Pologne : le bras de fer se poursuit
En Pologne, le conflit entre deux camps s'envenime : celui de l'ancien gouvernement et celui du nouveau. Le président Andrzej Duda s'est opposé à l'arrestation de l'ex-ministre de l'Intérieur, Mariusz Kamiński, et d'un de ses proches collaborateurs, Maciej Wąsik, condamnés pour abus de pouvoir. Duda persiste à ne pas reconnaître l'invalidation par la Cour Suprême, en juin dernier, de la grâce qu'il avait accordée aux condamnés en 2015. Le Premier ministre Donald Tusk accuse le président de saboter la vie politique du pays.
Une polarisation qui profite aux deux camps
Rzeczpospolita constate une funeste dynamique :
«Jarosław Kaczyński construit un mythe politique et incite ses partisans à manifester. ... Le président Andrzej Duda s'adonne au même petit jeu, lui qui, au lieu de s'efforcer de trouver une solution juridique pour que Wąsik et Kamiński puissent quitter la prison, préfère se dire 'profondément choqué' par leur arrestation au palais présidentiel, et expliquer à l'opinion internationale qu'il y a des 'prisonniers politiques' en Pologne. ... En tablant sur la polarisation, Donald Tusk ressort gagnant lui aussi : en plus de satisfaire les attentes de ses électeurs, il marginalise le parti centriste Trzecia Droga, qui avait fait de la dépolarisation son cheval de bataille. Une question subsiste, néanmoins : cette surenchère est-elle bénéfique à la Pologne ?»
Une injure faite aux vraies victimes de persécution politique
Gazeta Wyborcza trouve répugnant que les deux députés arrêtés soient qualifiés par leurs soutiens de 'prisonniers politiques' :
«Le fait que les condamnés soient des personnalités politiques et que les jugements aient été prononcés quand leur parti était dans l'opposition ne fait pas d'eux des prisonniers politiques. ... Employer ce terme dans les cas de Kamiński et Wąsik est en soi une imposture. C'est une insulte pour les milliers de personnes qui ont été enfermées dans d'effroyables conditions, torturées et assassinées, au seul motif qu'elles se sont opposées aux régimes de leurs pays. C'est aujourd'hui le cas au Bélarus et en Russie. Nous connaissons personnellement certaines de ces personnes incarcérées, comme Andrzej Poczobut.»
Des méthodes dignes de l'ère communiste
Le quotidien pro-Orbán Magyar Nemzet affirme que Donald Tusk est de mèche avec les démocrates américains :
«En l'espace de 24 heures, la Pologne est retombée à l'ère du parti unique, où quiconque ne plaît pas aux dirigeants subit le sort jadis réservé aux membres de Solidarność : il disparaît tout simplement de la circulation. ... Autre méthode : on fait comme si le président de la république n'existait pas, on fait fi des compétences qui sont les siennes. On se demande qui encourage Donald Tusk à agir ainsi. ... Il peut compter sur la complicité des démocrates américains, une caution qui pèse lourd dans la balance.»
Une véritable provocation
Tages-Anzeiger dénonce les postures victimaires du PiS :
«Il s'agit bien évidemment d'une vaste provocation. ... Le PiS brode sur le mythe du parti persécuté, opprimé par Tusk, le tyran. Il jette pêle-mêle dans le même sac Etat, gouvernement, tribunaux, police, tout cela ne faisant qu'un : l'adversaire. ... Grisés par le pouvoir, les membres du PiS semblent aujourd'hui interloqués que les tribunaux puissent encore aussi bien faire leur travail, et qu'ils puissent devenir justiciables.»
Le risque d'une crise d'Etat
Le quotidien Welt pense que le conflit déclenché par les arrestations pourrait s'aggraver encore :
«Deux député du Sejm étant manquant, le PiS pourrait contester la légitimité future de l'assemblée. Le président de l'assemblée, Szymon Holownia, a déjà suspendu les premières séances du Sejm en raison de la crise, bien qu'il soit urgent de voter le budget pour l'année en cours. Le PiS et Duda ont montré qu'ils étaient prêts à accepter une crise d'Etat pour protéger leurs hommes et ne rien céder de leur pouvoir. Le PiS a appelé tous les 'Polonais libres' à manifester jeudi devant le Parlement. On verra si l'appel sera suivi.»
Le début d'une chasse aux sorcières
Pour wPolityce, média pro-PiS, l'arrestation survenue dans le palais présidentiel est une transgression grave :
«On ne peut pas dire combien de temps le travail d'opposition sera possible, pas plus que le fonctionnement de médias indépendants du parti au pouvoir. Le kidnapping des députés Mariusz Kamiński et Maciej Wąsik, enlevés en toute illégalité dans le palais présidentiel par les forces de police, est annonciateur d'une persécution politique sans pareille dans les pays européens civilisés.»
Comme dans Matrix
Dans Rzeczpospolita, le chroniqueur Łukasz Warzecha évoque une politique polonaise caractérisée par des mondes parallèles :
«L'Etat de dualisme juridique dans lequel nous nous trouvons de facto rappelle le film Matrix, mais en encore plus vertigineux. Il n'y a pas une seule pseudo-réalité artificielle, mais deux. Dans chacune d'entre elles, des gens n'hésitent pas à jongler avec les textes de loi, la glose de juriste, les jugements et le jargon juridiques pour prouver sans sourciller que seul leur monde est réel. Parmi les habitants de chacun de ces univers, rares sont ceux qui veulent s'en échapper et qui comprennent que c'est là le seul salut.»
Il y a pourtant de vrais problèmes
Gość Niedzielny fait part de sa consternation :
«A l'heure où le ministre suédois de la Défense évoque publiquement un risque de guerre, en Pologne, les bisbilles politiques s'enveniment au point de nous faire apparaître comme une république bananière. Elle n'a pas besoin de chars russes pour péricliter, puisque les politiques du pays se chargent eux-mêmes de le faire à coup de tweets. La plupart d'entre eux versent de l'huile sur le feu en s'accusant mutuellement, les uns disant que la police a pénétré illégalement dans la résidence présidentielle, les autres que le président s'est rendu coupable de recel de personnes recherchées.»