis lors d'une cérémonie à la mémoire de Ghassem Soleimani à Kerman, en Iran, qui a fait plus de 80 morts. Le ministre américain des Affaires étrangères, Antony Blinken, en visite dans la région, a mis en garde contre un risque d'embrasement.
Personne ne peut s'imposer
El País évoque une dynamique tragique, qui ne devrait toutefois pas, selon lui, entraîner d'escalade guerrière :
«En plus du sentiment actuel de perte de contrôle au Proche-Orient, on perçoit une volonté de tous les acteurs de s'imposer au détriment de leurs voisins. En réalité, ils le font déjà depuis des décennies, mais aujourd'hui, dans le contexte de guerre, cette soif hégémonique apparaît plus évidente encore, notamment du côté des Etats-Unis, d'Israël et de l'Iran. ... Chacun veut s'imposer, mais aucun n'a les moyens nécessaires. ... On peut en déduire que personne - hormis Daech et d'autres groupes qui privilégient la politique du pire - n'ont intérêt à provoquer une escalade régionale. ... Il semblerait plutôt que chaque protagoniste rêve d'être ce qu'il n'est pas, prisonnier d'une tragédie dont il attise les flammes, en espérant que le vent tournera à sa faveur.»
Une escalade serait illogique
Le quotidien Aargauer Zeitung, lui non plus, ne croit pas à un embrasement :
«Il est fort probable qu'en massacrant des civils à grande échelle en Israël le 7 octobre, le Hamas espérait entraîner le Hezbollah et l'Iran dans une grande guerre contre l'Etat hébreu. ... Israël s'était alors trouvée prise de court, en état de choc. ... Il aurait vraisemblablement été ingérable pour lui de mener une guerre sur plusieurs fronts, avec le Hamas à Gaza et le Hezbollah au Sud-Liban. Cela fait longtemps, du reste, que cette conjonction, favorable au Hamas, n'est plus d'actualité. Dès lors, il paraît illogique que l'Iran et le Hezbollah aient intérêt à provoquer une grande guerre contre Israël.»
Circonscrire l'influence de Téhéran
Dans Unian, le politologue Volodymyr Volia évoque ce qui pourrait garantir, selon lui, une paix stable dans la région :
«L'un des facteurs essentiels est la neutralisation de l'influence de l'Iran. ... Cela peut être obtenu via la création d'une nouvelle architecture hégémonique dans la bande de Gaza et le déploiement d'une force d'interposition. Il serait judicieux d'impliquer les Etats arabes. Ceux-ci ne seraient pas considérés comme des occupants et pourraient assumer la responsabilité d'empêcher la résurgence des activités du Hamas dans la région.»
Une multiplication des crises
Une augmentation du nombre des intervenants laisse craindre le pire, met en garde Avvenire :
«Même si la matrice jihadiste du massacre en Iran a été confirmée, le risque augmente clairement de voir la région se transformer en un conflit grandissant, sans règle et avec une multiplication des foyers d'incendie et des protagonistes. ... Et ce malgré la ligne somme toute pragmatique du leader du Hezbollah, Hassan Nasrallah. ... Car si les tensions géopolitiques continuent de monter dans la région, il est possible et même inévitable que la situation glisse vers le pire des scénarios. ... D'autant plus que l'ultra-droite israélienne fomente les violences contre les palestiniens en Cisjordanie et parle ouvertement de nettoyage ethnique et de déportations.»
Risque réel d'emballement
La situation est de plus en plus explosive, estime lui aussi Aargauer Zeitung :
«En 2022 déjà puis à nouveau l'an dernier, Daech - d'obédience sunnite radicale - avait commis des attentats à la bombe en Iran, pays de confession chiite. Il y a dix ans, [le général Ghassem] Soleimani avait ordonné une campagne de ses troupes en Irak contre Daech et joué un rôle majeur dans l'éradication de Daech du pays. ... Les actes terroristes qui ont ébranlé Kerman marquent un nouveau paroxysme dans la spirale de violence au Moyen-Orient amorcée en octobre avec la guerre de Gaza. ... Mais même si Israël et l'Iran n'ont aucun intérêt à voir éclater une nouvelle guerre, les tensions autour de la guerre à Gaza risquent de les entraîner dans un conflit armé. Les attentats comme celui de Kerman portent en eux le risque d'une nouvelle escalade.»
Rétablir des garanties de sécurité
L'Occident a tout intérêt à veiller à la paix dans la région, en dépit des difficultés, estime l'analyste politique Cristian Unteanu dans Adevărul :
«L'explication réside dans la grande dépendance de l'Occident hautement industrialisé vis à vis des ressources du Proche-Orient et du Moyen-Orient. La sécurité du trafic des marchandises est un autre sujet de préoccupation. ... Les alliances américaines avec les Etats de la région jusqu'à présent garants quasi absolus de la sécurité se retrouvent affaiblies, voire dangereusement compromises depuis la défaite en Afghanistan et l'échec de la 'guerre contre le terrorisme'. Pire encore : les mouvements terroristes dans les différents pays ont survécu et sont même devenus des forces militaires indépendantes, non étatiques et suivant leur propre agenda.»
Entre les confessions islamiques, la solidarité à contrecœur
Entre Hamas et Hezbollah, les tensions sont palpables, explique Corriere della Sera :
«Lors des funérailles du cheikh Al-Arouri hier à Beyrouth, on a pu voir dans le cortège des dizaines de drapeaux du Hamas à Beyrouth, quelques-uns du Fatah, le groupe palestinien rival, et aucun, pas même un, du Hezbollah. ... C'était une cérémonie sunnite dans une mosquée sunnite, dans un quartier sunnite. Les chiites du Hezbollah, qui avaient pourtant accueilli Al-Arouri dans leur quartier de la capitale libanaise, n'étaient représentés que par deux de leurs membres. Le leader chiite libanais Hassan Nasrallah avait pourtant prononcé une harangue enragée mercredi.»
Vers un conflit régional voulu ?
Dnevnik gage que la région entière pourrait être entraînée dans la guerre, sans nommer ceux qui tirent les ficelles en coulisses :
«L'assassinat de Saleh al-Arouri, loin d'avoir été le numéro un du Hamas, est surtout important parce qu'il est survenu au Liban. ... Un drone l'a tué au Sud de Beyrouth, dans le fief du Hezbollah. Cette attaque a été un défi ouvertement lancé au Hezbollah d'entrer en guerre. ... La tuerie de plus de 80 personnes à Kerman en Iran hier a dévoilé les contours d'une politique cherchant à attirer les forces dites 'rebelles' (Hamas, Hezbollah, Iran et les Houthis) dans un conflit régional ouvert.»
Une menace pour la paix mondiale
Les guerres actuelles ont toutes le potentiel de se propager à grande échelle, craint El País :
«Si la guerre [en Ukraine] gagne la Russie, elle augmente le risque de frappe nucléaire. A Gaza, elle traverse la frontière libanaise, avec les roquettes et les drones du Hezbollah ; en Cisjordanie avec les provocations de colons extrémistes ; au Liban avec l'assassinat ciblé de Saleh al-Arouri ; sur la côte du Yémen avec les raids des rebelles houthis. … Et ce mercredi en Iran. … Pour ces deux guerres, Washington se concentre sur un objectif stratégique : éviter qu'elles débordent, menacent la paix mondiale et attirent ses troupes dans un guêpier, comme cela a si souvent été le cas au cours du dernier siècle. Des querelles locales ont été à l'origine de toutes les grandes guerres.»